L'éditorial de Christian Saint-Paul
Roland Nadaus Primo Levi
Les éditions Albin Michel ont fait paraître en 2021 un recueil de nouvelles de Primo Levi « Auschwitz, ville tranquille » (200 p, 19 €).
Si l’on a pu considérer l’œuvre de Primo Levi comme celle d’un témoignage essentiel sur la réalité des camps de concentration de l’Allemagne nazie, elle est surtout la réussite d’un vrai génie littéraire. A ceux qui en douteraient et ramèneraient l’auteur à son douloureux vécu, ce recueil de nouvelles et de deux poèmes confirme s’il en était besoin son originalité littéraire. Le chimiste qu’il fut, sait construire d’haletantes nouvelles confinant à la science-fiction.
Et il écrit aussi en poète, retrouvant les processions de ceux qui allaient vers la mort dans « Cortège brun » et dans « Chant des morts en vain », appelant tous ceux qui ont donné et donnent toujours leur vie dans des guerres où la justice, au prix de leur sacrifice, finit par triompher.
Cortège brun
Peut-on choisir plus absurde parcours ?
Corso San Martino, il y a une fourmilière
A cinquante centimètres de la voie du tramway,
Et sur le rail lui-même se dévide
Un interminable cortège brun
De fourmis qui vont, nez à nez, se tâtant
L’une l’autre, comme pour supputer
Leur route et leur fortune.
En somme, ces sœurs stupides et têtues,
Laborieuses et lunatiques,
Ont creusé leur ville au sein de notre ville,
Tracé leur voie sur notre voie,
Et la parcourent sans méfiance,
Vaquant, infatigables, à leurs menus commerces,
Sans se soucier de
Je ne veux point l’écrire,
Je ne veux rien écrire de ce cortège,
Je ne veux rien écrire d’aucun cortège brun.
Primo Levi in, « Auschwitz, ville tranquille » (Albin Michel, 2021, p 21)
***
Chant des morts en vain
Asseyez-vous et négociez
A votre guise, vieux renards argentés.
Nous vous enfermerons dans un palais splendide,
Avec des vivres et du vin, de bons lits, un bon feu,
Pourvu que vous traitiez et que vous négociiez
La vie de vos enfants et votre propre vie.
Que la sagesse entière de la création
Converge pour bénir vos esprits,
Et puisse vous mener au bout du labyrinthe.
Mais, dehors, dans le froid, c’est nous qui attendrons,
L’armée des morts en vain,
Nous, les morts de la Marne et ceux du mont Cassin,
De Treblinka, de Dresde et ceux d’Hiroshima :
Et avec nous, il y aura,
Les lépreux, les trachomateux,
Les disparus de Buenos Aires,
Tous les morts du Cambodge, les mourants d’Ethiopie,
Les marchands de Prague,
Les exsangues de Calcutta,
Les innocents massacrés à Bologne.
Malheur à vous si vous sortez sans un accord :
Nous vous étoufferions de notre étreinte.
Nous sommes invulnérables parce que déjà tués.
Nous nous rions de vos missiles.
Asseyez-vous et négociez
Jusqu’à ce que votre langue se dessèche :
Si jamais perduraient la ruine et la honte,
Vous seriez tous noyés dans notre pourriture.
Primo Levi in « Auschwitz, ville tranquille » (Albin Michel, 2021, p 173)
***
Après ce préambule, important car il témoigne une fois encore de la vision prophétique du poète, « Chant des morts en vain » s’inscrivant hélas dans une actualité dont le drame perdure comme en Ukraine, la parole est donnée à :
Roland Nadaus.
A soixante quinze ans, ce « poètécrivain » comme il aime avec son inébranlable humour se présenter, a une sacrée œuvre que les lecteurs de ma génération qui est aussi la sienne, ont bien connu.
Ce soixante-huitard pacifique a publié son premier livre de poésie en 1969 et, à ce jour, a fait paraître une soixantaine d’ouvrages. C’est un créateur polymorphe à l’aise dans le poème, les pièces de théâtre, les paroles de chansons et même les pamphlets.
Roland Nadaus a publié sous son nom une soixantaine d’ouvrages. Il collabore à de nombreuses revues en France et à l’étranger et figure dans plusieurs anthologies.
Il a animé une émission mensuelle sur RCF pendant ces six dernières années : « Dieu écoute les poètes », collabore à plusieurs revues francophones et est présent dans de nombreuses anthologies de poésie. Les plus récentes :
« Poésie de langue française » (Jean Orizet, Le Cherche Midi) ; « L’insurrection poétique, un manifeste pour vivre ici » (Bruno Doucey) ; « Charlibre » et
« L’insurrection poétique » (Corps-Puce). La revue Poésie sur Seine lui a consacré son n° de décembre 2015.
Il a reçu le Prix international de poésie Antonio Viccaro (« Prix des 3 canettes ») décerné lors du Marché de la Poésie de Paris en relation avec le Festival International de Trois-Rivières (Québec) dont il fut l’invité et le Grand Prix de l’Académie de Versailles et d’Ile-de-France « pour l’ensemble de son œuvre ».
Ses Dernières parutions : « D’un bocage, l’autre » (Editions Henry)
« Un cadastre d’enfance –et quelques-unes de ses parcelles » (Ed. Henry, réédition)
« Vivre quand même parce que c’est comme ça » (Ed. Gros Textes, réédition)
« Pour le réalyrisme », manifeste-pamphlet (Corps-Puce éditeur, réédition).
Mais ce poète est aussi un homme dans la cité. Et il s’est engagé et a combattu dans l’arène politique pendant 37 ans !
Toutes ces années, avec l’amour, s’exclame-t-il, il les a passées à servir la Poésie et la Politique. Et il met une majuscule pour les deux. Mais, sans la Poésie, précise-t-il, il n’aurait pu supporter ces décennies de vie active en Politique.
A l’issue de son aventure politique, celle de sa création poétique se poursuivant, il a éprouvé la nécessité de jeter un regard sur ces aventures mélangées.
Le poète Jean Le Boël ( Prix Mallarmé 2020) qui dirige les éditions Henry lui a demandé de rédiger un livre, en poète, sur ces parcours croisés.
Et Roland Nadaus a publié ainsi en 2021 « Le Miroir amnésique » pour inaugurer la nouvelle collection « La Poésie comme elle va » des éditions Henry (125 p, 12 €).
Sa vie s’écoule dans cette « autobiographie resongée », sous-titre du livre, le titre lui-même ayant été emprunté au sublime poète : le frère Gilles Baudry, moine de son état.
Considéré comme marginal, même chez les siens, il écrit sur son père anarchiste un roman : « Papaclodo ». « La nuit est obscure à force d’y croire voir les étoiles » conclut-il aujourd’hui sur ce premier regard au père.
Très tôt, sa vocation à l’engagement se révèle. Il est bénévole aux Francs et Franches Camarades, son militantisme au sens le plus noble du terme ne cessera pas.
En mai 1968, jeune professeur à Magny-en-Vexin, à la limite de la Normandie, il n’est pas à la fête comme le fut son ami et mentor Pierre Leyris à Paris. Il milite dans le mouvement syndical de l’Education Nationale, dans la petite ville où une institutrice qui faisait grève se voyait pour cela refusée d’être servie à la boulangerie.
Puis il voit en Michel Rocard « le révolutionnaire pacifique dont nous avons rêvé ». Bien plus tard, il le rejoindra comme collaborateur à Matignon.
En Poésie le surréaliste Philippe Soupault sera son « papapoète » qui le fait inviter à la réception de son Prix Italia.
Pierre Boujut, le poète tonnelier de Charente, avec la figure tutélaire d’Adrian Miatlev qui publiait cette revue mythique « La Tour de feu » l’accueille parmi les signatures des Compagnons de la revue.
Il correspond avec Georges Perros et Kenneth White, lit Saint-Pol Roux auquel André Breton a dédié « Clair de terre ».
Son amitié avec les poètes se multiplie tels Jacques Brémond ou Jacques Moreau du Mans.
Dans cette même longue période, maire de Guyancourt en Yvelines, il fait prospérer la petite ville grâce à la Ville nouvelle Saint-Quentin en Yvelines, de 2000 à 260 000 habitants dans le temps de ses mandats.
Ses mérites reconnus lui vaudront d’être décoré Chevalier de la Légion d’Honneur, Officier des Arts et Lettres, Chevalier de l’Ordre national du Mérite et Officier des Palmes Académiques.
« Le Miroir amnésique » nous promène, dans une langue pleine de malice, dans les sphères du pouvoir politique et dans les limbes de l’édition de la poésie.
Edifiant !
Aujourd’hui, Roland Nadaus, récupérant son souffle d’émerveillement dans sa retraite de Mayenne, loin des fureurs de la politique, ne poursuit plus que les chemins de traverse de la poésie.
Retourné à la foi chrétienne de sa jeunesse, heureux dans sa paroisse, le vieux laïcard repenti, saisit dans des poèmes à la pureté de diamant, l’expression de la vie religieuse populaire, dans ce qu’elle a de plus poignant, vécue sans contrainte ni artifice.
Ses poèmes illustrent de géniales photographies en noir et blanc d’Yvon Kervinio.
Il en résulte un livre d’artiste somptueux, d’une haute spiritualité, idéal pour un cadeau de Noël : « L’Amour ça brûle, mais ça illumine » (édité par L’Aventure Carto, 14 €).
Vous pouvez écouter la verve de Roland Nadaus dans l’émission du mardi 22 novembre 2022.
***
Extraits de « L’Amour ça brûle, mais ça illumine » :
Brève et peut-être ultime
confession
d’un-qui-a-vécu :
Apprendre à
pardonner c’est
comme apprendre à revivre
—avec des sangsues sur le cœur—
***
L’hercule de la Foi n’est pas
un hercule de foire
Quand il tire la cloche c’est
pour sonner appeler rappeler signaler annoncer alerter alerter alerter et
tant pis si son ventre d’hercule cache un peu
ses muscles musclés et tout le reste en forme de cloche avecques le battant et les parois
comme sa foi de sonneur :
entre ses cuisses bat la Vie c’est pourquoi
il dédie toutes ses sonneries à l’Amour
—qu’un seul nom résume en lui : Celui en croix qui crie—
J’en connais encore trois de ces hercules-là
sonneurs survivants en la chapelle
de Saint-Marz-hors-Bretagne
—c’est son pseudonyme—
Ils me rappellent ma belle
enfance de chœur quand
je tirais à fond la cloche de mon village cistercien pour qu’
elle sonne aux genoux de mon amoureuse en prière
et qu’elle me croit ange
—avec un sexe secret—
***
Ô la ferveur des foules !
Elle exalte
Elle vocifère
Elle condamne à vue
Au crime légal elle applaudit
Oui quand le Peuple souverain
s’avance
j’ai grand respect mais
j’ai peur aussi
qu’il devienne Foule
et m’ennoie en elle
dans le meurtre infini
de l’Amour fraternel
—au quotidien de la haine ô frères humains…—
***
Oui dans mes temps anciens
certains curés étaient des saints :
j’en connus un qui tint d’une main
le câble plat du paratonnerre
à péchés
—quand la foudre du Destin allait frapper
mon enfance—
D’autres que moi en connurent hélas
d’autres et qui eurent bien d’autres
gestes
Mais un prêtre pervers ne saurait cacher
la forêt de tous ces humbles serviteurs
comme celui qui fut le mien et m’ouvrit
à l’Espérance
—malgré la foudre du Destin—
***
Quand ton enfance
t’interroge
et que tu broies noir
sur noir
Garde quand même l’Espérance
Ne la quitte pas des yeux
ni surtout de la main
—hier n’est pas demain–
***
Poème pour l’Ukraine :
ÉTÉ 2022
J’ai cru qu’il pleuvait mais
ce n’était que le vent
dans des feuilles presque mortes déjà
J’ai cru que l’orage annonçait
la bienveillante pluie mais
ce ne fut qu’un déluge de feux claquant sec
J’ai cru que j’avais cru
que je croyais encore à l’humanité
de tous les humains mais
je suis tombé du haut
de mes orages qui n’étaient
que pets de ce rat de Poutine mais
Ukraine en combat pour la libre Vie
tu me relèves
Ukraine debout tu me remets debout.
Roland Nadaus
Cyril Dion et autres « A l’orée du danger »
Ayant succombé au désir d’escapade de la ville, fût-elle rose, rattrapé par un quotidien inflexible dans sa dictature, trahi par une technologie encore plus violemment tyrannique et abandonné au bon vouloir de mon fournisseur Internet peu ému de mes avaries, je n’ai pu relayer avec la régularité hebdomadaire qui aurait convenu, les émissions « Les Poètes » de quelques propos écrits sur les bons ouvrages lus. Que les auteurs et les éditeurs veuillent bien m’en excuser et qu’ils consultent directement le sommaire des émissions sur le site lespoetes.site à la rubrique « Pour écouter les émissions ».
Pour rattraper ce retard coupable, force me seraitt de réduire présentations et commentaires. Mais il me faut rendre compte, dans l’écrasement d’une société standardisée et marchande, de l’inimaginable richesse littéraire et poétique promue par nos grands et petits éditeurs.
Inlassablement, j’exhibe sur les rayons des ondes de Radio Occitanie et de leur poursuite numérique sur lespoetes.site, quelques élus de la meute d’artistes qui incarnent notre époque ou ont témoigné des époques passées.
En préambule, il m’arrive de citer souvent les réflexions de ceux qui sont nos modèles, ces modèles dont Primo Levi disait que même les plus violents étaient chevaleresques, alors que la vie, elle, ne l’était pas.
Raison de plus pour citer comme dans l’émission du mardi 4 octobre 2022, Henri Meschonnic : « le poème est une invention de langage qui transforme la vie » et Antoine de Saint-Exupéry : « L’homme ne peut vivre que de ce qui peut le faire mourir ».
Au premier rang des motifs de vivre et de mourir il y a l’essence même de la poésie qui est de donner à l’homme, par le génie du langage, sa liberté. Cette liberté qui finit toujours par triompher, mais à quel prix, est le cauchemar des puissants de ce monde vulgaire qu’ils ont créé, tel Poutine, vieux tyran habitué qui répond précisément à la définition qu’en donnait encore Primo Levi pour dépeindre l’homme aveuglé par le pouvoir : « on pouvait reconnaître en lui le syndrome connu du pouvoir prolongé et incontesté : vision déformée du monde, arrogance dogmatique, désir convulsif de rester aux leviers de commande, conviction d’être au-dessus des lois ».
Nous avons signalé à Radio Occitanie les anthologies en faveur de l’Ukraine, la dernière est celle éditée par Bruno Doucey : « Ukraine 24 poètes pour un pays » anthologie établie par Ella Yevtouchenko et Bruno Doucey, illustrations IIona Silvachi, 251 p, 20 €.
A noter par ailleurs, l’anthologie « Voix Vives » (Bruno Doucey éd.) qui comme chaque année réunit les poètes qui ont participé au festival de poésie de Sète. Les occitans en 2022 y figurent en bonne place tels Franc Bardou et Gérard Zuchetto membres tous deux de l’Académie des jeux floraux de Toulouse.
Au sommaire également de cette anthologie Pierre Ech-Ardour, poète résidant du reste à Sète, lauréat en 2018 du Premier Prix de Poésie des Gourmets des Lettres pour « Lagune - archipel de Thau » (édition bilingue français-occitan, I.E.O. du Languedoc éd.). Poète de la lumière intérieure qui illumine toute vie, dans l’intimité de la parole vécue dans le poème, sa spiritualité harmonieuse envahit deux recueils :
« Subodorées prémices » illustration de couverture Anne Slacik, (éditions de L’Aigrette, 61 p, 13 €),
et « Enceinte d’infinitude / délivre la lumière / le silence »
aux éditions Les Poètes français, illustration de couverture Iris Terdjiman, 65 p, 15 €.
La dualité apparente spiritualité réalité dialogue dans les poèmes de ces deux livres qui paraissent s’inscrire dans une continuité de genre, de posture, de quête d’une lumière à relever de « l’obscurité vaincue ». Une poésie des profondeurs qui nous plonge dans les abimes de l’intime du monde et de la disparition. Mais le poème fait resurgir la présence des âmes enfuies comme dans ce poème dédié à Matiah Eckhard, jeune prodige musicien et poète emporté par un destin brutal à 19 ans en pleine effervescence de son art. Matiah Eckhard auteur de « Lointains chants sacrés d’où je suis né » (Levant éd.) livre traduit en Italien, dont le nom a été donné à un Grand Prix International de Poésie, fils du poète et directeur des éditions Levant Michel Eckhard-Elial et de l’artiste Angela Biancofiore, avait ravi à Toulouse, par l’interprétation de ses œuvres musicales le public dans la bibliothèque du musée Georges Labit, venu assister à la présentation d’un numéro de la revue Levant.
« Pouvoirs du poème / qui redonne vie / à celui qui mourait / d’inanition » louait Charles Juliet, pouvoirs du poème qui redonne vie à l’ombre glorieuse de Matiah :
Genèse des odes et librettos
près d’un hymne à ta vie
désuni du livre noir
fraie ton encre les passages
Origine des mémoires
au-delà de tout oubli
par la grâce de ta jouvence
exalte intime ta souvenance
Insonores tes émergences
enlumine ton être délié
vibre l’ennuagé piano
spectrales empreignent ta présence
(poème sur Matiah in Enceinte d’infinitude... de Pierre Ech-Ardour)
« Prisonnier de l’univers, s’évade, poète grimé de son temps, le messager d’ostensible vie. A ses questions, répondent indifférentes à tout, ses libertés » avertit Pierre Ech-Ardour en préambule des poèmes de « Subodorées prémices » :
« Empreint en l’ombre d’une voix assainie,
caché sous l’ancienne cité désagrégée, muait
fixement l’effacement.
Seul sait encore dépeindre le sable un
naufrage sans autres allures.
Quand ébruiteront les cris égarés ? »
***
Les excellentes éditions érès Po&Psy ont eu la bonne idée de rassembler de manière synthétique qui est la marque de ces éditions dirigées par Danièle Faugeras et Pascale Janot, les « Chroniques du Monde des livres » sous le titre TRANS/POESIE du poète essayiste Didier Cahen dans un livre au format poche avec une mise en page géniale qui rend la lecture attractive. Un bon digest de l’ensemble des regards portés sur les œuvres des grands poètes par Didier Cahen, utile à ceux qui veulent embrasser le grand panorama de la poésie du monde, même si quelque fois une opinion heurte, comme celle sur Christian Bobin : « Vraie sensibilité ou fausse naïveté ? C’est selon... » (éd.Po&Psy, coll. a parte, 192 p, 18 €).
***
L’essentiel de l’émission du mardi 4 octobre 2022 est consacré à l’essayiste, romancier, cinéaste et poète Cyril Dion qui publie à Actes Sud
« A l’orée du danger » poèmes, (95 p, 10 €), son deuxième livre de poésie après « Assis sur le fil » (éd. La Table Ronde).
Le lyrisme de la révolte, le langage familier d’un homme de son temps, l’angoisse véritable qui étreint l’homme en colère, la violence à fleur de peau, l’interrogation métaphysique sur la déréliction de l’homme, le refus de l’asservissement des masses par l’exploitation marchande du monde, tout cela dans une langue magnifiquement orale, font de « A l’orée du danger » un lamento puissant pour réveiller nos consciences habituées. Un livre coup de poing qui lance un appel à la tendresse, à l’éclaircie dans l’orage, à la lumière dans les caves où moisissent nos rêves éteints. Le ton narratif alterne avec le poème concis, resserré sur une peur, une interrogation.
Cyril Dion décille nos yeux fatigués de l’observation du monde, ombrant ses contours pour détacher les silhouettes qui sillonnent la vie, non par les images du cinéaste qu’il est par ailleurs, mais par le langage, l’éclairage de la langue.
« Sois la poésie de ce qui te brise » écrivait le 20 juillet 1941, Joë Bousquet ; c’est exactement ce que réalise Cyril Dion avec « A l’orée du danger ».
***
Nous ne sommes pas nés
pour recouvrir cette terre de mélasse grise
pas nés pour les allées des hypermarchés
pas nés pour cracher le gaz gras
l’échappement puant
la brume noire des hauts-fourneaux
pas nés pour réduire en cendre
pas nés pour saigner à blanc
pas nés pour pisser dans l’eau claire
dressés sur les cuvettes immaculées
pas nés pour nous entasser
dans les couloirs
les fumoirs
les tunnels
pas nés pour les photocopies et la machine à café
pas nés pour les chips barbecue et les sandwichs triangulés
pas nés pour le carnage, le ménage, la télé
pas nés pour engraisser
dix types à bretelles
à lunettes
pas nés pour Wall Steet
pas nés pour l’argent
pas nés pour Kim Kardashian.
Nous sommes nés pour la pluie et le vent
pour les yeux énamourés
pour lr culot sauvage et les outres de vin
pour les tombereaux de lumière
l’élan droit et clair
pour ma peau sur ta peau
pour ma main dans ta main
pour hurler aux cieux
rampants et rompus
pour abîmer nos semelles.
Nous sommes nés pour l’horizon
et les couchers argentés
pour les draps frais et le bois lisse
pour les mots qu’on murmure et les cascades de notes
pour l’ardeur et la fébrilité.
Nous sommes nés
pour être enfin ici
les yeux grands ouverts
et le monde sous nos pieds.
Debout
***
Besoin d’être tenu
contenu,
que d’autres peaux, d’autres mains
soulagent le lointain
la béance
besoin que les bras
les claquements de langue
les gorges déployées
repoussent le froid,
le gris,
le raide.
Besoin d’une caresse.
***
Grisélidis Réal
- On trouve du bonheur partout surtout sans le chercher -
C’est le Capitaine Slam alias Thierry Toulze le poète du Slam à Toulouse qui entame l’émission du mardi 17 mai 2022 avec son texte satirique plein de cet humour grinçant qu’il affectionne : « Captain V.I.P. », un morceau peu avare sur la saine autodérision inconnue de certains poètes aussi solennels que de vieux hiboux. Ce moment réjouissant est extrait du CD « Slam d’Oc ».
Joël Cornuault déjà cité pour deux publications dans l’émission du 12 avril 2022 qui avait été consacrée à Oscar Hàhn, est de nouveau au sommaire de cette émission du 17 mai 2022. Il faut dire d’une part la qualité de la revue qu’il dirige : « Des Pays Habitables » (en vente en librairie, 14 € le n°5, avec une diffusion assurée par les éditions Pierre Mainard, mais aussi accessible par abonnement, 45 € à commander à : librairielabrechevichy@gmail.com.
Le n° 5 réserve une belle place à Jean-Pierre Le Goff (1942 - 2012), reprend « D’un château à l’autre » de notre poète de Montauban Jean Malrieu (1915 - 1976), met côte à côte Henry David Thoreau et Elisée Reclus dans un arbitraire partage des eaux et après une série de contributions toujours passionnantes, termine sur deux enfants poètes de Colombie inscrits dans le mouvement d’avant-garde poétique le nadaismo, le néantisme.
Une revue d’une belle facture et d’une puissante originalité !
***
Mais c’est son dernier ouvrage à Joël Cornuault « Les Grandes Soifs » aux éditions Le Cadran ligné, 125 p, 16 €, qui est mis en avant dans cette émission. Rien n’est plus révélateur de la pensée et de la posture d’un auteur que les réflexions qu’il livre au fil de l’eau, dans une forme plus élaborée qu’un Journal mais qui recèlent les rêves et les emballements salutaires propres à tout créateur. On y retrouve Elisée Reclus avec une analyse sur « connaissance et poésie » et, entre autres, « Sur les chemins, l’imagination ». C’est un extrait de « Michel Butor, poète ascendant » que je choisis de faire écouter pour inviter à lire ces réflexions exaltantes, signe d’un esprit de haut vol qui interroge toujours sur le réel vécu par nos grands penseurs.
***
Le réel vécu illumine aussi le dernier recueil de poèmes de Régine Ha Minh Tu « La cloche en sol dièse », dessins d’Yves Gaubert, constituant le 519ème Encres Vives (le n° 6,20 €, abonnement 40 €, chèque à adresser à Michel Cosem, Mas de Pestel, 46320 Issepts).
Voilà quelques années que nous attendions de nouveaux poèmes de cette artiste dont Bruno Durocher publia le premier recueil « Mots sans lune » en 1991 à ses éditions Caractères.
Celle qui fut bibliothécaire en Limmousin, puis longtemps traductrice-archiviste aux Archives internationales de la persécution nationale socialiste en Allemagne, occupa un poste de bibliothécaire universitaire à Berlin, Lyon et enfin à Toulouse où lui fut confiée la gestion des revues scientifiques à l’Université Paul Sabatier. Membre de la Société d’Histoire Naturelle de Toulouse, elle organisa dans notre ville, entre-autres, une riche exposition de ces revues dont je garde un excellent souvenir.
Aujourd’hui, heureuse jeune retraitée, elle vit dans le beau département de l’Aude comme son illustrateur Yves Gaubert, par ailleurs réparateur d’accordéons et facteur d’accordéons diatoniques.
Après « Revers d’encre », « La Morsure » et « L’Empreinte » trois recueils parus à Encres Vives, Régine Ha Minh Tu, née à Paris de père vietnamien et de mère berrichonne, revisite dans la lumière de son dernier domicile dans l’Aude, les lieux multiples qu’elle a traversés en un abécédaire « comme une prière lancinante à [sa] vie » alors qu’ « une cloche sonne non loin ».
L’abécédaire interdit une reconstruction chronologique de sa vie ponctuée par les lieux. C’est pourquoi l’auteure mentionne en regard du nom du lieu, la date de sa fréquentation.
La mise en page, les illustrations, la brièveté des textes, poèmes en prose, rendent ce parcours de mémoire très attrayant. Seul le poème peut extraire en quelques lignes la racine profonde d’un lieu avec une aussi intense subjectivité. Les lieux sont les moments de vie. En partageant ses lieux, nous partageons sa vie.
Les lieux s’animent et chacun recèle une sensualité propre.
Avec Régine Ha Minh Tu nous voyageons, sautant d’une ville à l’autre sans aucune logique géographique, d’un pays à l’autre, d’un continent à l’autre. A chaque saut, une tranche de vie avec ses couleurs, ses odeurs, ses sentiments, ses images. Et le lecteur se confronte à sa propre expérience des lieux s’il les connaît et à la découverte des autres. Dans un intérêt et un enrichissement constants. Sa curiosité piquée au vif, le lecteur marque des étapes inconscientes dans la remontée de tous ces lieux, en appelle à sa mémoire, retrouve des sensations oubliées, rêve dans l’imaginaire de l’inconnu. On en vient à se surprendre à commenter chaque ville de l’abécédaire.
Une lecture vivante, vous dis-je, trop tôt achevée. A lire et à relire !
***
Il est heureux que la place des femmes dans la poésie aujourd’hui apparaisse à l’évidence comme prépondérante. Elles investissent tous les domaines artistiques et élargissent avantageusement le représentation du réel, le poème y fixant la quintessence. L’expérience poétique n’est à son apogée que si elle se double d’une expérience du vécu.
Un vécu brûlant de tous les feux de la passion amoureuse, de la révolte contre l’éducation étriquée de la mère, contre le calvinisme, les conventions sociales, allié à une intelligence hors du commun et à un authentique génie poétique révélé comme Rimbaud dès l’adolescence, c’est ainsi que s’est construit la personnalité poétique la plus surprenante et la plus pathétique de la deuxième moitié du XXème siècle et du début du XXIème.
Cette personnalité est une femme, et quelle femme !
Grisélidis Réal poète suisse ayant aussi écrit en allemand a déroulé sa vie de 1929 à 2005 comme un roman à la Zola, mais dans la poursuite d’un idéal conçu dans la pire des postures mais digne des grands mystiques.
C’est Nancy Huston la grande écrivaine franco-canadienne qui nous interpelle avec force sur le destin et l’œuvre de Grisélidis Réal. Un cri d’admiration après avoir étouffé celui de la colère. Elle reconnaît sa consœur suisse comme « la Reine du réel ». Alors elle préface le livre de poèmes, ces poèmes épars de toute une vie qui ont été rassemblés par les éditions Seghers sous le titre :
« Chair Vive - Poésies complètes » 250 pages, 17 €.
Grisélidis Réal qui a défrayé la chronique dès 1975 en prenant le leadership de la défense des prostituées, fonction qu’elle exerçait, n’était connue que comme écrivaine ayant produit un roman, des correspondances, des carnets, un journal intime et surtout pour ses interviews et articles dans la presse.
En résumé c’était une prostituée qui écrivait sur la prostitution.
Et l’on découvre une poète dont la vocation était scellée dès le 15 avril 1942 lorsqu’elle écrivit « Le cycle de la vie » poème conservé par sa mère pour la perfection du style, mais surtout stupéfiant de maturité pour une enfant de treize ans.
Le cycle de la Vie
Jouez, enfants, dans la lumière
dit la Vie au rire argentin,
Ne soyez soucieux ni austères,
Mais ivres d’espoir et de joie
comme fleurs écloses au matin.
Chantez, jeunes femmes aux yeux clairs
L’Amour se lève à l’ombre du cœur
Laissez-le éclairer votre voie
Laissez s’envoler la Douleur
Ne goûtez à la Coupe amère.
Laissez couler, femmes mûries,
Vos larmes après la haine ;
Piétinez vos âpres souffrances.
Espérez, vous redit la Vie
Enterrez vos rêves et vos peines.
Eteignez, vieilles, de l’Existence,
Et du Refus, le pâle flambeau
Du cœur fermez la fenêtre,
Pensez à ce qui fut beau
Et bénissez ce qui va l’être.
Grisélidis va vivre toute la panoplie misérable de déboires que peut cumuler une femme. La tuberculose, très jeune ; des amants afro-américains violents, le premier, Bill, schizophrène négligeant de suivre un traitement, l’oblige à se prostituer ; le second Rodwell l’entraîne dans un foireux trafic de marijuana qui la conduit en prison.
Mais partout elle aspire à retrouver sa « Cathédrale intérieure ».
Pour ses écrits, elle n’a jamais voulu s’encombrer d’une formation universitaire, c’est une autodidacte douée portée par sa fringale de lectures. A sa sortie de prison en Allemagne, recueillie dans une roulotte par des Tziganes, elle gardera toujours du mépris pour les puissants.
Ainsi que le relève Nancy Huston dans son livre « Reine du réel - Lettre à Grisélidis Réal » (éditions Nil, 163 pages, 16 €), la poète suisse « fabrique de l’art avec son malheur et répand le bonheur ».
Le titre « Chair Vive » qu’elle a choisi s’entend à la fois comme « Ma chair est à vif » et « Que vive le chair ». Car Grisélidis fait l’apologie de l’hédonisme, cette « idéologie des gens qui n’ont plus d’espoir » selon l’expression de F. Beigbeder. La création délibérément provocante de G. Réal se veut un témoignage pour réveiller le monde, mais aussi un acte de justice à l’égard de ses sœurs de misère, les prisonnières de Munich, les prostituées et par extension toutes les victimes des préjugés racistes et sociaux.
Le masochisme inconscient de l’auteure trouve son point culminant avec sa relation éperdue avec un jeune prisonnier Hassine Ahmed qui s’avère n’être qu’un homme aussi stupide que violent. Heureusement, Grisélidis, dégrisée, dénonce dans un revirement total la violence inadmissible de son ancien amant surtout intéressé par son argent à elle.
Tous ses écrits fracassants « La Passe imaginaire », « Le Sphinx », « Le Carnet noir », « Grisélidis courtisane » expriment la rage qui la tenait debout. Ses vrais écrits sont sa correspondance et surtout ses poèmes. Ils contiennent une humanité unique.
A la fin de sa vie, hospitalisée pour un cancer cruel, elle écrit des poèmes dans le filon le plus pur et dans le sens le plus dur. Poignants ! C’est une grande dame qui toise la souffrance, fait front face à la mort et avant de se couvrir de silence exhorte encore à résister parce « qu’on trouve du bonheur partout, et surtout sans le chercher ! »
En reprenant l’éblouissant recueil « Le Christ aux coquelicots » de Christian Bobin (réédité par Les Lettres Vives) pour me reposer de la tension des poèmes de Grisélidis, je m’arrête sur ce poème :
« Un jour on sort du paradis et on voit ce qu’est le monde : un palais pour les menteurs, un désert pour les purs.
Je me demande comment les enfants survivent à leur chagrin. »
Je crois que Grisélidis Réal répond à la question : en faisant de leur vie l’enveloppe de leur colère et de leur « Cathédrale intérieure » l’aventure spirituelle et affective où se joue leur liberté.
Vous pouvez écouter cette émission sur le site : lespoetes.site à mardi 17 mai 2022.
Extraits de « Chair Vive » :
La putain
Je suis sous la puissance d’un monstre
Au cœur dur de granit
Le soir il m’envoie toute seule
Danser dans les boîtes de nuit
Assise dans la lumière rouge
Je bois du Whisky
Parmi les imbéciles
Et je fais la putain pour nourrir mes enfants
On y massacre la danse
On y massacre l’amour
On y tue la musique
A grands coups de bruits
Mon cœur est un désert
Immense au goût de mort
Mon visage est un masque
Une cage à lions
Des dents d’acier pour mordre
Un sourire de fer
Des flaques de venin noir
Sous des paupières de plâtre
Où tremble comme un reflet d’un autre monde
Un diamant éclaté
Je reste toute la nuit dans la fumée
Sans parler sans rire
Sans faire un geste
J’attends que meure jusqu’à l’aube
Dans mes cheveux cette rose volée
Unique chair vivante
Que regrette l’été.
***
Femme
à tous mes amants présents et futurs
Je dis Aube
Ma bouche est l’oiseau du sommeil
A minuit mes mains se déplient
De leur chrysalide charnelle
Un rêve obscur jaillit
Les fruits de mes seins éclatent
Et répandent leurs graines
Pour féconder la terre
Et consteller le vent
Je suis l’Unique
Indivisible
Et multiple
Je prenais chaque nuit
Sculptée par vos caresses
Et guide vos visages
Vers de secrets univers
Méduse au corps de soleil
Où vous brûlerez vos ailes
Venez goûter à ma chair
Pareille à la grenade
Je vous donnerai l’oubli
Qui vous rendra éternels.
(poème écrit en n’ayant pas toute ma raison)
***
Mort d’une Putain
Enterrez-moi nue
Comme je suis venue
Au monde hors du ventre
De ma mère inconnue
Enterrez-moi droite
Sans argent sans vêtements
Sans bijoux sans fioritures
Sans fard ans ornement
Sans voile sans bague sans rien
Sans collier ni boucles d’or fin
Sans rouge à lèvres ni noir aux yeux
De mon regard fermé
Je veux voir le monde décroître
Les étoiles le soleil tomber
La nuit se répndre à sa source
Et m’ensevelir dans sa bouche
Muette la dernière couche
Où m’étendre enfin solitaire
Comme un diamant gorgé de Terre
Me reposer dormir enfin
Dormir dormir dormir dormir
Sans plus jamais penser à rien
Mourir mourir mourir mourir
Pour te rejoindre enfin ma mère
Et retrouver dans ton sourire
L’innocence qui m’a manqué
Toute une vie à te chercher
Te trouver pour pouvoir te perdre
Et te dire que je t’aimais.
(Ecrit la nuit, Genève 2005, Clinique Le Cesco)
Charles Juliet, l’aventure de la quête de soi
L’émission du mardi 26 juillet 2022 signale le livre de
Paul Sanda : « La précession des sphères, poème précédé du Tribute to Patricia Barber » éditions unicité, 80 pages, 19 €.
Un livre d’une grande tenue avec une remarquable préface d’Odile Cohen-Abbas et des illustrations éloquentes de Klervi Bourseul, que nous livre Etienne Ruhaud dans sa collection « l’éléphant bleu » des éditions unicité.
Paul Sanda, éditeur à Cordes-sur-Ciel dans le Tarn dirigeant les éditions Rafaël de Surtis qui contribuent depuis longtemps à l’essor de la diffusion de la poésie, est un artiste au talent polymorphe qui perpétue avec toute son originalité où domine une activité spirituelle intense, le génie des surréalistes.
La musique est un visage de la spiritualité et Paul Sanda sans surprise s’en nourrit. Mélomane il fait entrer la musique dans l’objet des poèmes : « L’édifice que la musique élève (la piété) / est une délivrance, au creux de l’abstrait ».
La langue du poème est foisonnante, travaillée comme une œuvre d’art et ne laisse aucun espace au prosaïque, en particulier dans ses poèmes en prose.
Paul Sanda retrouve le Grand Œuvre des poètes surréalistes dans la richesse de l’inattendu du langage. Tous ses poèmes, qu’ils auscultent les instruments de musique ou la trace laissée par la chanteuse de jazz Patricia Barber ou les grands compositeurs parfois enfouis dans l’immensité de notre patrimoine musical, convergent inexorablement vers « ces nobles espaces » les sphères qui incarnent si justement sa finalité spirituelle.
***
Paul Sanda nous le retrouvons au côté de Bruno Geneste pour un livre qu’ils signent en commun : « Un siècle d’écrivains à Cordes-sur Ciel et environs » préfacé par l’Ambassadeur Eric Lebédel et des photographies de lieux ou de portraits des auteurs cités, aux éditions Rafaël de Surtis, 224 pages, 25 €.
J’avoue avoir été comblé par ce livre. Il fixe de façon concrète et intelligente, la richesse littéraire d’une partie de notre Occitanie. Il serait utile qu’une semblable démarche de restitution de notre glorieux passé littéraire soit entreprise à Toulouse, Montpellier, Narbonne, Perpignan et dans bien des villes et des lieux d’Occitanie.
Car c’est vertigineux d’assister à cette traversée de Cordes d’écrivains et de poètes depuis Prosper Mérimée né en 1803 jusqu’au poète slameur Capitaine Alexandre, Marc Alexandre Oho Bambé, le benjamin, né en 1976 ; une cohorte de fantômes à la parole immortelle des de Guérin, Hector Malot, Jean Giono, Violette Leduc, Albert Camus, Yves Bonnefoy au dernier disparu en 2021 : Hervé Rougier.
J’ai choisi de lire un extrait des pages consacrées à un de nos grands noms de la poésie : Jean Malrieu né en 1915 et décédé précisément l’année de naissance de notre slameur Marc Alexandre Oho Bambé : 1976. Mais saurons-nous éviter à Malrieu comme à Gaston Puel de simples mentions polies dans quelques anthologies ?
Le travail de Bruno Geneste et de Paul Sanda est à saluer. Avec ce rappel sur un siècle, ils ont fait œuvre d’utilité publique !
***
La guerre en Ukraine s’installant dans la routine de nos actualités, chassée des consciences par le désastre des incendies et de la sècheresse, j’ai repris le petit livre d’une grande portée : « Des ailes pour l’Ukraine » de Jean Lavoué aux éditions L’enfance des arbres, 50 pages, 9 €, vendu au profit d’associations venant au secours des populations en souffrance.
Enfin, j’ai voulu, parce que c’est la vocation de la radio, faire écouter la voix d’un de nos grands poètes vivants : Charles Juliet, né en 1934.
Jean-Pierre Siméon connaît bien l’œuvre de celui qui connut un succès populaire non par ses poèmes mais par le récit d’un épisode de sa vie : « L’année de l’éveil » qui fut porté sur les écrans.
J’ai découvert Juliet voici quelques décennies dans des revues à petit tirage. Aujourd’hui il occupe une longue partie d’une étagère de ma bibliothèque. Celui qui est venu à la poésie par Antonio Machado, a connu les affres du doute sur l’opportunité d’écrire des poèmes.
Juliet : un mystique de la poésie, la poésie étant ici la recherche de soi-même.
« Cette aventure de la quête de soi, tout être la vit. C’est elle qui donne saveur, sens et lumière à l’existence. Mais chacun a son chemin » écrit-il dans « Une lointaine lueur » (Fata Morgana éd. 1992, p 19).
Charles Juliet lit « Pouvoirs du poème », le poème qui redonne vie à celui qui mourrait d’inanition.
Un ami poète qui a écouté l’émission et la parole de Juliet m’a écrit s’être senti alors comme Jef dans la chanson de Jacques Brel : « Non, Jef t’es pas tout seul ! »
Charles Juliet est ce poète qui brise la solitude de l’autre, lui redonne de la joie, cette « joie grave doublement née des ténèbres et du jour » que cite Jean-Pierre Siméon dans son livre consacré à Charles Juliet : « La conquête dans l’obscur » (Jean-Michel Place éd. 2003).
Vous pouvez écouter Charles Juliet dans l’émission du mardi 26 juillet 2022 sur le site lespoetes.site.
Abdellatif Laâbi - Mohammed Khaïr-Eddine
« La poésie est invincible. »
La chanson poétique est à l’honneur en cette touffeur estivale du mardi 19 juillet 2022. Dans l’émission de ce jour, quatre artistes se succèdent : le slameur Paul Bertrand alias Cyclic (Enterré sous X) avec « Mayde Please » (extrait du CD « Slam d’Oc », Jacques Barthès avec « Ballade pour une histoire vécue », Bruno Ruiz avec « Pauvre Orphée » et Jacques Louvet avec « Souvenirs nomades ».
Les poètes ont toujours lancé leurs cris pour conjurer la guerre ou le malheur que l’homme fait à l’homme.
Trois d’entre eux éveillent de leur génie poétique nos consciences habituées : Jean-Pierre Siméon dont je lis un extrait de « Stabat Mater Furiosa » (éd. Les Solitaires Intempestifs), Georges Perros avec ce poème dont le premier vers est : « Les guerres n’est-ce pas » et Jean Sénac, le poète assassiné, avec : « Miroir de l’Eglantier ».
Cette lecture est suivie de « Genevilliers » incandescent poème du Marocain Mohammed Khaïr-Eddine (1941 - 1995) qui connut le sort des travailleurs immigrés des années soixante lorsque « L’argent tranchait le cou aux bidonvilles ».
Mais la poésie dont on ne cessera jamais de faire l’éloge avec Jean-Pierre Siméon qui nous assure qu’elle sauvera le monde, est invincible.
« La poésie est invincible », c’est le titre de ce prodigieux poème d’un autre poète marocain, Abdellatif Laâbi resté au pays durant ces années soixante durant lesquelles le Roi Hassan II prit possession au sens le plus exact du terme, de son royaume.
L’intelligence et la cupidité exceptionnelles du nouveau monarque allaient façonner le pays à sa main, sans retenue avec une folle répression.
Les poètes, enivrés de l’essor culturel qu’ils avaient appelé de toutes leurs forces vives, rassemblés autour de la revue « Souffles » connurent eux aussi la vie des cachots.
Dès 1966, nous étions alertés.
En 1969 et 1970, avec mon ami Michel Bocquet* dont le père avait été Procureur Général sous le Protectorat et qui avait gardé des relations de sa famille avec les notables judiciaires, nous fîmes le tour de ces magistrats et des grands puissants de l’entourage du Roi. Reçus toujours avec courtoisie, nous n’eûmes même pas la possibilité de mener à son terme l’expression de nos interrogations sur le sort des poètes emprisonnés dont nous avions quelques noms. Nous étions ballotés de longs repas en longs repas, conscients d’être des visiteurs aussi peu attendus qu’incongrus.
Seule oasis dans ce désert d’empathie absente, le précepteur du Roi, demeuré à Rabat, un Ariégeois qui d’emblée perçut ma mélancolie et mon malaise dans ce pays qui me fuyait. Il nous révéla qu’Hassan II était d’une intelligence remarquable et qu’il fut son meilleur élève.
Rentrés bredouilles et dépités, la suite des événements qui frappèrent le Royaume du Maroc et Hassan II doté de la baraka, aggravèrent la répression à l’égard des intellectuels et des poètes.
Abdellatif Laâbi fut condamné en 1972 à dix ans de prison. Il passa plus de huit ans au cachot, survivant et reprenant des forces par l’écriture de poèmes.
Comme mon ami le poète Irakien Salah Al-Hamdani, la geôle fut un lieu de naissance du poème.
Alors oui, ces deux là sont autorisés à nous dire que « La poésie est invincible. »
C’est ce poème « La poésie est invincible » extrait de
« L’homme est un accident de la vie sur terre » éd. Le Castor Astral Poche / Poésie, 150 p, 9 €), qui conclut l’émission du mardi 19 juillet 2022.
*Michel Bocquet fit partie du Pop Club Poésie que nous avions fondé à Toulouse en 1965 avec Michel Eckhard-Elial et Jacques Miquel et dont Jacques Brel était le Président d’Honneur.
Extraits de « La poésie est invincible » :
Je puis l’attester :
la poésie est invincible
Je le sais
Je l’ai vu
Je l’ai vérifié
cent fois plus qu’une
Rien ne l’arrête
ni la cruauté des hommes
ni celle des dieux
Ni les rodomontades des puissants
ni les verdicts irrévocables de la mort
De la folie à la raison
et vice versa
elle offre le voyage
et les visites guidées
La poésie est fière
Face aux tempêtes
elle ne plie
ni ne rompt
Effrontée
insoumise
féroce
excessive
mutine toujours
elle ne mâche pas ses mots
et ne refuse aucune licence
Amorale ? Immorale ?
Le qu’en dira-t-on l’indiffère
Dans ses jardins suspendus
la poésie cultive
la distraction
la lenteur
le frisson d’avant le regard
d’avant le toucher
Elle défriche
le sixième sens
puis le septième
le huitième...
****
Casimir Prat écrit son Antigone
Le mardi 12 juillet 2022, pour l’émission en direct de « Les Poètes » je reçus Casimir Prat, figure de la poésie à Toulouse depuis quatre décennies.
Les poèmes de Casimir Prat revisitent le temps, tentent de le retenir, lui qui n’est que sable qui file de la main entre les doigts.
Or, Sophie Nauleau a fait paraître au début de l’année un nouvel essai, percutant comme toujours, sur cette fuite du temps :
« S’il en est encore temps » (Actes Sud éd., 75 p, 13 €).
Celle qui a vu le jour à Toulouse, comme Casimir Prat, a rédigé une apologie de l’éphémère à 44 ans « l’âge où l’on commence à ne plus pouvoir espérer vivre le double » selon Jules Renard dans son Journal en 1908.
Dans ce plaidoyer qui est aussi celui en faveur de la poésie - la vocation indéfectible de la directrice du Printemps des Poètes - le ton est alerte, familier, terriblement vivant. Comme Yves Charnet, elle cite les paroles de chansons de variétés françaises et anglaises au même titre que les auteurs. Elle a l’aisance de sa génération et de l’épanouissement de la quarantaine. C’est cette assurance qui l’autorise à considérer le temps imparti à nos destinées avec autant d’acuité voire de défi.
C’est la poésie qui la délivre de l’angoisse paralysante de la mort. La poésie est l’école de la lucidité et nous prépare à nous familiariser avec l’inévitable : « En me consacrant à la poésie plutôt qu’à toute autre forme de commerce, peut-être ai-je choisi d’exorciser le désespoir à la vie à la mort. Révoltée que j’étais que nul n’ait trouvé d’antidote à l’affliction humaine qui nous tombe sur le paletot à chaque sépulture. Je ne prétends pas qu’il faille faire une fête des funérailles, encore moins atténuer la douleur, mais au moins apprendre à s’acclimater avec ce qui nous attend tous, au bout du chemin. La seule inévitable vérité et certitude qui soit. »
Sophie Nauleau nous renvoie à notre humilité oubliée. L’humanité doit savoir « s’éclipser de temps à autre », à ne plus mettre « l’humain toujours en haut de toute pyramide ». Comme les Dinosaures, l’espèce humaine passera. Et puisque « contrairement à l’impossible, à l’éphémère sommes tenus », la poésie qui conjugue l’éphémère à tous les temps « a des vertus vitales tout aussi cruciales que l’activisme politique.»
L’activisme poétique si légitimement revendiqué par Sophie Nauleau ne l’écarte pas du réel, car la vision poétique du monde, comme ne cessent de la proclamer les poètes - dont Jean-Pierre Siméon - est une approche accrue de la réalité.
De tous les maux engendrés par la production de l’activité humaine constate l’auteure, « la prolifération humaine est le pire des ravages environnementaux.»
Pouvoir se fondre dans l’éphémère comme le poème, est la clef d’une frugale sagesse : « Pas de doute, l’insecte qui a donné son nom au temps qui nous dévore hausse le ton de la vie. »
***
L’homme politique lui, n’hésite pas à ôter la vie aux peuples qu’il convoite.
« Noir convoi, nuée de corbeaux, d’où viens-tu ?
Nous sommes, aumônier, habitants d’une ville qui n’est plus ;
Venus apporter ici la fatigue et la docilité
Dis aux tiens, qu’il n’y a plus personne sur qui tirer.
Notre ville était de pierre et d’acier
Il ne nous reste que nos valises à porter.
Avec dedans des cendres sous les tirs amassées
Maintenant nos rêves sentent le brûlé. »
écrit le poète ukrainien de renom Serhiy Jadan, originaire du Donbas, poème repris dans l’ « Anthologie du Donbas » (L’Harmattan, 175 p, 19 €).
***
Casimir Prat a déjà une œuvre derrière lui comme le précisait voici quelques années le poète, ô combien regretté, Michel Baglin.
Il fait tout d’abord paraître « Herbier » en 1980, dans la revue Vagabondages qui avait alors une large diffusion, puis Henri Heurtebise, en 1983, publie son premier recueil dans la revue Multiples « L’horreur ou la merveille » avec un avant-propos de Francis Ponge. Il multiplie ensuite les publications jusqu’en 2005, est lauréat en 1989 du prix Antonin Artaud pour « Elles habitent le soir » (éditions de l’Arbre 1988), du prix Max-Pol Fouchet en 1995 pour « Tout est cendre » (éditions le Dé Bleu) et ses poèmes de 1995 à 2004 sont repris sous le titre « Sait-on jamais » par les éditions Gallimard, collection L’Arpenteur, avec une préface de Guy Goffette, en 2005.
Avec l’ensemble de ses poèmes, il illustre, s’il le fallait, la pertinence de l’essai de Sophie Nauleau sur le fait qu’il est toujours « encore temps » pour dire le monde dans le poème. La lucidité chez ce poète est la lumière qui transfigure le réel dans ce qu’il peut avoir aussi de quotidien. C’est le regard du poète qui porte la lumière sur notre univers familier. Sans doute, les livres de Casimir Prat sont le reflet d’un éternel questionnement irrésolu. Que faire devant la disparition des choses, des êtres et la nôtre ? Cerner, emprisonner l’éphémère dans le poème pour en faire don à ce futur qui encore nous échappe, c’est la mission du poète. Et il faut dire à Casimir Prat qu’il l’a réussie !
N’allez pas croire cependant que les élégies de ce poète soient des lamentos. Ni cris de révolte, ni cris de plaintes. Mais la gravité, propre à la poésie comme le souligne Jean-Pierre Siméon dans son « petit éloge de la poésie ».
Gravité, sans pathos, signe de la grande poésie. Celle par exemple de James Sacré qui évoque la disparition de son père dans « Quel tissu se déchire ? ».
Ce succès qui veut que les poèmes de Casimir Prat parlent intimement à chacun d’entre nous, est le fruit de la maîtrise de la langue, riche dans ses métaphores, ses images, mais retenue comme pour brider la trop forte émotion qui en diluerait le sens.
Casimir Prat, dans l’entretien mené sur son œuvre, sur la poésie, incarne le poète de conviction, aux aguets avec la sensibilité hypertrophiée propre à l’artiste. Et je préfère vous le laisser écouter plutôt que d’en brosser un approximatif compte-rendu.
Au cours de notre conversation, alors que je lui faisais part de la parution aux éditions Cap de l’Etang de 2 tomes des « Poèmes d’amour » de Miguel Hernández, j’ai - malignement, je l’avoue - réveillé le bouillant militant de la poésie et de l’humanisme qu’il n’a jamais cessé d’être, lui, fils de réfugiés républicains espagnols. A Lorca à la poésie complexe et sublime, il préfère les poèmes d’une tranchante simplicité d’Hernández qu’il considère comme le plus grand.
Est évoquée aussi la figure de notre ami poète, Henri Heurtebise qui le publia dans la revue « Multiple ». Pour cela, j’ai diffusé un extrait d’une émission de 1981 au cours de laquelle j’interrogeais H.H. sur les sujets de ses poèmes et qui y répond en citant la ville et la modernité. Moment émouvant de ce retour dans le passé historique d’un poète de Toulouse, alors épris de notre ville, mais qui vite, retourna à plus de nature dans son refuge de Longages pour y écrire « Longages quelques saisons ».
Puisque nous avançons toujours dans le futur éclairés par les lueurs du passé, Casimir Prat nous livre des extraits de son livre de poèmes en projet, qui a pour thème central Antigone.
La fille d’Œdipe guide son père aveugle. Ses deux frères Etéocle et Polynice au cours de la guerre de Thèbes sont devenus ennemis et se sont entretués. Le roi Créon, oncle d’Antigone a interdit d’offrir une sépulture à Polynice qui a combattu contre sa patrie. Antigone connaissant le sort tragique qui lui sera réservé, brave cet interdit. Créon la condamne à mort.
Désintéressement absolu, sens du devoir plus fort que sa propre vie, courage, telles sont les vertus mythiques d’Antigone. Elles ont inspiré une pléthore d’œuvres littéraires (dont le succès planétaire de la pièce de Jean Anouilh).
Aujourd’hui, dans la pleine maturité de son art, Casimir Prat s’empare avec puissance de ce mythe. L’épopée et la familiarité nostalgique du monde fusionnent.
Il en lit dans une longue envolée de larges extraits que je vous invite à écouter.
Ce sera un grand livre qu’il viendra, bientôt j’espère, nous présenter.
***
Jean-Pierre Siméon L’intense
Les émissions du mardi 28 juin et du mardi 5 juillet 2022 ont été consacrées à Jean-Pierre Siméon.
Agrégé de lettres modernes, auteur d’une œuvre poétique déclinée dans plus d’une vingtaine de livres, auteur de romans, de récits et de poèmes pour la jeunesse ainsi que d’une importante œuvre théâtrale où la poésie est toujours présente, il fut directeur pendant vingt ans du Printemps des poètes et poète associé au Théâtre national populaire. Il dirige actuellement la collection poésie aux éditions Gallimard. Il vient de recevoir le Grand Prix de Poésie de l’Académie Française.
C’est dire qu’il incarne aujourd’hui la figure du poète français.
Après ses deux essais : « La poésie sauvera le monde » (éd. Le Passeur, 2015) et « Politique de la beauté » (éd. Cheyne, 2017), il fait paraître chez Gallimard, collection folio sa haute contribution à la série « Petit éloge de... » avec un essai incisif : « Petit éloge de la poésie ».
« Petit éloge » était le titre obligé de cette collection prestigieuse folio qui porte la grande vulgarisation à son bénéfice le plus noble.
En réalité, Jean-Pierre Siméon, avec la fougue littéraire qui l’anime dès qu’il touche au poème, nous livre un grand éloge de la poésie et c’est ainsi que nous l’entendons.
Cet enthousiasmant plaidoyer pour la poésie s’inscrit dans le prolongement des essais antérieurs. Ce qu’il y a de remarquable et que l’on peut qualifier « d’utilité publique » dans cet éloge, c’est la clarté des propos et leur étincelante accessibilité aussi bien au public ombrageux de ceux qui ont tout lu des poètes et des commentaires savants des critiques, qu’au grand public quasi néophyte qui n’a qu’un rapport vague avec la poésie, réduite à l’émotion, et qui prend ce vague pour la poésie elle-même.
Jean-Pierre Siméon en vieux routier de la poésie connaît bien ces deux publics et leur parle d’une voix commune.
Il n’oublie jamais que le poème, même s’il est fatalement l’expression d’une pensée, est de prime abord ressenti. Mais l’émotion n’est rien sans l’esprit.
Jean-Pierre Siméon cite volontiers Hugo Von Hofmannsthal : « L’esprit déploie sa plus grande force corps à corps avec le sensible ».
Il est temps de tordre le cou aux idées reçues calamiteuses sur les poètes, perçus comme des êtres éthérés englués dans leurs rêves au mépris de toute réalité. Au contraire le poète est dans ce combat « corps à corps avec le sensible » pour précisément faire corps avec le réel.
Car c’est la langue, la parole poétique qui fait surgir le réel, effacées les trompeuses apparences.
Le réel que nous révèle le poème est l’empathie avec le monde que Georges Haldas dès 1979 nommait « l’état de poésie ». Il rejoint Georges Perros qui affirme après Hölderlin que la poésie est « une manière d’être, d’habiter, de s’habiter. »
Nous sommes bien loin de l’éloge du charmant, de l’ornemental, de la prouesse de forme qui enjoliveraient notre existence. La poésie n’est ni un divertissement, ni un raffinement.
Si, bien entendu, la poésie ne récuse pas le beau, elle va à la rencontre d’un « mouvement de conscience qui est élan vers le feu perdu de la vie. »
Cet élan, celui du voyant de Rimbaud -et c’est la lucidité et non la folie qui fait le voyant - précipite le lecteur de poème dans la gravité. Celle-ci exige un temps de latence, ce temps d’arrêt si contraire à notre société façonnée par l’obsession du résultat, de la marche accélérée des marchés.
S’évadant de cette injonction, la poésie est le lieu d’une liberté sans limites. La poésie qui cherche un « ailleurs » dans la parole et n’est jamais ce que l’on croit, est en perpétuelle métamorphose.
La poésie est révolutionnaire par nature. La parole poétique nous détourne de la monosémie - la langue uniforme prônée par les médias et d’une façon générale par toutes les forces du pouvoir - pour la polysémie, langue où les mots ont une multiplicité de sens. La poésie est donc le retour à la vie de la langue, elle est même la seule langue vivante, insiste Jean-Pierre Siméon.
En 1979, l’année où Georges Haldas publiait « L’état de poésie », un autre Suisse Charles Ferdinand Ramuz faisait paraître « La pensée remonte le fleuve », livre qui dénonçait, entre-autres, le conditionnement massif : « Les bourgeois lisent leur journal et leur éternelle duperie est de prêter aux choses très exactement l’importance que leur journal leur attribue. »
Plus tard, en 2015, un autre poète Jean-Pierre Siméon reprendra la même constatation dans « La poésie sauvera le monde » : « Telle est la supercherie de nos démocraties : elles tiennent le citoyen informé comme jamais mais dans une langue close qui, annihilant en elle la fonction imaginante, ne lui donne accès qu’à un réel sans profondeur, un aplat du réel, un mensonge. »
La poésie nous prémunit du mensonge commun.
Mais le poème ne perd rien de son mystère et tient en échec la raison.
Expliquer le poème c’est, rappelle Jean-Pierre Siméon, comme s’en moquait René Daumal être « explicateurs d’explications ». Yves Bonnefoy a dénoncé cette prétention : « Le lecteur de poésie n’analyse pas, il fait le serment à l’auteur, son proche, de demeurer dans l’intense. »
***
L’intense, justement est ce qui s’attache à l’amour.
« L’amour, la poésie même combat ! » serait un slogan possible.
« L’amour le poésie » répétait Paul Eluard.
« Une théorie de l’amour » (éd.nrf/Gallimard, 12 €) dont nous régale Jean-Pierre Siméon se divise en deux parties :
1 - Cent trente propositions, théorèmes tremblants, injonctions fragiles et autres amoureuses destinées
2 - Où tout poème est une pensée de l’amour
Le titre de ce livre de poèmes se veut provocateur. Ce n’est pas l’essai d’un philosophe ou d’un technologue des multiples disciplines qui se raccordent avec un profit mercantile à tout ce qui englobe l’amour, mais les écrits lumineux d’un poète qui a l’expérience de l’amour.
De toute évidence, ce recueil dédié à Véronique sa femme, est un hymne heureux à l’amour.
Si l’expérience de l’amour est nécessaire pour susciter le poème d’amour, elle doit s’accompagner de l’amour de l’amour, véritable vocation qui fut parmi une multitude d’autres auteurs, celle de Romain Gary.
Les aphorismes de la première partie de cette théorie de l’amour de Jean-Pierre Siméon se dégustent dans le recueillement et la lenteur de lecture. Ils ont vocation à être relus.
L’intense éblouit. Jugez plutôt : « 55. La nuit déjà. Tout encore. »
Les poèmes de la seconde partie invitent, au-delà de leur puissance d’évocation, à une interrogation sur l’essence même de l’amour.
L’amour serait une autre forme de la pensée. Il connaîtrait contrairement aux vœux ardents du poète, ses limites puisque « nul ne guérit l’autre de sa mort. »
Dans ce recueil de poèmes, Jean-Pierre Siméon aborde un thème qui l’a déjà mobilisé, celui du mythe d’Orphée, l’homme des deux royaumes de la vie et de la mort. Il pose toute la question de la finitude humaine. Orphée accomplit le passage, va chercher Eurydice aux Enfers grâce à la poésie lyrique. Orphée est le poète divin, absolu, exemplaire :
« Les mots qui aiment sont bâtis dans l’air
Eurydice Eurydice entends-tu dans ta nuit
Battre là-haut le cœur du soleil ? »
L’amour perpétue la question du « pourquoi ? »dès notre naissance au monde et « Aimer est donc le seul vivre honorable / Devant la mort. »
L’amour, seule consolation possible , résiste à tout : « J’appelle amour ce qui subsiste de la vie / Dans ma fatigue. »
Et puis l’inéluctable question : « Faut-il aimer pour vivre ou vivre pour aimer ? »
Ce livre de poèmes qui nous ramène à l’intense, est une sereine apologie de l’amour, cet amour qui est toujours là pour l’éternité.
Cet amour qui fait écrire au centenaire Edgar Morin : « L’amour doit être introduit en relation indissoluble et complexe dans le principe de rationalité. Il doit constituer une composante de la rationalité complexe. »(« Changeons de voie » éd. Denoël, 2020, p 135)
Dans un monde qui étouffe de sa complexité, l’amour est le seul guide fiable.
« Une théorie de l’amour » nous en convainc.
Vous pouvez écouter Jean-Pierre Siméon sur le site lespoetes.site à la rubrique « Pour écouter les émissions » , au mardi 28 juin 2022 et au mardi 5 juillet 2022.
Arthur Conan Doyle Médecin, Ecrivain et Spirite
biographie de l’auteur de Sherlock Holmes par Béatrice Balti
J’ai un souvenir ébloui de l’émission réalisée dans nos studios de Toulouse avec Imasango. J’espère pouvoir bientôt réitérer ce bonheur d’écouter la parole poétique de cette artiste de haut vol qui illumine la Nouvelle-Calédonie.
En attendant, je m’empresse de signaler en préambule de l’émission du mardi 7 juin 2022, la parution du livre de poèmes de
Déwé Gorodé et Imasango:« Se donner le pays - Paroles jumelles » aux éditions Bruno Doucey, 130 pages, 16 €.
DEWE GORODE est une femme politique indépendantiste et écrivain kanak de Nouvelle-Calédonie, née le 1er juin 1949. Elle a fait partie de tous les gouvernements néo-calédoniens depuis la création de cette institution en 1999. Déwé Gorodé s'est très tôt engagée dans la lutte pour l'indépendance.
IMASANGO est poète, née à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie.
Dès l’âge de 17 ans, elle quitte son île pour étudier et voyager. Ses études la conduisent en France, en Espagne, en Amérique du Sud et la plongent dans la vie artistique des grandes villes. Elle revient s’installer en Nouvelle-Calédonie pour retrouver les racines de son métissage, et participer à la construction de son pays.
Son parcours en écriture est assez atypique. Elle a d’abord souhaité exposer ses mots sous forme de poésie visuelle, estampes numériques et tableaux, pour les offrir tel un livre aux pages ouvertes, à la portée de tous dans la cité. L’écriture, vécue comme engagement pour transmettre et partager, apparait alors tel un signe vivant, un geste, une présence artistique silencieuse . Puis, sur cette terre de tradition orale, c’est dans la magie de l’oralité qu’elle enracine son souffle et son Verbe en poursuivant son engagement. Elle propose sa poésie en musique en public, enseigne en milieu scolaire défavorisé, participe à un projet de prévention de l’illettrisme, elle lit et expose ses poèmes dans les bus urbains de Nouméa. Mêlant lyrisme et engagement, elle pose un regard sans faux-semblant et bienveillant sur la société calédonienne post-coloniale, en chemin vers son avenir.
Imasango est agrégée d’espagnol, auteure de plusieurs ouvrages, présente dans diverses revues et anthologies.
C'est pour publier de tels livres que je suis devenu éditeur, peut-on lire au dos de la couverture du livre. Heureux Bruno Doucey !
Pendant de longs mois, deux femmes de Nouvelle Calédonie ont entretenu un dialogue par la poésie. Deux femmes de générations, de conditions et de couleurs différentes, qui partagent la même terre et veulent parcourir ensemble les mêmes chemins de paix. Pour écrire ce livre, Déwé Gorodé et Imasango se sont rencontrées, tantôt chez l’une à Nouméa, tantôt chez l’autre à Ponérihouen, dont le nom en langue paicî désigne l’embouchure d’un fleuve. Les déchirures du pays, le deuil au seuil de la case, la lutte indépendantiste, la crainte de nouveaux conflits, la place des femmes, la sexualité « imposée ou non », l’éducation des enfants, la puissance tellurique de la Grande Terre…, aucun sujet n’a été écarté, aucun tabou n’a fait taire leur « parole jumelle». Un appel à résister par la poésie.
Vous pouvez écouter dans l’émission des extraits du livre. Nous reviendrons plus amplement sur cette publication et sur une autre d’Imasango.
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Je reconnais être un grand lecteur d’essais et de biographies sur les grands auteurs.
Quand une écrivaine consacre deux ans de travail à la biographie d’Arthur Conan Doyle que vous dévorez en quelques heures, il convient d’en rendre compte et de l’en remercier.
Surtout si cette écrivaine ne cesse de nous nourrir des vies toujours mystérieuses des noms de la littérature universelle comme Robert-Louis Stevenson ou James-Mattew Barrie (l’auteur de Peter Pan), ouvrages de grand intérêt auxquels nous avons consacré pour chacun une émission.
C’est donc sans hésitation que je livre quelquefois de la belle prose à l’émission « Les poètes ». Ce sera le cas prochainement pour le livre de Philippe Dazet-Brun : « Mauriac dans l’Eglise catholique - Ou la fidélité aux aguets » éditions Cerf, 330 pages, 24 €.
Je m’entretiens donc avec Béatrice Balti au sujet de son dernier livre :
« Arthur Conan Doyle - Médecin, Ecrivain et Spirite - La vie de l’auteur de Sherlock Holmes »
éditions Complicités, coll. L’Art de transmettre, 295 pages, 20 €.
L’auteure, diplômée de Cambridge, a poursuivi des études d’Histoire à la Sorbonne et à l’ Ecole Pratique des Hautes Etudes (Hérésies Médiévales).
Elle a notamment publié :
« Zeyda, servante de l’Alhambra » (2000), Ed. de l’Harmattan
« Le Bébé Indien » (2003) » Ed de l’Harmattan : Presse régionale
« J’ai Choisi le Bagne », (2006) - Ed. SILOE
« William Wallace, le Cri de la Liberté » (2009) Ed. YORAN EMBANNER
« R.L. Stevenson : Voyage au bout de l’Etrange », Ed. YORAN EMBANNER , 2012
« J.M. Barrie Celui qui préférait les Fées aux femmes - La vie de l’auteur de Peter Pan » éditions Complicités 2018
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En me dédicaçant ce livre sur Conan Doyle, Béatrice Balti, mentionne d’emblée que la vie de l’auteur de Sherlock Holmes est celle « d’un écrivain magnifique et d’un homme bien ».
C’est effectivement ce qu’il va ressortir de l’heure d’entretien nécessaire pour cerner la multiple personnalité de Conan Doyle qui épouse l’histoire du Royaume Uni de 1859 à 1930.
Une vie qui connut l’ère Victorienne (la reine Victoria avait 40 ans à la naissance de Conan Doyle), les guerres coloniales, les épopées en mer, l’engouement de la science et ses échecs, la Grande Guerre et la dépression de 1929.
Arthur Ignatus Conan Doyle naît donc le 22 mai 1859 à Edimbourg. Il est d’origine irlandaise catholique. Il fait partie d’une fratrie de neuf enfants dont sept survivront jusqu’à l’âge adulte.
Son père Charles Altamont Doyle est un artiste. Il dessina un vitrail pour la cathédrale de Glasgow mais devint vite un « pilier de pub » où il entretenait son alcoolisme qui ne le quitta point.
C’est sa mère, femme cultivée, qui savait raconter des histoires. Le jeune Arthur connut dès 1868, la rude vie spartiate de collège de jésuites où les châtiments corporels n’étaient pas exempts.
Sa première influence littéraire, il la doit à Edgar Allan Poe, œuvre qu’il découvre dans la bibliothèque du collège en Autriche où sa famille l’avait inscrit pour poursuivre ses études.
Devant la défection du père, il se réfugie dans l’amour et l’admiration de sa mère. Par nécessité financière, la famille Doyle est amenée à louer une chambre à un étudiant en médecine. Celui-ci entretient des relations ambigües avec sa mère.
Arthur, qui a fait ajouter Conan à son nom d’écrivain pour marquer sa filiation avec les ducs de Bretagne, intègre la faculté de médecine d’Edimbourg. Il trouve chez ses professeurs les modèles de ses figures littéraires. En particulier, le professeur Bell qui lui apprend la méthode d’observation qui sera celle de Sherlock Holmes.
Engagé comme chirurgien dans une expédition dans l’Arctique sur une baleinière, il sera le premier à s’émouvoir de la tuerie des bébés phoques et deviendra « un homme adulte et fort ».
L’Irlande fut une grande passion pour l’écrivain.
Médecin, il embarque de nouveau, cette fois-ci pour l’Afrique de l’Ouest. Ce seront « les quatre mois les plus misérables de [sa] vie ».
Puis, après s’être associé à un médecin pervers qui meurt d’une tumeur au cerveau à 34 ans, il ouvre son propre cabinet à Portsmouth, y reçoit son petit frère, épouse Louisa Hawkins, la sœur d’un de ses patients.
Le caractère déterminé et farouchement honnête se vérifie une fois encore par son refus de l’aide du réseau catholique familial qui lui était offert et qui aurait pu constituer sa clientèle.
En créant Sherlock Holmes il donne naissance à un mythe qui perdure aujourd’hui. Son premier récit « Une étude en rouge » signe la fin d’une époque qui abandonne l’unique exploitation des témoignages au profit de l’étude scientifique. C’est le précurseur de la police moderne.
Arthur Conan Doyle a écrit de brillants romans historiques qui n’eurent pas le renom des enquêtes de Sherlock Holmes. L’écrivain entretient des liens amicaux avec Robert-Louis Stevenson et Oscar Wilde. Son esprit scientifique éclairé l’incite à mettre en garde la société médicale contre la tuberculine du docteur Koch.
Ne trouvant pas de clientèle après son installation comme ophtalmologiste à Londres, il écrit « La Compagnie Blanche » qui connaît le succès ; il prend alors un agent littéraire et en 1891 décide d’être exclusivement écrivain.
Le succès des Sherlock Holmes l’empêche de se consacrer aux romans historiques.
Il fait la connaissance heureuse de l’auteur de Peter Pan James-Mattew Barrie.
En 1893 son épouse Louisa est atteinte de tuberculose et son père meurt de son alcoolisme.
Séjournant en Suisse, au sanatorium de Davos pour Louisa, il pratique le ski et fait connaître cette nouvelle discipline sportive.
Le besoin de spiritualité de Conan Doyle devient alors envahissant.
Il tue le personnage de Sherlock Holmes au grand désespoir et incompréhension de son public de lecteurs. Plus tard, il devra redonner la vie à son héros en inventant des circonstances inimaginables qui ont soustrait le détective à la mort certaine qui l’attendait.
Il donne des conférences aux USA sur le spiritisme, écrit « Le Brigadier Gérard » un roman historique sur le guerre napoléonienne. Puis il séjourne en Egypte avec Louisa pour son climat sec. Il en profite pour être correspondant de guerre.
Il fait la connaissance de Jean Leckie pour laquelle il éprouva une passion amoureuse. Puis il participe 4 mois à la guerre des Boers comme médecin ; la typhoïde, conséquence des eaux polluées, faisait plus de victimes que les armes.
Sur le paquebot de retour il sympathise avec un journaliste qui lui raconte une légende qui lui inspirera « Le Chien des Baskerville » futur best-seller mondial.
Il reprend sa relation amoureuse avec Jean Leckie mais n’abandonnera jamais son épouse qu’il accompagnera avec ferveur jusqu’à la fin.
L’auteur de Sherlock Holmes ne connaît pas de destin politique. Il est battu par deux fois aux élections et ne siègera jamais au Parlement.
Mais il est adoubé Chevalier en 1902 par le roi Edouard VII.
A la mort de Louisa, il épouse Jean Leckie, prend parti pour une loi en faveur de l’égalité dans le divorce, dénonce les affres du colonialisme au Congo.
Il employa avant qu’il ne devint sinistrement célèbre Jules Bonnot comme chauffeur personnel.
Dès 1912, revenant sur ses anciennes positions, il milite en faveur de l’autonomie en Irlande et par deux fois prend la défense d’un condamné (« Le cas d’Oscar Slater ») qu’il juge innocent et écrit « Le Monde Perdu » qui inspirera King Kong et Jurassic Park.
En 1913, il a l’idée d’un tunnel sous la Manche. Cet homme éclairé s’oppose pourtant aux suffragettes.
La guerre 14 - 18 l’atteindra de deuils familiaux cruels, dont son fils ; son jeune frère meurt de la grippe espagnole.
Son besoin de spiritualité se fait alors plus violent. En 1887, il est initié franc-maçon mais il quitte sa loge à l’issue de deux ans.
Il trouve un exutoire spirituel dans le spiritisme, d’abord nommé « Spiritualism » en anglais. La révélation de la supercherie des sœurs Fox qui prétendaient communiquer avec les morts - et qui, elles, finiront alcooliques- ne le détourne pas de sa vocation de prêcheur du spiritisme. Il donne même une conférence en Nouvelle Zélande. Il va jusqu’à croire à l’avènement des fées ! De façon troublante, son père, l’alcoolique artiste déchu, peignait des fées.
Le New York Times qui avait tant loué l’auteur de Sherlock Holmes le décrit maintenant comme « un personnage pathétique, risible qui devrait être plaint pour sa crédulité.»
Celui qui en 1925 avait ouvert par militantisme du spiritisme une librairie ésotérique « the Psychic Book Shop », fait face avec humour à l’invective et meurt à 71 ans en 1930.
***
J’ai sommairement et maladroitement résumé la vie de cet écrivain devenu universel et qui résistera encore à quelques siècles, pour inciter le lecteur à s’immerger dans le livre, lui, d’une grande clarté, de Béatrice Balti, sur Arthur Conan Doyle.
Comme tout homme, cet écrivain obéit à la multiplicité contradictoire de son psychisme. Ultra rationnel, froid et triomphant pour l’auteur de Sherlock Holmes ; d’un autre côté, empêtré de naïveté et de crédulité, poussé par le rêve impossible de rejoindre de l’autre côté du miroir les êtres chers dont l’absence est d’une cruauté insupportable.
Il faut lire ce livre de Béatrice Balti pour s’enfoncer au profond de la belle âme de Conan Doyle, le suivre pas à pas dans l’aventure que fut sa vie dont on retiendra avec l’incontestable génie de l’écrivain, une bien réconfortante humanité, avec ses faiblesses comme toute humanité.
Vous pouvez écouter ce fécond entretien autour de ce livre à l’émission du mardi 7 juin 2022 sur le site : lespoetes.site à la rubrique « Pour écouter les émissions ».
Extraits du livre :
Extrait n°1 : LE PROFESSEUR BELL INSPIRE LE PERSONNAGE DE SHERLOCK HOLMES
En 1877, lorsqu’Arthur Conan Doyle fit la connaissance de Joseph Bell, il fut instantanément frappé par la singularité de ce professeur. Doté d’un charisme immense, l’homme était grand et mince, distingué, avec des yeux gris perçants et un nez légèrement busqué. Amoureux de la nature et poète à ses heures, le Pr. Bell avait de longs doigts d’artiste. Mais, en premier lieu, ce qui frappait tous ses élèves et en particulier le jeune Arthur, c’était la clarté de son propos ainsi que son incroyable don d’observation et de déduction. Lors des consultations hospitalières à la Royal Infirmary, Bell utilisait un système en trois étapes qui devait lui permettre de faire le bon diagnostic. Il se décomposait ainsi : Observer attentivement, déduire judicieusement et confirmer avec des preuves, (observe carefully, deduce shrewdly and confirm with evidence). Bell appelait cette technique : LA METHODE et, à chaque fois, les étudiants étaient fascinés par la justesse de ses conclusions face aux patients qui venaient se faire examiner dans son service. En silence, Bell commençait par scruter attentivement leur visage, leurs habits et leurs chaussures. Puis, il posait quelques questions pertinentes et cela était presque toujours suffisant pour deviner la cause de la maladie.
Grâce à ses dons exceptionnels de déduction et d’observation, Joseph Bell allait servir de modèle pour le personnage de Sherlock Holmes. L’écrivain Arthur Conan Doyle s’inspirera aussi des traits 32 physiques de Bell, tout comme de sa manière de s’habiller : une casquette de tweed simple ou à double visière comme la « deerstalker » (mot à mot, de « traqueur de cerfs »), ainsi que ce fameux manteau long en tweed, appelé Inverness Cape ou Macfarlane, que Bell affectionnait particulièrement lorsqu’il partait explorer la lande, observer les oiseaux ou, occasionnellement, chasser la « Grouse »…
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Extrait N°2 : CIRCONSTANCES DE L’ECRITURE DU CHIEN DES BASKERVILLE :
Le récit se situait dans les landes balayées par les vents du comté du Devon. La légende disait que Le Chien de Dartmoor, un gros animal noir et effrayant de la taille d’un veau, pouvait, à la nuit tombée, poursuivre inlassablement les diligences qui se risquaient dans ces endroits désolés. Ses yeux et sa gueule rougeoyaient comme des braises, et son apparition était toujours annonciatrice de terribles malheurs… Il semblerait que la légende de ces chiens fantômes, tout droit sortis de l’Enfer, ait été présente dans plusieurs régions de la Grande-Bretagne comme, par exemple, le Pays de Galles où il était appelé Gwyllgi (Chien des Ténèbres), une bête effroyable aux yeux rouges et au souffle puissant, mais aussi dans le Yorkshire où il était nommé Barghest. Son origine, soit celtique soit saxonne n’a, jusqu’à ce jour, jamais été tranchée.
Pour s’imprégner au plus près de l’atmosphère sombre de ce livre, Arthur était parti huit jours sur place en compagnie du journaliste. … C’est un bel endroit, très triste et sauvage, parsemé d’habitations préhistoriques, d’étranges monolithes, d’abris et de tombes…, écrivit-il à sa mère, en juin 1901. A ce paysage désolé s’ajoutait une sinistre tourbière appelée Fox Tor Mire, qui allait lui servir de décor dans une partie de son ouvrage.
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Extrait n°3 : ARTHUR CONAN DOYLE – LE SCEPTICISME DE SES AMIS LORSQU’IL S’ENGAGE DANS LE SPIRITISME :
Cependant, devant l’enthousiasme naïf de Conan Doyle qui, chaque jour un peu plus, s’engageait pour défendre une cause aussi controversée, plusieurs personnes de son entourage professionnel hésitaient entre sarcasme et incrédulité. Comment le père de Sherlock Holmes, ce modèle de détective qui, pour résoudre ses énigmes, faisait taire ses émotions au profit de la logique et de l’esprit de déduction, en était-il arrivé là ? Comment le créateur de ce personnage mythique, qui avait influencé la police scientifique partout en Europe, pouvait-il maintenant soutenir un mouvement à la réputation aussi douteuse que le Spiritisme ? Certains allèrent jusqu’à déclarer que Conan Doyle avait perdu la raison, d’autres assurèrent qu’il s’agissait là d’un coup de communication avant un prochain ouvrage !
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Óscar Hahn
L’émission du mardi 12 avril 2022 débute par la lecture d’un poème de Tahar Bekri extrait de son livre « Mûrier triste dans le printemps arabe ».
Le « printemps arabe », cet enfièvrement de l’espérance des peuples maltraités a été aussi une sorte de guerre civile où les populations luttaient non contre un ennemi extérieur mais pour l’avènement d’une éthique politique inscrite dans une aspiration à une certaine loi morale.
L’Ukraine aujourd’hui, certes, fait face à un ennemi extérieur mais manifeste la même passion pour une éthique politique rejetant le totalitarisme, et pour les quelques zones à forte population russe connaît une guerre civile.
L’appel à la paix du poète tunisien d’expression française Tahar Bekri est intemporel et universel.
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La France a la chance de connaître un élan ininterrompu dans la création des revues littéraires et de poésie. Elles prennent le relai de façon spontanée des vieilles revues qui pour certaines, après avoir connu des renommées historiques, s’essoufflent.
Ainsi la revue « Des Pays Habitables » avec 2 numéros par an a fait paraître son n° 5 (85 pages, broché comme un livre, merveilleusement illustré par Gabrielle Cornuault, 14 €, en librairie ou sur le site www.pierre-mainard-editions.com).
J’y ai relu avec émotion « D’un château à l’autre » de Jean Malrieu. C’est une reprise des Cahiers du Sud de 1966 qui à cette époque étaient avec Action Poétique et La Tour de Feu, revues incontournables, la manne descendue du ciel de la poésie qui nourrissait notre fringale de textes.
Mais quand donnera-t-on vraiment à Jean Malrieu sa place véritable dans la poésie française du XX° siècle ?
En tout cas, Joël Cornuault qui dirige cette revue « Des Pays Habitables » avec comme slogan affiché sur la couverture : Naïveté Utopie Exubérance, réussit encore de révéler un sommaire aussi éclectique que prestigieux avec, entre-autres, Jean-Pierre Le Goff, Anne-Marie Beeckman, Marc Wetzel, Ahmed Rassim et sa louange par Eric Dussert, les enfants poètes nadaïstes colombiens Luis Ernesto Valencia et Maria de Las Estrellas expliqués par Boris Monneau.
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Joël Cornuault publie dans le même temps « un enchaînement d’écrits, rêveries, réflexions et moments d’exaltation librement associés » réunis sous le titre : « Les Grandes Soifs » qui valorisent « le jeu, le goût des mondes inaperçus [...] poètes de l’abondance et du luxe vrais, que sont l’amitié, le rêve heureux, l’amour ».
(éditions Le Cadran ligné, 124 pages, 16 €).
Dans son diaporama écrit de sensations et de réflexions, Joël Cornuault nous rappelle quel grand artiste fut Michel Butor qui en mai 1968 « fit acte de poésie ascendante en placardant dans les rues son affiche Votez pour Charles Fourier , double salut adressé tant au rêveur d’harmonies qu’au surréalisme d’André Breton.»
Ce livre est une mine de richesses pour tout auteur de littérature et de poésie.
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Josiane Gourinchas avait déjà traduit pour les éditions Cheyne « Peine de vie et autres poèmes » en édition bilingue français-espagnol, du poète chilien Oscar Hahn.
Ce livre couvrait une large période de création allant de 1977 à 2015.
La poésie d'Óscar Hahn, nous dit la traductrice, se caractérise par des formes concises, une netteté limpide du vers et une aptitude à embrasser un large horizon de l'expérience humaine. Elle excelle à relier les détails concrets de la vie quotidienne, les situations existentielles ou les événements historiques à une dimension réflexive proche de l'apologue. L'amour, le temps, la solitude, la mort, la chute des Tours jumelles, les guerres au Proche-Orient sont autant de thèmes susceptibles de trouver place dans ses poèmes qui allient au naturel de la diction une persuasive unité de forme et d'atmosphère. La voix d'Óscar Hahn porte l'empreinte d'une longue tradition poétique remontant au Siècle d'or espagnol, tout en manifestant une évidente aptitude à réélaborer des formes d'oralité populaire. Ni la verve ironique, ni la veine ludique ou fantastique qui se font subtilement jour dans ses poèmes ne le conduisent à perdre un juste contact avec les vérités, les énigmes et les paradoxes des destinées humaines.
Ce premier recueil de poèmes écrits pendant plus de quarante ans, se réfère aussi bien aux tourments de l'époque qu'à l'expérience de la vie humaine dans son universalité.
Pour appréhender l’énormité de l’expérience vécue du poète chilien aujourd’hui emblématique de la poésie hispano-américaine, il convient de résumer son parcours de vie :
Óscar Arturo Hahn Garcés né à Iquique le 5 juillet 1938, est un poète, essayiste et critique littéraire chilien, prix national de littérature 2012.
Fils de Ralph Hahn Valdés et Enriqueta Garcés Sánchez, il a perdu à son père très tôt : il avait à peine quatre ans lorsque celui-ci est mort, le 28 mars 1943.
Ses premiers pas dans la poésie remontent à son adolescence à Rancagua. Il a publié son premier livre, Cette rose noire, en 1961.
Hahn a étudié au collège Salesiano Don Bosco et au lycée pour garçons d'Iquique, ville dans laquelle il a habité jusqu'à ses treize ans ; il a continué sa scolarité à Valdivia et au lycée Óscar Castro de Rancagua.
Il a ensuite étudié à l'Université du Chili à Arica (actuelle Université de Tarapacá), où il a obtenu son diplôme de castillan. À l'âge de vingt et un ans, il a reçu son premier prix, qui sera suivi de nombreux autres.
En 1971, dans le cadre du programme international d'écrivains, il se rend dans l'Iowa, où il obtient sa maîtrise de littérature. Il rentre au Chili deux ans plus tard et enseigne brièvement dans son université d'origine ; après le coup d'État militaire du 11 septembre 1973, il est enfermé dans la prison d'Arica, expérience que relatera plus tard l'écrivain Jorge Edwards dans son roman La Femme imaginaire.
Lorsqu'il recouvre la liberté, il se réfugie dans la maison de la famille de son beau-père, à Los Vilos ; c'est là qu'il postule pour un doctorat à l'Université de Maryland. Il va y résider jusqu'en 1977, puis devient professeur de littérature hispanique à l'Université d'Iowa, où il réside jusqu'en 2008. De 1978 à 1988, il a participé à la rédaction du Handbook of Latin American Studies de la Bibliothèque du Congrès des États-Unis.
En 2011, il devient membre correspondant de l'Académie Chilienne, pour les États-Unis ; il est membre du conseil de la Fondation Vicente Huidobro.
Josiane Gourinchas après « Peine de vie et autres poèmes » vient de traduire un second livre d’Oscar Hahn en édition bilingue français-espagnol :
« Mal d’amour - Mal de amor » publié aux éditions « Le Temps des Cerises »,avec une présentation de l’auteur, une préface de Mario Meléndez et en guise de postface un entretien du poète avec le même Mario Meléndez, 117 pages, 17 €.
Curieusement, Mal d'amour, publié en Chili en 1981, fut interdit par la dictature militaire après son impression et sa distribution. Selon The Washington Post, « un des poèmes avait un vers qui, par décision du gouvernement, était considéré comme irrespectueux envers la Vierge Marie ». Hahn a toujours considéré cette censure comme inexplicable.
« Les journalistes me demandent toujours qu’elle a été la raison de l'interdiction et je l'ignore, cela est un mystère, en fait ce n'est pas un livre politique, ce livre n'a pas absolument rien à voir avec la politique », déclare Hahn en 2012.
Oscar Hahn est un de ces génies qui font feu de tout bois, qui utilisent tout ce qu’ils connaissent.
« Ses sources, avertit le préfacier, sont variées et s’étendent du cinéma et des beaux arts à la culture pop. [...] Il reformule le thème de l’amour grâce à un fantôme qui se transforme en objets domestiques pour revenir auprès de son aimée. Il prend la forme d’une serviette de toilette, d’un drap, d’une housse d’oreiller, d’une chemise sale. Le double jeu ou la lutte des contraires régit son œuvre. Eros et Thanatos, la tradition et la modernité, l’eau et le feu, la fantaisie et la réalité, s’attirent, se repoussent, s’assemblent, se reconnaissent et finalement permettent [...] la synthèse en un tout qui devient héritage, volonté créatrice. »
Mario Meléndez l’affirme, la poésie d’Oscar Hahn « est une leçon de rigueur et de lucidité. »
Josiane Gourinchas, imprégnée de l’œuvre du grand poète chilien, commente les poèmes de « Mal d’amour » au cours de l’émission.
« Derrière tout grand amour guette le néant » assure le poète qui inclut une métaphysique dans tous les poèmes sans se départir, quand il le juge nécessaire, de la trivialité de la réalité humaine.
La volonté de la traduction de Josiane Gourinchas est « d’aller au sens ».
C’est ainsi que « Soplame este ojo », littéralement Souffle moi dans l’œil, est traduit par l’expression française plus explicite : « C’est du pipeau ».
Il en résulte un grand plaisir et une grande facilité à lire les poèmes brefs de « Mal d’amour », de pénétrer dans la vision surréaliste du poète qui englobe son appréhension des lieux, celui de l’amour étant « l’espace où coïncident / tous nos lieux » car « Tout lieu est projeté de l’intérieur.»
A la trivialité des premiers vers du poème Naissance du fantôme : « Je suis entré dans la salle de bains / recouvert du drap de dessus », succède la métaphysique des derniers : « Maintenant je suis le drap ambulant / le fantôme nouveau-né / qui te cherche d’alcôve en alcôve. »
La vacuité de la vie sans l’être aimé est l’effacement de la musique noble du monde, et « celle de la terre [et] celle des sphères.»
Mais l’amour est aussi un combat mortel : « La destruction de l’être aimé par l’être aimé / est une pratique commune depuis l’antiquité. »
L’érotisme est le sujet central de « Mal d’amour ».
Il est primordial pour Oscar Hahn qui affirme « qu’il n’y a pas d’amour sans érotisme, mais qu’il y a un érotisme sans amour. »
L’amour est vécu comme un fil qui laisse son empreinte : « Fil noir qui serre ou fil banc qui glisse / tous deux me laissent des traces sur le cou. »
L’amour se fane alors même que l’amant tresse une couronne de fleurs qui n’atteindra pas la bien aimée.
Le livre s’achève sur un poème « Téléspectateur » qui dénonce le consumérisme stérile auquel il est confronté dans sa chambre à l’université de Iowa aux U.S.A.
En réalité, ces poèmes brefs sont des bâtons de dynamite qui font exploser les convenances et les idées reçues de l’amour. En cela ils confirment que l’amour aussi inatteignable soit-il, est l’unique finalité des amants universels dans leur inaliénable humanité.
Merci à Josiane Gourinchas et aux éditions Le Temps des Cerises de nous offrir cette lecture d’un des grands poètes qui a éclairé le XX° siècle et qui rayonne maintenant sur le nôtre.
Extraits :
BARBARA BLEUE
Cette douce mort ton si bel amour
m’a conduit sur la rive de ce fleuve enneigé
Soudain en plein hiver le dégel
découvre des roses rouges et des barbaras bleues
Les oiseaux gelés se réchauffent surpris
Une trille rose teint le ciel
à dix heures du soir et une aube éblouissante
se lève de nuit en lissant ses plumes
Cette douce mort ton si bel amour
a frôlé mes yeux de sa traînée bleu céleste
Et maintenant au lieu de larmes une constellation
d’hippocampes dorés glisse sur tes joues
***
MON CŒUR
Mon cœur sous la forme d’un ovule palpitant
éjacule des milliers de petits cœurs
il de féconde lui-même et se met au monde
au plus profond de toi tu es vraiment fou
me disais-tu en me regardant droit dans les yeux
Et ce cœur infortuné
sur le point d’être expulsé par notre bouche
***
A MA BELLE ENNEMIE
Ne sois pas vaniteuse mon amour
car pour être franc avec toi
ta beauté n’est pas de l’autre monde
Ni de celui-ci non plus
***
SOCIETE DE CONSOMMATION
Nous allons main dans la main dans le supermarché
parmi les rangées de céréales et de détergents
Nous avançons de rayon en rayon
jusqu’aux bocaux de conserve
Nous examinons le nouveau produit
annoncé à la télévision
Et soudain nous nous regardons dans les yeux et nous
plongeons l’un dans l’autre
et nous nous consommons
***
MYSTERE JOYEUX
Je mets goulûment la pointe de ma langue au centre
même
du mystère réjouissant que tu dissimules ente tes
jambes
dorées par un soleil ardent le sacripant aide-moi
à être meilleur mon amour nettoie mes plaies libère-moi
de toutes
mes fautes et emporte-moi encore avec de purs péchés
originels,
tu veux bien ?
***
ECRIT A LA CRAIE
Un dit à zéro que le néant existe
Zéro réplique que Un n’existe pas non plus
car l’amour nous donne même nature
Zéro plus Un font Deux lui dit-il
et ils s’éloignent sur le tableau noir main dans la main
Deux s’embrassent sous les pupitres
Deux font Un près de l’effaceur tapi
et Un est Zéro mon amour
Derrière tout grand amour guette le néant
***
C’EST DU PIPEAU !
Alors comme ça vous preniez un café
en bavardant tout simplement
C’est du pipeau !
Et maintenant joues-en pour l’autre
pour que vous disparaissiez tous deux de ma vue
et que je ne te revoie jamais plus
***
AUCUN LIEU N’EST ICI OU LA
Aucun lieu n’est ici ou là
Tout lieu est projeté de l’intérieur
Tout lieu est superposé dans l’espace
A l’instant je jette un lieu au-dehors
j’essaie de le mettre au-dessus de là
au-dessus de l’espace où tu n’es pas
pour voir si de m’efforcer
ardemment
tu apparais là souriante à nouveau
Apparais là apparais toi sans crainte
et du dehors avance vers ici
et efforce-toi avec ardeur efforce-toi avec ardeur
pour voie si moi aussi j’apparais à nouveau
si j’apparais à nouveau
si nous réapparaissons tous deux main dans la main
dans l’espace où coïncident
tous nos lieux
***
CE SERA TOUT
Je te trace un destin ici même
Je le dessine sur les ailes d’un oiseau
Je le peins sur le mur de ma chambre
Maintenant l’oiseau vole furieusement
maintenant il pousse son cri de guerre
et se fracasse contre le mur
Ses plumes flottent dans l’espace
Ses plumes se trempent dans son sang
Il en prend une et t’écrit ce poème
***
TELESPECTATEUR
Me voilà de nouveau de retour
dans ma chambre de Iowa City
Je prends à petites gorgées mon assiette de soupe
Campbell face au téléviseur éteint
L’écran reflète l’image
de la cuillère qui entre dans ma bouche
Et je suis l’avis commercial de moi-même
qui n’annonce rien à personne
***
Jean-Luc POULIQUEN « Les 3 B »
L’émission du mardi 14 juin 2022 débute par la diffusion de « Chanter » de Jacques Barthès Prix 2022 de la Chanson poétique décerné par l’Académie des jeux floraux de Toulouse.
Voici la présentation de cet artiste de haut vol par Philippe Raybaud :
Jacques Barthès, installé à Sète depuis plus de dix ans, est né à Montpellier en 1950. Une enfance sereine passée à Aniane, près de Saint-Guilhem-le-Désert, dont les paysages et l’histoire inspirent sa poésie dans la lignée des troubadours.
Étudiant à la Faculté des Lettres de Montpellier, Jacques Barthès, commence à composer des chansons et à les chanter. On y retrouve les influences de Georges Brassens, Félix Leclerc, Jacques Brel, Paco Ibanez, Theodorakis…qu’il écoute et réécoute avec passion.
Guitare en bandoulière, Jacques Barthès, auteur-compositeur-interprète, nous entraine en poésie par sa voix chaude et vibrante. Il aime à conter les paysages méditerranéens de son enfance, vivre la mer, la terre languedocienne aride et chaude baignée de soleil.
Cet occitan d’à peine vingt ans débarque à Paris, guitare sous le bras, pour conquérir ce monde si étrange qu’est celui de la chanson. Comme de nombreux troubadours de l’époque, Jacques effectue la tournée des cabarets » rive gauche » de la capitale et hante les nuits poétiques de ces lieux fourmillants de talentueux artistes.
Il a donc quitté son Hérault natal pour se frotter, comme il le dit lui-même, à tous ces déracinés qui font ce métier. Dans l’esprit de Jacques Barthès, c’est un passage obligé. En son for intérieur, il porte le désir de partager et d’échanger les images de son enfance, le long des rives de cette mer qu’il affectionne tant, ou près des collines environnantes. De cafés musicaux en cabarets, il distille à son public au travers de ses chansons, l’âme de la région languedocienne qui lui vrille le cœur et l’âme. Il confie d’ailleurs » Tu ne sais vraiment le prix des choses que lorsque tu les as quittées « .
En 1975, il publie son premier disque intitulé » Solitaire – Solidaire ». Pour Jacques, la solidarité est la reconnaissance de le solitude de chacun. Il se dégage de ce disque une extrême sensibilité grâce à cette voix chaude et vibrante. Il publie ensuite quatre disques (Amara, L’envol des ruines, L’heure solaire et La chanson des bons présages) tous empreints de l’atmosphère méditerranéenne et se produit en concert dans les tournées des Maisons de la Culture, festivals et réseaux des salles de spectacles.
Parallèlement, Jacques Barthès poursuit des études de guitare au Conservatoire de Rueil-Malmaison. Au conservatoire, il a l’opportunité de mettre sa formation d’enseignant au service de la pédagogie musicale en milieu scolaire. À la rencontre des enfants, il compose des chansons pour les chorales enfantines et publie un disque « Chanson pour les enfants » aux éditions « Fuzeau » et un livre de pédagogie musicale « La chanson à portée des enfants » (Hachette/Van de velde). Pour lui, c’est une expérience si enrichissante qu’il lui consacre, durant de nombreuses années, tout son temps et son énergie.
En 2012, Jacques Barthès s’installe à Sète et renoue avec sa terre natale, les vignes, la garrigue et les rivages de la méditerranée. Il participe à la vie culturelle et associative et donne des concerts dans la ville et aux alentours (La Médiathèque François Mitterrand, Journées Filomer, Festival Nord Sud, 22 V’là Georges…). Il réédite « L’heure solaire » et publie deux CD « Chanter » et « Passeur ». C’est à Sète qu’il se sent vivre. Le texte de l’une de ses chansons est d’ailleurs explicite : » Je marche sur la plage et j’enfonce mes pas comme tant d’hommes sages qui connaissent leur joie d’être un instant sous l’aile de ce vent tiède et bon « .
Écouter Jacques Barthès, c’est découvrir un espace différent, le temps se fige, ses mots nous portent et la vie s’arrête, un instant. Notre rêve alors n’en est que plus grand. Vous pouvez écouter les chansons de Jacques Barthès sur sa chaîne YouTube et sa page Facebook.
***
Poursuivant la volonté de sensibilisation des auditeurs à la cause de l’Ukraine, après avoir incité à lire « Des ailes pour l’Ukraine » de Jean Lavoué aux éditions L’enfance des arbres, 9 €, au profit d’œuvres humanitaires agissant en faveur du peuple ukrainien, est signalée une anthologie regroupant les poètes d’Ukraine :
ANTHOLOGIE DU DONBAS
Préface de Volodymyr Yermolenko, traduit par Iryna Dmytrychyn et Marta Starinska
éditions L’Harmattan Collection : Présence Ukrainienne 19 €
C’est le portrait littéraire d'une région aujourd'hui ravagée par la guerre ; l'anthologie du Donbas réunit des écrivains originaires de l'est de l'Ukraine, qu'ils ont dû quitter temporairement, mais qui est toujours présent dans leurs cœurs et dans leurs esprits.
***
L’émission est ensuite consacrée à un entretien avec
Jean-Luc Pouliquen
autour de son dernier livre :
"Les 3 B
Gaston Bachelard
Nicolas Berdiaev
Martin Buber
à Pontigny"
publié par Amazon et disponible également chez l’auteur (7,38 €) : jeanlucpouliquen@hotmail.com
Le poète et critique littéraire résidant à Hyères dans le Var poursuit une œuvre majeure déclinée dans une trentaine de livres.
Dans chacun des ouvrages, que ce soit les livres de poèmes ou les essais littéraires, cet artiste au sommet de sa maturité, place sa création dans une réflexion éthique qui en fait un des acteurs les plus enthousiasmants de notre époque de l’éphémère gagnée au contraire par le cynisme du marché et des subventions culturelles.
Après avoir écrit un essai « Gaston Bachelard ou le rêve des origines » sur les relations entretenues par ce philosophe avec les poètes, il nous donne aujourd’hui à lire un bref essai sur les relations de trois philosophes :
Gaston Bachelard (1884 - 1963), Nicolas Berdiaev (1874 - 1948) et Martin Buber (1878 - 1965), ces relations trouvant leur origine lors des décades de Pontigny organisées par Paul Desjardins et sa femme de 1910 à 1939 (avec une interruption pendant la Grande Guerre).
Le riche entretien qu’il m’a accordé sur cette publication ne peut que passionner tous ceux qui aiment ou vivent de poésie et de philosophie. Ils suivront Saint Pol Roux affirmant que « le poète corrige Dieu », célèbreront avec les trois philosophes l’acte créateur, impossible sans l’imagination, comprendront avec Bachelard que l’expérience scientifique doit se réaliser contre la nature, suivront le même sur sa mise en évidence de la verticalité de l’instant poétique. Cet instant brise la linéarité du temps en échappant à la détermination sociale.
Pour Marin Buber dont Bachelard rédigea la préface de son livre « Je et Tu » le mal est relatif mais le désespoir en fait un absolu. Dieu est le Tu éternel et la réciprocité avec les autres relève à la fin de la communion. Mais au « Je Tu » s’oppose le « Je Cela », le Cela se référant aux individus dans la société, le Nous aux personnes dans la communauté.
Je remercie Jean-Luc Pouliquen pour avoir autorisé la diffusion de larges extraits de ce livre essentiel pour nous charger de culture, de fraternité et d’espoir en ces temps où la violence rugit de nouveau en Europe.
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Extraits de :
"Les 3 B
Gaston Bachelard
Nicolas Berdiaev
Martin Buber
à Pontigny"
Ah ! Les Décades de Pontigny, comme elles continuent d'étinceler dans le ciel de la vie littéraire et intellectuelle de notre pays.
Le maître d'œuvre en fut Paul Desjardins, professeur de grec, homme d'ouverture et de paix, qui acheta en 1906, à l'âge de quarante-six ans, le domaine de l'abbaye laissé vacant à la suite de la séparation de l'Église et de l'État l'année précédente.
Dès 1910, il y organisa ces rencontres estivales qui, après une interruption due au premier conflit mondial, reprirent en 1922 et se poursuivirent jusqu'en 1939.
Tout ce que la France et l'Europe comptaient d'écrivains, de penseurs et de philosophes y participa. Des auteurs déjà reconnus comme André Gide ou Paul Valéry firent le déplacement ainsi que des plus jeunes aux talents prometteurs tels André Malraux ou Jean-Paul Sartre. Et puis, il y eut toutes ces personnalités étrangères comme Heinrich Mann, Alberto Moravia ou encore Edith Wharton. La liste est longue...
Dans celle-ci, je retiens trois noms, ceux de Gaston Bachelard, de Nicolas Berdiaev et de Martin Buber, que j'appelle les 3 B.
Leur existence et leur œuvre ne se referment pas sur cette période révolue, elles continuent de rayonner dans notre présent.
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En 1929, Gaston Bachelard rencontra Martin Buber venu rejoindre Pontigny depuis l'Allemagne. De leur estime réciproque allait naître une belle initiative du philosophe français pour faire connaître le penseur juif dans notre pays. Il s'occupera de la traduction et de l'édition de son grand livre paru en allemand en 1923 sous le titre Ich und Du.
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Les villes savent garder mémoire des présences qui les rehaussent. Sur la façade de l'immeuble du 2 rue de la Montagne-Sainte-Geneviève où ont habité Suzanne et Gaston Bachelard une plaque a été posée. Elle rappelle leur installation en 1941, la mort de Gaston en 1962, celle de Suzanne en 2007.
Dans leur antre aux murs tapissés de livres, combien sont-ils à être venus les voir, amis, étudiants, artistes, poètes, en quête d'un conseil, d'un encouragement, d'une parole de sagesse ?
C'est là que la télévision est venue filmer le philosophe au soir de sa vie. Et c'est ainsi que s'est répandue dans le grand public l'image de Gaston Bachelard avec son beau visage auréolé de cheveux blancs et sa barbe de prophète.
Mort en 1948, à une époque où l'information audiovisuelle était encore balbutiante, Nicolas Berdiaev n'aura pas eu les honneurs de cette médiatisation. Pourtant lui aussi avait une figure marquante avec son grand front découvert, parfois couronné d'un béret de velours, ses cheveux mi-longs, sa moustache et sa barbichette blanches.
Il avait tous les atouts pour imprimer son image de penseur atypique dans l'imaginaire collectif. Sans doute est-ce une chance pour lui, qui n'était que profondeur et combattait les apparences, d'y avoir échappé.
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Sa maison de Clamart tout d'abord fut le point d'accueil d'une multitude d'invités. Qu'ils soient de religion orthodoxe ou juive, théologiens catholiques ou protestants, historiens, écrivains, philosophes, critiques littéraires, traducteurs, religieux, religieuses, éditeurs, journalistes, etc., tous ont en commun l'amour de la Russie associé à une recherche spirituelle.
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À Heppenheim en Allemagne la maison d'où partit Martin Buber pour se rendre à Pontigny est aujourd'hui le siège du Conseil international des Chrétiens et des Juifs (l'ICCJ en anglais).
Martin Buber, né en 1878 à Vienne alors capitale de l'empire austro-hongrois, s'y était installé en 1916, durant la Première guerre mondiale, avec son épouse Paula et leurs deux enfants Rafael (né en 1900) et Eva (née en 1901).
Ils étaient à la recherche d'un cadre de vie propice à l'épanouissement de leur vie familiale et de leur travail. Ils le trouvèrent dans cette petite ville au sud du Land de Hesse réputée pour la douceur de son climat.
La maison, construite à la fin du 19e siècle était assez grande pour accueillir toute la famille, les amis ainsi que la bonne. Au rez-de-chaussée une vaste bibliothèque fourmillait de livres. Comme celle de Gaston Bachelard à Dijon, la demeure possédait un grand jardin. Outre les fleurs tant appréciées, on y cultivait également des légumes qui complétèrent la maigre cuisine de guerre.
C'est là que furent rédigées des œuvres importantes du philosophe, telles que Ich und Du ainsi que la première partie de la traduction en allemand de la Bible, de même que des romans et nouvelles de sa femme Paula qui publiait avec succès sous le pseudonyme de Georg Munk.
Martin Buber en fit le centre de gravité spirituel de l'Europe centrale. De là, il entretenait des contacts avec Vienne, Berlin, Leipzig, Varsovie, Prague, Paris..., avec l'Italie du nord aussi et bien sûr la Palestine. Albert Einstein y fut invité en 1933.
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Martin Buber, je l'ai dit, marquera fortement Nicolas Berdiaev. Tous les deux, chacun à leur manière, se considèrent comme des passeurs entre l'Orient et l'Occident, se sentant investis de cette même mission.
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Des 3 B, c'est Nicolas Berdiaev qui quitta ce monde le premier, le 24 mars 1948 à l'âge de 74 ans. Les années de guerre furent pour lui et son épouse particulièrement éprouvantes. En 1942, il dut subir une lourde opération chirurgicale. Les privations de la guerre eurent raison de la santé de sa femme Lydia qui tomba malade et mourut subitement en septembre 1945. Tous les deux reposent au cimetière de Clamart.
L'Après-guerre lui apporta néanmoins quelques joies, celle par exemple de voir sa renommée continuer de s'accroître à travers le monde. Ainsi il devint docteur honoris causa par l'Université de Cambridge en juillet 1947.
Et puis ses livres continuèrent de paraître. En 1946 Essai de métaphysique eschatologique et De l'esclavage et de la liberté de l'homme. Ce dernier sera traduit du russe par Vladimir Jankélévitch, un ancien de Pontigny. En 1947 paraîtra Dialectique existentielle du divin et de l'humain, un titre qui exprime parfaitement ce qui ne cessa d'animer la vie du philosophe russe.
C'est donc en 1962, le 16 octobre, que Gaston Bachelard mourut à l'âge de 78 ans. Il sera enterré à Bar-sur-Aube au côté de son épouse Jeanne. Leur fille Suzanne les rejoindra dans la tombe en novembre 2007.
La période parisienne de Gaston Bachelard fut celle de la consécration. Au sein de la Sorbonne, il est directeur de l'Institut d'histoire des sciences. En 1955, il sera élu à l'Académie des sciences morales et politiques. En 1960, il sera élevé au rang de Commandeur de la Légion d'honneur. En 1961, il recevra le Grand Prix national des Lettres.
Mais toutes ces distinctions restent dissimulées par l'image d'un homme simple qui fait lui-même ses courses place Maubert et tient à rester celui qu'il a toujours été.
Ce qui importe pour lui est de continuer à avancer le plus longtemps possible sur les deux versants principaux de sa réflexion, celui des sciences et celui de la poésie.
Son dernier livre La Flamme d'une chandelle éternisera sa figure de veilleur solitaire dans la nuit du monde.
Martin Buber fermera définitivement ses yeux le 13 juin 1965 à Jérusalem à l'âge de 87 ans. Dix années après son arrivée en Palestine, il aura eu cette grande émotion d'assister à la création de l'État d'Israël.
Depuis l'Université Hébraïque de Jérusalem où il dispose d'une chaire, il mettra tous ses talents, de philosophe des religions, de pédagogue, de sociologue et d'écrivain au service de la construction de la jeune nation et de son rayonnement.
Son œuvre ne cessera de s'enrichir de titres comme Le Problème de l'homme, Utopie et Socialisme, La Légende du Baal-Shem ou encore Une terre et deux peuples qui témoignent de l'amplitude de ses préoccupations.
Apôtre de la paix, il voyagera dans le monde entier à partir de 1947, année où il reviendra pour la première fois en Europe. À cette occasion Gaston Bachelard obtiendra du recteur qu'il fasse trois conférences en Sorbonne.
Martin Buber aura à cœur de tisser de nouveaux liens avec l'Allemagne. Ces efforts lui vaudront de recevoir le prix Goethe de la ville de Hambourg en 1951. Il sera aussi célébré à Francfort où il enseigna avant l'arrivée des nazis.
En 1963, il recevra à Amsterdam le prix Érasme qui récompense des personnes ayant fortement contribué à la diffusion et l'image de la culture et des valeurs européennes.
Mais la distinction la plus marquante fut pour lui de recevoir à Jérusalem en 1958 le prix Israël, en même temps que Gershom Scholem, le fondateur de la science moderne de la Kabbale.
Cette année 1958 est l'année de ses quatre-vingts ans. Des manifestations en son honneur sont organisées en Europe et aux États-Unis. Le voyage durera six mois. Parti avec son épouse Paula, il rentrera seul. Alors que le couple s'apprête à prendre le bateau en Italie pour rentrer en Israël, Paula est victime d'une attaque et meurt à l'hôpital juif de Venise.
Martin Buber devra surmonter ce drame. Il reprendra peu à peu son travail et jusqu'au bout restera selon la belle expression de Dominique Bourel la « Sentinelle de l'humanité ».
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Cathy Garcia Canalès signe un décapant éditorial dans le n° 72 de la revue Nouveaux Délits. Le poète aujourd’hui, dit-elle avec toute l’expérience qu’une artiste poète revuiste a thésaurisé au fil des ans, des lectures et des rencontres, « est excessif et peu vendeur ; s’il se tait, il devient fou, s’il parle on le prend pour un fou. »
Mais sans succomber à une lucidité paralysante, la pugnace poète qu’elle est, ouvre une fois encore l’horizon : « Il y a un sens à trouver à tout ce que nous vivons ou craignons de vivre : il s’agit de guérir. Et le poète-guérisseur trace des chemins de mots comme autant de formules pour briser les maléfices. Du latin malefacio : faire du mal. »
Une revue fidèle à elle-même, à la simplicité authentique de sa fabrication (papier recyclé, couverture carton) avec une mise en page parfaite, des auteurs souvent à découvrir et des illustrations toujours singulières de grands artistes (cette fois-ci la plasticienne Shenandoah Allheilig-Rivet).
Cathy Garcia-Canalès fait œuvre avec quelques autres, d’utilité publique pour la poésie.
Le n° 7 € + 2,50 € de frais de port, abonnement 35 € (4 numéros), chèque à adresser à Association Nouveaux Délits - Letou, 46330 Saint Cirq-Lapopie.
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J’ai lu « Famille » de Lydie Salvayre . Un court récit d’une puissance extrême sur l’incompréhension des parents face à la schizophrénie de leur fils.
Grande écrivaine et aussi médecin psychiatre, l’auteure, à la manière des écrivains américains du XX° siècle (dont Hemingway est une sorte de quintessence) dépeint avec la crudité du quotidien trivial, la vie de cette famille qui, par une ignorance devenue utile pour eux-mêmes, nie la maladie de leur fils.
J’ai découvert Eric Dubois par ses publications à Encres Vives.
Il y a quelques années, j’ai réalisé une émission sur lui et avec lui. La plupart de ses recueils ont été repris par les éditions unicité.
Dans la galaxie de la poésie française, c’est une étoile que je n’ai pas quittée des yeux. Son sens inouï de la langue, ce qu’il nomme « Langage(s) », ses assertions qui vous assomment de vérité : « Ecrire c’est tutoyer la mort / Dire l’impossible / Ecrire ou mourir / On laisse des mots en héritage / On partage le sensible avec les mots qu’on isole dans des cages / vides », le hissent vers le meilleur de ce que nous offrent les poètes français d’aujourd’hui.
En 1996, Eric Dubois est diagnostiqué schizophrène. Je repense à Lydie Salvayre quand il écrit dans son récit « L’Homme qui entendait des voix » : « La maladie mentale, c’est quelque chose d’imprévisible, dans une famille. Cela a l’air d’un lieu commun mais c’est vrai ! On ne songe pas un instant qu’un de ses proches va en souffrir. J’allais avoir trente ans. »
Le récit de la révélation de son état est avant tout un récit littéraire, criant de vérité mais retenu par l’élégante pudeur de celui qui ne s’est pas laissé guidé par la fatalité de la maladie.
Sa maladie, il la combat et la dépasse.
Certainement par une indéniable grande intelligence, mais surtout par son génie poétique. Car l’émotion violente qui vous gifle à la lecture des poèmes d’un Francis Giauque ou d’un Roger Milliot n’est pas celle des poèmes d’Eric Dubois.
Pas de pathos exalté chez lui. La mesure. Toujours le recul, la tenue à distance de la maladie. Elle ne lui dictera jamais directement ses poèmes. Sa lucidité d’artiste est intacte. De toute façon, il se prémunit de sa personnalité scindée en deux ; il se soigne.
L’intelligence, celle de se tourner vers la lumière : « La lumière est synonyme de l’univers », « La lumière toujours comme lampe témoin de la solitude », sa volonté d’appréhender le monde en poète pour que « La forme du langage épouse le désir », sa lucidité en éveil l’amènent à construire un monde poétique dans lequel nous nous retrouvons.
Romain Rolland disait qu’on se lisait à travers les livres pour se découvrir ; c’est ce qui advient à la lecture des poèmes d’Eric Dubois.
Ils font la « Somme du réel implosif » titre d’un de ses recueils. Cette « Schizophrénie du mot / qui est schizophrénie », lucide, il en écarte la menace, discerne le chaos et lui oppose la « Verticalité de l’instant » car « La vie est fragment / que la joie anime ».
En lisant les saisissants poèmes d’Eric Dubois qui donnent un sens à sa vie et par extension à la nôtre par la grâce généreuse de toute œuvre d’art, il est évident qu’il illustre sans réplique le constat d’un poète aussi tourmenté, Hölderlin qui sait bien que « Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve ».
La poésie ne sauve pas tous ses adeptes. Elle n’a pas sauvé Paul Celan, Roger Milliot et Thierry Metz ; mais parfois sa lumière se laisse regarder sans éblouir, et distingue dans le chaos de toute vie de grands moments de paix qu’un artiste comme Eric Dubois sait, par sa science du langage, étendre à ses poèmes pour que cette paix irradie vers nous, les lecteurs.
Alors, lisons sans attendre Eric Dubois et écoutons le dans l’émission du mardi 5 avril 2022 commenter ses dernières publications, toutes aux éditions unicité :
« Langage(s) » poèmes, « Somme du réel implosif » poèmes, « L’homme qui entendait des voix » récit.
Extraits des livres d’Eric Dubois :
« Chaque pas est une séquence » éditions unicité
Préface
Ce qui marque en premier dans l’écriture d’Éric Dubois
c’est l’économie de mots, des choix mais aussi la pluralité
des situations : le monde entier est là et il suffit de s’y
plonger pour que tous les signes de la poésie soient aussi là.
En toute humilité.
On devine le travail permanent qu’il y a derrière une telle
démarche : une vie presque entièrement vouée à l’écriture, à
ses évidences comme à ses recoins les plus cachés. Une telle
justesse n’est pas due au hasard mais à une observation
précise des choses du quotidien (même les plus banales) et
au pouvoir de l’écriture de les rendre importantes. C’est
juste « un instant que déshabille le chant » ou encore « Tout
glisse dans l’abstrait/ dans le langage » a-t-il écrit dans un
précédent opus (Le silence sur la dune, Encres Vives,
2015.). On devine Éric Dubois en embuscade, attentif à la
moindre parole vivante dont il va dans de courts poèmes
augmenter encore l’urgence.
Parmi les auteurs de sa génération Éric Dubois est certainement
l’un des plus attentifs au monde où nous vivons.
Michel Cosem
Poète, écrivain, responsable de la revue
et maison d’édition Encres Vives.
***
Couper le son
Un instant chercher l’écho
Un invariant
L’équilibre dans tout cela ?
L’insecte dans la bouche
À éroder nos épaules
L’avancée
Quel territoire délimiter ?
***
Dans les murs des chiffres
les mots creusent des trous béants
Traces de nos chaussures
Le silence
Et sa proposition de sens
Les nuits empreintes du monde
do majeur sur sa portée
Le bord des choses est le cœur de l’instant
***
Dans les murs des chiffres
les mots creusent des trous béants
Traces de nos chaussures
Le silence
Et sa proposition de sens
Les nuits empreintes du monde
do majeur sur sa portée
Le bord des choses est le cœur de l’instant
***
Éclat dispersé dans les cendres du vent
qui se sédimente en fines couches de doute
Poème, lumière du sens qui traverse les esprits
parabole du souffle
Tu sautilles dans les cordes du néant
et interroges le regard
Le fond du verre est le reflet de ta colère
le centre de la cible le cœur du nerf
C’est l’enzyme des choses
et les pas perdus se souviennent du paradis
Le premier étage d’une fusée
***
Il n’y a pas de récit
il n’y a qu’un air
Une chanson immobile
Les gestes sont ancestraux
les voix lointaines
On prend le pli de s’activer
et de se reposer quand c’est possible
L’époque n’est plus
à compter les étoiles
Le ciel change
dans l’écran du regard
Il faut savoir placer son humilité
être un élément particulier
nonobstant l’ensemble de la machine
***
Un roman « Lunatic » (éditions Le Lys bleu) :
Ce monde-ci est sans Lumière. Ne craignez pas La Lumière Trop Vive du CHRIST ! À cette heure tardive, Catherine préfère le silence aux paroles des prêcheurs, même retransmises à la télé…
O.K, je suis jolie mais j’ai pas un rond. Je fais ce qui ne me plaît pas. Rien ne va. Il est onze heures. Personne ne peut m’appeler. Ne doit. Éteint le portable. Coupé le fixe. Je n’allumerai pas l’ordi et ne lirai pas mes mails. Oui, le Monde est dans l’ombre. Mais pourquoi l’ombre nous terrorise-t-elle ?
Catherine boit du café soluble, elle est à cran, ne peut demeurer assise trop longtemps. Alors que tout est calme, Catherine s’agite. Catherine est jolie. Ne se met pas toujours en valeur. Renverse le lait. Merde. Je suis une bonniche. Le gamin se réveille. Bonjour à Nintendo.
Pas besoin de tout ça. En fais toujours trop. Jamais rien dans la vie. Si c’est pour entendre ça, je préfère partir, dit Henri. Une fille vous traite en roi, en mendiant. L’action se passe dans un bar du XIIe. La meilleure chose que tu sais faire. Fuir. Qu’est-ce que je fais avec toi ? Et je reste comme une conne. Et mon rouge à lèvres bave, dit Catherine. Ils sont accoudés au zinc et se parlent de très près. Il la dévisage. Tu as enfanté un monstre difforme et sale. Seigneur. Et moi, est-ce que je compte pour toi ? Me fais-tu une place dans ta bulle ? Quand elle ne dit plus rien, c’est qu’elle ne trouve plus les mots. Pour qu’elle soit rassurée, je devrais la faire fumer. Le Palais Wurlitzer s’illumine d’accords en do, la mineur. J’ai l’air d’interroger le vide, à la recherche d’un quelconque oracle. Calme-toi. Je ne suis pas sans reproche, mais de là, à te figer dans un mutisme fabriqué et capricieux. À propos, tu as commandé ? Oui, avant que tu ne viennes pas. Tellement attendu.
Une heure, tu t’en rends compte ? Mais combien de fois es-tu arrivé en retard ? J’oublie jamais. Embrasse-moi. Pas question de perdre mon temps. Que fait-on ? Rien. Elle écrase nerveusement le mégot de sa cigarette, avec le talon.
***
"Somme du réel implosif " ( Editions Unicité, 2021) :
Les vents sont le prolongement du sable
Prendre patience dans la nuit
Prendre l'assaut
Les multiples étoiles dessinent
des cartes postales
On peut transmettre un écho
***
Le miroir où l'esprit vagabonde
c'est un éclat
Désamorce l'explosif des yeux fermés
océan aux remous d'impatience
On bat la mesure
les tentatives d'approche
Pour nous réunir
dans le fourre-tout cosmique
Un poème doit être
une empreinte
Journal ouvert
que brise le vent
Où l'ennui le conduit
allume le soleil
À l'ordre du jour
les mots sont là
***
Le jour épais de silence
se couvre de bitume
Les mots tentent de dire
mais l'espace se brise
Idée que le monde appelle
est douleur d'ici bas
Soleil extravagant
***
L’émission du mardi 29 mars 2022 faisait écouter aux auditeurs de Radio Occitania :
Le signalement de la projection du film "Le voyage de Joan Jordà"
de José Jornet écrit avec François Labaye (52 minutes)
le samedi 2 avril 2022 au Centre Joë Bousquet de Carcassonne
***
Elle annonçait la mort d'Anne Mounic
traductrice poète essayiste et plasticienne,
professeur à La Sorbonne
signalait sa dernière publication :
"Plus que ça, un infini"
Encres Vives n° 517
6,10 € à adresser à Michel Cosem
Mas de Pestel, 46320 Issepts
*
et rappelait ses publications antérieures, toujours à Encres Vives:
"L'inerte ou l'exquis"
E.V. n° 517, 2013
"Midi Pleine Lune"
E.V. n° 396, 2011
chaque volume :
6,10 € à adresser à Michel Cosem
Mas de Pestel, 46320 Issepts
L’émission était ensuite consacrée à :
SVANTE SVAHNSTRÖM pour la parution de son dernier livre :
J’ADHÈRE À LA BRIQUE
Préface de Franc Bardou
éditions N&B, 12 €
Svante Svahnström est un poète franco-suédois, occitan de cœur, mais sa poétique est universelle. Le temps s’y dilate du plus lointain passé jusqu’à l’actualité la plus brûlante, la plus virale, pour reprendre les mots de Franc Bardòu dans la préface. Les perceptions les plus originales vont de l’infiniment vaste à l’infiniment petit, le corps humain étant la mesure de tout. Un monument, un paysage peuvent être décrits comme un corps, et celui-ci, à l’inverse, peut devenir paysage naturel : Le corps est le monde Papier d'emballage de l'âme scellé à son pied J’adhère à la brique est en même temps un laboratoire poétique où se côtoient des textes bilingues occitans ou suédois et des textes multilingues, nommés universification, et des haïkus. De la musique composée avec des mots des langues de la Terre.
Svante Svahnström vit en France depuis 1978. Lauréat du premier concours de poésie lancé par la Ville de Paris, il a publié des poèmes dans des anthologies et de nombreuses revues. Installé à Toulouse depuis 2017, il a créé et anime un cercle de poètes et d’amoureux de la poésie, « Le Gué semoir – Poètes du Bazacle », qui se retrouvent une fois par mois à la Maison de l’Occitanie à Toulouse. Il est avec Francis Pornon et Christian Saint-Paul l’organisateur des « Tempo Poème » présentation de poètes quelques jeudi à 18 h toujours à la Maison de l’Occitanie.
Voici ce qu’il entend par universification :
« Il y eut d’abord l’instant de création de l’Ensemble. Après, de bouche à bouche, naquirent les langues de l’Homme. Elles se réunirent en familles. Les mots - leurs enfants - se disciplinent, se mettent en rang et, parfois, échangent leur parure avec la famille d’à côté. Oui, l’air peut être confiné en famille et partout s’alimentent des affinités en attente d’éclosion.
De ma province de la Terre, j’aspire toutes ces amitiés à naître et j’ouvre pour elles ma lucarne d’accès au larynx de la Voie Lactée. Enfants, bienvenue au Préau de la Poé-sie!
Ici se recherchent les mots, s’inventent les sens, s’éprouvent les sons. Place aux farandoles des phonèmes, aux liesses lexicales, aux syntaxes en syncope... Les diffé-rences s’attirent, les similitudes s’étirent, les faux amis des linguistes s’étreignent. On se dépouille, on se rhabille - prêts et emprunts - on se donne en miroir.
Sous les tropiques, ni sexe ni nombre ne sont déclinés par ces invariables adjectifs créoles. Et voyez le swahili livrer ses verbes dévêtus de leurs conjugaisons. Tandis que l’unicité au temps infinitif est ce que choisissent pour ceux-ci les Chinois. Pendant ce temps, sans trêve, le vent du Désert d’Arabie évapore les partitifs. Précédant tou-jours le complément, à la manière bretonne, d’autres pe-tits paroles se prépositionnent. Au milieu, la détermination danoise ne démord pas de nommer d’un mot seul “ ne..pas ”, pas de deux. Pôle de fraîcheur, singulier et pluriel gelés en un bloc sont l’offrande des noms des altitudes du Tibet. Ces noms que le turc, idiome économe, vient dispenser de tous les articles. D’autres encore s’empressent des toundras et des selves , contribuent au laboratoire jubilant avec saveurs sémantiques et plaisirs de prosodie. Enfin, les mainates attentifs repèrent en survol et répètent, dans ce carnaval de paroles, que l’ordre des chars - les mots école par école - s’agence en français.
Emergeant des clameurs : la Poésie, devenue abondances d’infinitudes, demeurée fidèlement une. »
Ce poète franco-suédois-occitan se définit lui-même dans un poème « Enduit du paysage » dans les deux langues : Oc et française, que vous trouverez en fin des extraits de ce livre qui est une reconnaissance d’amour à notre terre occitane.
Extraits :
Pendant que le soleil tourne
autour de ma Terre plate
sans répit le ciel se dilate
depuis la seconde zéro du pétard dans la paume de Ueid
où se cachait Dieu
L’artificier l’envoya dans une capsule d’acide aminé
faire escale dans l’océan pour instiller
le souffle de vie dans la cellule unique à la dérive
Celle qui allait se fendre en deux
quelques milliards de matins plus tard
Dans un jardin juteux pendant quelques jours
Dieu comme elle vivait solitaire
puis un après-midi il y a six mille ans
d’une poignée de boue du paradis modela un homme
ravi de croire l’avoir inventé
Une invention qui n’en était pas
Un autre homme déjà et encore un autre
rodaient dans la région
depuis trois cent mille ans et bien plus
Entre eux se multipliaient les crimes
et les péchés se cumulaient
Quatre mille ans après l’homme en boue
un homme se disant de divine descendance
du côté paternel
suggéra d’aimer le passant
et insista sur le pardon des offenses
selon une source proche
Se présentant en mission pour racheter
les péchés des hommes
il aurait fini par laisser verser son
sang sur l’azyme de pessah
Sans trêve nonobstant les pécheurs pèchent
Puis les miracles se bousculent dans les reportages
fétiches de la foi
En même temps s’entassent les révélations
dans les cabinets discrets de la science
L’Homme apprend l’Univers
façonne la Terre
et comprend peu à Dieu
et Dieu n’a pas la tête à la recherche
Dans une caverne incendiée
il y a des morts que Dieu fait attendre
Le fils doit revenir avec les tickets d’entrée
au festin permanent d’un agneau
Mais le paradis a changé d’adresse
installé désormais quelque part dans le vide
Ceux qui jugent ce dieu sans intérêt
et ceux qui clament être des siens
revendiquent en commun
« Mourir plus vieux plus vieux encore »
La science rationnelle et ses hommes
savent y répondre par des répits portionnés
Dieu est capable de tout et sait tout sur tout
on le sait comme on sait que
l’attention de Dieu à l’Homme est permanente
Avec la question toujours la même :
pourquoi l’a-t-on expédié à travers les grumeaux du
vacuum
Et Ueid lui-même a tôt oublié qui étaient ses propres
parents
***
Je n’ai plus de poids
Une sensation de chaleur m’envahit
mais je ne sens rien
Je ne vois rien
mon ouïe est évanouie
je n’ai plus de voix
et tout est neutre dans mon nez
Mais en fait je brûle
Ma chair se consume
et je ne suis plus que des ossements
Je suis mort bien sûr
et je prends conscience de résider en mon âme
Mon corps ne m’importe plus
Je ne suis pas devenu un écosystème
Mon existence dorénavant se déroule décharnée
Je n’ai plus de poids et je ne sais pas comment passer
le temps
Au loin je perçois une ville et devant elle une pelouse
Une célébration s’y déroule autour d’un autel semble-t-il
Devrais-je m’approcher de l’agneau du milieu ?
Ou peut-être des anges ?
Un mort nommé van Eyck
s’est obtenu une part de vie
avec un instantané de calme bonheur perpétuel
envolé de sa palette
Serais-je accueilli par les anges ?
Et si le temps c’était moi ?
Et si l’âme que je suis s’est coulée déjà
dans la conscience supérieure ?
Dans la souveraine indifférence de l’Atman
***
Peau poussière
Ta peau contre la mienne
quand tu es là
Maintenant
éparpillée sur l’étagère
derrière le réfrigérateur
sous la commode
tu as lâché ta peau
Ta présence m’entoure en neige
sèche et morte et pourtant
Les mètres carrés de poussière c’est toi
Je collecte nos fragments
dans toute ma demeure
j’emmagasine nos présences
Tu es ma poussière
Je collecte je rassemble
dans une poche venteuse
et toutes mes surfaces retrouvent leur brillance
Dedans je trouve aussi moi
et quand je nous ai bien reconstitués
j’arrête l’aspirateur
plein des parcelles de toi
plein de nous peaux poussières
***
Petits voisins
Chaque soir sans véritable gêne
je retrouve mes petits voisins
Petits petits ils s’agitent aveugles autour de moi
Quand m’engloutit la crème chantilly du sommeil
il arrive que j’adopte une posture de foetus
et quand la main longe un mollet
le bout des doigts rencontrent les pointes des nerfs
qui reconnaissent le câlin
Je peux alors rêver de mes voisins aux micro-corps
Aux nerfs qui courent le long des paires de nano-pattes
à la douleur qu’éprouve une telle patte coincée par une
porte
Je rêve au grand écart des mandibules et me demande
pour combien de convives une pellicule seule suffit de
festin
A quelle heure dorment-ils donc ?
Ont-ils des rêves ?
Dans l’entonnoir de mon rêve érotique
je deviens un voyeur de la vie sexuelle acarienne
et je flotte dans un magma de méthodiques
accouplements
Je devine j’imagine le niveau de millijoules dégagé
par les jouissances de leurs génitaux invisibles
et spécule sur les lieux où naissent leur picodescendances
Combien de petits voisins périssent par ma tête posée
sur l’oreiller ?
Certes quand certains se laissent écraser
sur les intersections des fils
d’autres filent entre les mailles du coton
Mes petits voisins d’une beauté monstrueuse
êtes-vous les agents de mon nez coulant
et de mes éternrhuments ?
***
Unt del païsatge
Francimand, òc
Suèquimand, òc tanben
mai que mai
Cabussat en Occitània
enlobatat en immersion
unt del païsatge
Un vistalhaire esmogut per l’aventura dels sègles
de la tèrra del prètz
Un vistalhaire que daissa pas mai lo país
vengut un abitant dels camps des vals dels rius
de las ciutats
Un estrangièr que comença de polsar una istòria
anciana mas novèla dins sa boca
Un Suèc que demora suèc
Un estrangièr que s’agrumela dins l’aire vibrejant
entre las nívols de posca entràs las colonas equestres
crosadas
e los selhatges de l’escudariá d’alumini d’Airbus
ensús lo País d’Òc
Un òme occitan gaireben
***
Enduit du paysage
Français du Nord de la Loire, oui
Homme de Suède, oui aussi
surtout
Plongé en Occitanie
subjugué en immersion
enduit du paysage
Un visiteur ému par l’aventure des siècles
de la terre de la valeur
Un visiteur qui ne quitte plus le pays
devenu un habitant des champs des vallées des fleuves
des villes
Un étranger qui commence à respirer une histoire
ancienne mais nouvelle dans sa bouche
Un Suédois qui demeure suédois
Un étranger qui se love dans l’air vibrant
entre les nuages de poussière derrière les colonnes
équestres croisées
et les sillages de l’écurie d’aluminium d’Airbus
au-dessus du Pays d’Oc
Un homme occitan presque.
***
Michel Deguy a rejoint ses amis Yves Bonnefoy et Philippe Jaccottet. Je ne lui adresserai plus mes éditoriaux, je dois me résoudre à supprimer son adresse mail.
En 1995, le thrène (chant funèbre accompagné de danses) :
« A ce qui n’en finit pas » qu’il avait écrit pour sa femme disparue en janvier 1994, paru au Seuil, m’avait bouleversé par sa simplicité, sa lucidité noire : « J’ai appris la vérité de cette pensée que le MAL est l’obsession de ce qu’on ne désire pas. Mais que la culpabilité de chacun croît avec l’enlacement des destinées. Et c’est lourd. ».
En sorte de conclusion, se dessinait la lumière d’une espérance en dehors de toute transcendance et contenue dans la seule force de l’amour : « l’histoire est histoire d’amour ou rien ».
En 2017, paraissait une nouvelle édition revue et augmentée de « A ce qui n’en finit pas » (La Librairie du XXI° siècle, Seuil, non paginé, 17 €).
Ce livre d’une bonne épaisseur de pages, peut, selon la volonté de Michel Deguy, se lire en l’ouvrant au hasard puisque « tout recommence à chaque page ; tout finit à chaque page ». L’auteur nous livre ses dernières pensées et s’interroge sur un avenir qu’il ne connaîtra pas :
« A quoi donc nous préparons-nous ? A la déterrestration ; à la guerre contre les météorites, à la troisième mondiale, à la paix perpétuelle, à la procréation assistée, à la maîtrise eugéniste, à l’écran total. »
L’aspiration humaniste du poète qui affirme que la découverte de l’homme comme notre semblable, notre frère, est notre unique avenir, n’oublie pas que « Les Fleurs du mal » ont leur verso noir et que ce « déni de fraternité » tourne son exécration vers les Belges. Mais « ce venin est fait de l’horreur d’être soi, de la haine de soi ». Ce terrible constat peut-il échapper à une sordide fatalité : « Comment ne pas détester les composantes de la nature humaine ? », fatalité retrouvée dans les derniers vers du dernier poème de ce livre : « Nul n’exauce / La supplique des suppliants / Mais l’oraison sans vocatif / Poursuit l’inexorable en vain ».
En 2018, les éditions La Robe Noire ont publié de Michel Deguy « Poèmes et Tombeau pour Yves Bonnefoy », 100 p, 10 €.
Un rassemblement de poèmes qui fait de la création poétique l’honneur de notre siècle dominé par les lois du marché, du plus fort, du plus esclavagiste, de la guerre. Mais le poème est ce qui résiste à la mort. Ceux de Bonnefoy lui survivront : « Il s’éteint -non sa voix- en ce début de vingt-et-unième. Façon de dire que l’épouvante, la mutation, la vague scélérate qui soucit notre monde, il ne l’avait pas encore vu déferler : l’aveuglante approche du météore Mélancholia, la dévastation dont la petite cabane du poème (planches courbes) ne nous abritera plus très longtemps. »
Le livre s’achève sur une injonction de principe : « Le poème doit se faire comprendre / comme Mandelstam, Baudelaire ou Léopardi / Ce qui se cache, ce n’est pas le poème qui le cache / même s’il le cache en lui ».
Michel Deguy désormais « éternel ».
***
Les éditions Jacques Brémond nous gratifient depuis longtemps de remarquables livres de poésie, réalisés dans la maîtrise de l’imprimerie d’art qui fait de chaque publication un véritable livre d’artiste à un prix destiné au plus grand nombre. Le catalogue de cet éditeur dans la lignée d’un Guy Levis Mano ou d’un Bruno Durocher offre un exact panorama de la création poétique contemporaine.
Le poète grec Nikos Lybéris publie chez Jacques Brémond son deuxième livre en France. Après « A l’ombre de Cavafis » (Terres de femmes éd. 2015), c’est encore la Grèce qui est au centre de « Après le son », édition bilingue grec-français, traduction de l’auteur et de la poète Brigitte Gyr, gravures de Gilles du Bouchet.
Un papier épais, une typographie à l’ancienne, une couverture en gros papier buvard, d’authentiques œuvres d’art, celles des gravures de du Bouchet, un livre de bibliophile pour ... 20 € !
La Grèce rayonne dans les poèmes de Nikos Lybéris. Celle qui incarne le génie méditerranéen, dans ses paysages « à l’innocence inchangée » depuis l’Antiquité, les vieilles routes et chemins impondérables, les clapotis des vagues, les tilleuls sauvages, l’herbe des collines, les pêcheurs aux gestes lents, les oiseaux migrateurs, les îles et les villes sans défenses. Toute la nature de la Grèce est prise au filet des poèmes mais au-delà du simple décor : « La nature ne contient pas d’objets / juste des choses vivantes / Chaque chose une vérité. »
La vérité évolue dans ces paysages réels ou imaginaires avec les réminiscences des voyages anciens à Lerna, à Mehrgrah, à Larsa, au Caucase, en Syrie et autres.
Mais la Grèce a été lieu de guerre aussi dans le passé récent, a enduré la pauvreté, le chaos, les dictatures des colonels, mais elle a « l’instinct du Renouveau » et il y aura toujours « une route ancienne / qui va plus loin que les autres ». Ce pays de montagne et de mer dit la « simplicité suprême qui abolit toute règle ».
Nykos Lybéris originaire de Pyrgos d’Elide, est par ailleurs un scientifique qui vit à Paris depuis 1975, chercheur en géologie, plongeant en bathyscaphe au fond des océans, grand voyageur et pratiquant les arts martiaux.
La mythologie grecque apparaît en filigrane dans les poèmes : « le sang du temps goutte dans le verre / écho d’un orage venant d’une autre planète ». Le lecteur se souvient que Cronos, le dieu du temps, castra d’un coup de serpe son père Ouranos qui le gardait prisonnier et que des gouttes de sang tombèrent de la blessure d’Ouranos et donnèrent naissance aux Furies et Géants.
L’histoire aussi défile en transparence dans les poèmes, ne s’interrompant jamais, une chose remplaçant l’autre. Constantin Cavafis se plaignait des défaites par la fuite alors même que, dit-il : « nous nous tenons hors des murs, prêts au combat » ; Nikos Lybéris voit dans cette succession de vainqueurs la marche d’une civilisation : « Les murs se retirent d’autres murs arrivent / pour laisser passer / La Reine de Thulé / dans sa main la Bible aux pages blanches. »
« Après le son » de Nikos Lybéris nous fait découvrir l’univers particulier de la poésie grecque contemporaine dont la modernité est toute pétrie du faste d’une Antiquité indélébile et des derniers avatars d’un pays qui fut meurtri mais dont la beauté et l’aura sont immuables.
Gabriela Mistral, Silvaine Arabo, Hamid Larbi « ouvrent le ciel ».
Les « Lettres à un jeune poète » de Rainer Maria Rilke est aujourd’hui un grand classique utile à quiconque s’intéresse à la poésie ou en a la passion. Les éditions Bouquins, collection Littérature (19 €), publient enfin « Lettres à une jeune poétesse » qui méritent le même succès.
Dans l’émission du 30 novembre 2021 sont également signalés deux autres livres :
- « Essart » de Gabriela Mistral, Prix Nobel de littérature, traduit de l’espagnol (Chili) et présenté par Irène Gayraud aux éditions Unes, 187 p, 23 €, qui complète avec bonheur l’accès en français à la grande œuvre de cette poète, monument de la poésie d’Amérique latine.
- « Capter l’indicible » de Silvaine Arabo, éditions Rafael de Surtis, collection « Pour une terre interdite », 76 p, 15 €.
Cette poète, elle-même par ailleurs éditrice depuis longtemps (éditions de l’Atlantique, puis éditions Alcyone) poursuit une œuvre majeure traduite en plusieurs langues. Elle est également une plasticienne reconnue dans les divers continents. Cette amoureuse de La Charente (elle vit à Saintes) a choisi de nouveau les éditions repliées dans la splendeur de Cordes-sur-Ciel dans notre belle Occitanie pour nous révéler ses derniers poèmes.
Après « Au fil du Labyrinthe suivi de Marines résiliences » œuvre douloureuse de jeunesse sur la mort de sa mère, c’est toujours « l’indicible » que traque le poème. La langue y est somptueuse pour cerner, assiéger cet indicible : « Evider le choc trop brusque qui apprend de soi / L’eau qui frise / Qui charrie ses glaçons ». L’expérience maintenant est là. Celle de la vie, aussi rude soit-elle, n’a pas brisé cette joie de célébrer le monde même si la lucidité ajoute son ombre aux contours : « Et brille encore dans les chambres / La parure ancienne des miroirs ! / Mais les grandes métropoles qui croulent / Ignorent ce festin du peu / Ces miettes d’argile et d’eau / De fumure dans les soirs fatigués / Les vieilles icones ont la vie dure... ».
Le Rimbaud poète voulait changer le monde plutôt que le vénérer, ce qu’il fera lorsqu’il sera débarrassé de la poésie : « C’est fini, ça. »
Silvaine Arabo ne veut pas changer le monde, mais le « réinventer » par le poème :
Qui est qui et pourquoi
Dans la jouissance épurée des amants ?
Sous la fécondation de Mercure le scintillant
Des pierres, un peu partout,
Des gemmes rentrées
A l’intérieur
Pour les voir briller
Il y faut le regard du cyclope...
Des pierres ignées,ô beauté,
Nous engendrerons la lumière
Ici l’amour est à réinventer :
Inaugurer, oui, intensément,
Les sexualités muettes du cœur !
L’enchantement des poèmes de « Capter l’indicible » où la maturité parvient à l’excellence dans la langue, avec son parfum suave de nostalgie, recèle cette vertu d’espérance toute entière tournée vers l’amour qui fit défaut à Rimbaud : « Je redirai la grande joie d’être / [...] L’aube n’est rien / Que n’enfante derrière le soleil / Un autre soleil ».
« Capter l’indicible » est un livre revigorant porté par Silvaine Arabo qui a fait bon usage de la Voyance et n’a jamais désespéré de la poésie :
Chant, semence de la hauteur !
Révélation de la Vie
Portée par le souffle.
Jubilation parmi les feuilles
Une énergie colossale parcourt vos nervures
- Veines de nacre où glissent les sons -
Chants ! éternités, ponts solaires,
Points nodaux de toute résurrection,
Vous montez vous achevez
Et recommencez,
O chants !
Et toi, Voix des voix intérieures,
Tu t’enfles
Et la réfraction claire de ton rythme
Engendre le saut fatal
De la joie salvatrice
Ainsi parle le Souffle au souffle
Redonnant vie
A qui pensait mourir.
***
Le mardi 12 octobre 2021 après deux longues années d’enregistrement à domicile comme des reclus pour ne pas être détruits par ce virus chinois, avec Claude Bretin, le fidèle, génial et dévoué technicien qui m’accompagne depuis plus de 40 ans dans l’aventure radiophonique, nous avons regagné les studios de Radio Occitania, rue d’Assalit à Toulouse.
Pour fêter ce retour, nous avons diffusé pour la reprise de l’émission en direct, forme la plus accomplie de la radio, des œuvres chantées essentiellement de Sandra Hurtado Ros, la chanteuse sévillane qui interprète avec génie, aux côtés du compositeur Gérard Zuchetto, le Grand Œuvre gigantesque des troubadours.
Vous pouvez écouter ces chants jusqu’à l’ivresse sur le site lespoetes.site à « Pour écouter les émissions », année 2021, au 12 / 10 / 2021.
***
Des poèmes de Hamid Larbi, dits sur une musique de Fethi Tabet avec la voix de Zohra Ait Abbas, poèmes choisis qui constituent le CD « Terre de Cœurs » ont été diffusés à l’antenne dans l’émission du 30 novembre 2021.
« Chaque poème est une philosophie du réel ou une vision, au sens prophétique et messianique, de l’être vrai des choses » explique Hamid Larbi dans la présentation de son CD dont le livret est majestueusement orné de calligraphies en arabe de Hassan Majdi et en berbère de Smail Metmati, avec des photographies de Samuel Duplex.
Le poète publie également « L’odyssée de l’imaginaire » éd. Le Lys Bleu, 102 p, 11,70 €.
C’est, cette fois-ci, Jean Frédéric Crevon qui a réalisé les calligraphies qui illustrent ce recueil de poèmes.
Hamid Larbi, diplomate qui fut longtemps en poste en Italie avant de résider à Montpellier, a la passion du partage. Et ses poèmes en sont l’expression généreuse.
Comme Lévi-Strauss qu’il cite avec Kundera et l’abbé Pierre en exergue, « il place le monde avant la vie, la vie avant l’homme, le respect des autres êtres avant l’amour propre ».
C’est un poète et essayiste anglais Richard Berengarten qui a écrit la préface de ce livre et a été traduit en français par Fatiha Hamitouche.
Partant de trois vers de « L’odyssée de l’imaginaire » :
Les rêves comme des colombes
Leur envol ouvre le ciel
Un bleu plus vaste que le rêve
le préfacier déduit que « les colombes-rêves ou rêves-colombes appartiennent, en même temps, aux mondes intérieur et extérieur ». Les rêves sont donc porteurs de messages comme l’inconscient collectif de C.G. Jung et avant lui Apollon, divinité de l’Olympe qui interprétait les rêves, étant par ailleurs Maître de la chanson, de la danse et de la poésie.
Les colombes de plus, ouvrent le ciel, « l’immensité rêveuse du ciel ».
Et le poète est « terrifié » quand il regarde le vaste ciel, mais, conclut le préfacier « le sens de l’admiration, de l’émerveillement, à la majesté de la création, est plus fort que la terreur ».
C’est un regard métaphysique sur le monde, sur le sens de la vie, du destin et de l’action possible de l’imaginaire. L’emploi souvent de l’infinitif pour les verbes, rend compte de ce dialogue intérieur qui agite le poète dans son odyssée de l’imaginaire.
Exiger l’absolu
Nul secret n’atteint sa clarté
Laissant à la mer l’exil
Diriger les voiles vers l’inconnu
Et rester immobile au-dessus de l’horizon
Un vent sans entraves
Les rêves comme des colombes
Leur envol ouvre le ciel
Un bleu plus vaste que le rêve
Des tentations et des ombres
Un ailleurs bien meilleur
Une renaissance de la naissance.
****
La mémoire de la Terre
File sous les flammes
Des lumières de l’incertitude...
L’abîme est si éloigné
Pour excaver sa marée
Aux remparts des ridules
Qu’il suffit d’une mélancolie
Pour n’être qu’un instant...
****
Dans le soupir de lyrisme
Une lueur de sagesse
L’euphorie des vocables
Quérir la douceur des mains
Sur un corps supplicié par des pensées
Renaître de la lumière du désir
S’épanouir à travers les reflets du verbe
Fureter dans sa fragilité
L’équilibre dévoyé dans l’Univers
Recueillir du précieux trésor :
Le mot d’esprit.
****
La certitude de la fin
L’émergence du néant
Un émoi qui enlace le vide
Et qui engendre
L’incertitude
La nuit tombe
Dans le silence.
****
Luire
Ainsi qu’une arabesque
De l’imagination
Egarer dans l’obscurité
L’illusion se perd
Dans le néant
Et oublie sa propre voie
La grâce d’une apparence
Le retentissement d’une locution dardée
Erigé sur des layons du désert
Qui fait appel au destin
Liminaire, s’étend vers aucun lendemain
Une intuition à bâtir
Le mirage murmure qu’une rare saison
Se retire
Quand le corps rattrape
Son ombre.
****
Être « contre » c’est « Rêver debout »
ou la constance de Lydie Salvayre
En préambule, lors de l’émission du mardi 11 janvier 2022, c’est le dernier livre du poète qui vit dans ces belles terres du Tarn et Garonne :
Cédric Le Penven : « Un sol trop fertile » paru aux éditions Unes,
75 p, 17 €, qui est signalé aux auditeurs.
Cet ouvrage a depuis fait l’objet de l’émission diffusée pour la première fois le mardi 18 janvier 2022 qui sera rappelée dans un prochain éditorial.
En effet, le 11 janvier 2022, en complément de la rencontre accompagnée de lecture d’extraits de son livre « Rêver debout » (Seuil éd.) sur sa perception du Quichotte par Lydie Salvayre le samedi 29 janvier au Centre Joë Bousquet de Carcassonne, il m’a semblé opportun de rappeler que vingt ans auparavant, Lydie Salvayre avait écrit et lu en spectacle public « contre » un long plaidoyer sur les travers de notre société satisfaite de son conformisme à l’ordre néolibéral, ouvrage avec CD paru en 2002 aux éditions verticales (51 p, 8,50 €).
Ce que révèle « Rêver debout » était en germe dans « contre ».
« Rêver debout » est un des plus beaux livres écrits sur le Quichotte.
Et la facilité de lecture, jubilatoire, est déroutante. Une telle réussite, montrer les arcanes subtils du chef d’œuvre de l’humanité que nous a légué Miguel de Cervantès avec son Quichotte, prouve la virtuosité de l’écrivaine parvenue au sommet de son art.
Sous forme épistolaire, s’adressant à l’auteur du Quichotte, elle manie une langue limpide, magnifiquement accessible et familière sans rien camoufler de la dimension complexe de son autopsie d’un livre toujours bien vivant.
Comme pour la plupart d’entre nous, elle n’avait du Quichotte qu’une image puérile et naïve du Chevalier à la triste figure qui confondait les moulins à vent avec les géants. A la faculté de Lettres de Toulouse, elle était passée vite sur ce gros livre du programme.
Revisité à l’âge de la maturité, c’est le choc. Le génie de Cervantès est si fracassant qu’elle se doit de lui écrire et de l’informer de l’état de notre société quatre siècles plus tard.
Ainsi, elle s’associe, à sa manière, insolente, abrupte, sensible, expérimentée (par sa vie, son métier de psychiatre et d’écrivaine), aux grands auteurs qui ont hissé le Quichotte aux plus hautes cimes de la littérature, tels Nietzsche ou Victor Hugo.
Et sa plaidoirie, car ce livre s’écoute comme une plaidoirie tellement la langue est orale, nous convainc, et à l’égal d’un ténor du barreau, elle nous bouleverse dans les dernières pages où le quotidien des souffrances de notre société, mis à nu, crie à vif.
Le livre du Quichotte a été accueilli à l’origine comme un amusement, ruse de Cervantès pour se faufiler à travers les mailles de la censure qui sévissait gravement sous la férule de la cruelle Inquisition véritable démence.
Il fallut le recul du temps pour en appréhender l’énorme force éthique.
Car Lydie Salvayre ne peut concevoir qu’il y ait contradiction entre les vertus célébrées par la littérature et les actes de chaque jour des célébrants. Dans ce cas, s’interroge-t-elle, à quoi bon les livres ?
Le Quichotte réalise son utopie ici et maintenant, refusant tout ajournement.
Le Quichotte élargit la réalité aux dimensions de son rêve. Il relie le rêve à la réalité, le ternissant un peu. C’est cela : « Rêver debout ».
Il s’élance à contresens de la dure réalité économique, faisant fi des moyens qui sont le nerf de la guerre. « Le Quichotte veut la fin sans disposer des moyens » explique Lydie Salvayre qui poursuit avec un lyrisme bienvenu :
« Le Quichotte chamboule tout.
C’est l’Incendiaire.
L’instigateur d’une insurrection permanente dont l’autre nom est la Vie ».
Le Quichotte n’a pas le désordre pour finalité contrairement à ces artistes contemporains subventionnés qui ont tout de « l’extrémiste chic, installé confortablement dans des outrances dont il fait son petit commerce ».
Le Quichotte cherche à faire advenir « une humanité plus juste, plus haute, plus mélodieuse et où personne ne fera plus s’agenouiller personne ».
C’est un « imprudent. Qui préfère à la proie, l’ombre de l’espérance ».
Il ne joue pas aux séditieux à l’inverse de « nos artistes experts en subversion subventionnée ».
Sancho Pança transpire d’une humanité bienveillante tout le long du roman. En fin psychologue, il a deviné le mal être existentiel de son maître.
Et il est le seul !
Le destin du Quichotte, c’est l’errance. « Lorsqu’elle s’achève, il meurt » constate Lydie Salvayre qui conclut joliment sur la finalité du livre de Cervantès : « Vous nous soufflez que la poésie demeure, au bout du compte, la seule chose qui se puisse opposer à la violence et à l’absurdité du monde ».
Qui en douterait ?
****
« contre » est un panorama plus direct de ce qui ne va pas « dans la république d’où je viens » ( notre patrie La France) selon le leitmotiv de ce poème en prose.
Une charge épique, poétique, ironique, savante, prophétique contre les mœurs d’une société façonnée par la loi exclusive du marché qui appelle à la concurrence en tout domaine, donc à la performance généralisée qui est une forme intraitable de domination.
A Lydie Salvayre, vingt ans après avoir écrit ce long poème comme un cri étouffé, l’avenir lui donne raison.
Notre monde marchand surpris de plein fouet par une pandémie, réalise, mais un peu tard, qu’il nourrit en même temps une forme aussi sournoise que violente de notre dépossession dans tous les domaines de la vie.
Je vous invite à écouter dans sa quasi totalité « contre » sur le site lespoetes.site à la rubrique « Pour écouter les émissions », émission du mardi 11 janvier 2022.
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Extraits de « contre » :
Dans la république d’où je viens, les hommes sont pressés. Est-ce la peur du pire qui les fait s’engouffrer dans la course aux désastres lors même qu’ils voulaient en écarter l’augure ? Ou la crainte d’eux-mêmes et l’évidence de leur rien ?
Les hommes sont pressés et leur empressement se propage à tout l’être. Leurs désirs naissent en eux en faisant de grands bruits, puis aussitôt s’évanouissent. Et selon cette loi qui leur fait préférer la nullité du jour à la valeur ancienne, les voilà un beau soir furieusement épris d’une musique fade, d’un champion de judo le lendemain matin, et le surlendemain du dernier imbécile en vue.
Enclins aux engouements, ils persévèrent peu dans leurs inclinations. Ce trait de leur personne n’est pas sans bénéfice. Les haines et les rancœurs y manquent d’envergure et l’on voit tous les jours des ennemis jurés se faire mille grâces et s’appeler mon chou.
Le dernier fou est mort
et le dernier amant
Le dernier fou est mort
le dernier animal
Le dernier fou est mort
le dernier malfaiteur
Le dernier fou est mort
et le dernier enfant
Le dernier fou est mort
le dernier ennemi
Le dernier fou est mort
le dernier ennemi
Le dernier fou est mort
le dernier musicien
Le dernier fou est mort
et le dernier artiste
Le dernier fou est mort
le dernier à dire non
Le pays est nickel Rachel
Nickel
***
Le professeur Jacques Arlet est décédé à Toulouse à l’âge de 101 ans. Ses obsèques à la basilique Saint-Sernin de Toulouse ont rassemblé une foule considérable dans un profond recueillement en harmonie avec la haute spiritualité de ce grand homme qui avait une foi sereine et inébranlable.
Il était un familier de notre émission « les poètes » et venait parler de chacun de ses livres.
Au fil des années, une amitié est née avec cet honnête homme au sens que l’on donnait à cette expression au XVIII° siècle. J’ai eu plaisir à converser avec lui lors de ses invitations à déjeuner dans sa maison de la rue du Périgord.
Quand il a reçu le prix Dominique Baudis de la Ville de Toulouse, je fus heureux de faire son éloge lors du dîner de célébration devant une assistance admirative du médecin écrivain, grand amoureux érudit de Toulouse.
Philippe Dazet-Brun, secrétaire perpétuel de l’Académie des jeux floraux de Toulouse lui a rendu un brillant hommage lors de la cérémonie de ses obsèques.
L’émission « les poètes » qu’il a toujours suivie, lui rend à son tour hommage en rediffusant une de ses participations à une séquence diffusée la première fois sur les ondes de Radio Occitanie le jour de Noël 2015.
Jacques Arlet développait à l’antenne ce qui le séduisait dans
« La vie à Toulouse entre les deux guerres » qu’il avait publié chez Loubatières.
C’est cette époque marquante de Toulouse que Jacques Arlet a su saisir dans toutes ses dimensions que nous avons choisie parmi toutes les publications à découvrir ou à redécouvrir de ce dernier Toulousain remarquable.
Ci-dessous le résumé de cette émission de 2015 :
Christian Saint-Paul reçoit son invité : Jacques ARLET Mainteneur de l’Académie des Jeux Floraux de Toulouse, élu en 2002 au 1er fauteuil, Chevalier de la Légion d'honneur, Officier des Palmes académiques, Professeur émérite de l’Université Paul Sabatier, Faculté de Médecine, ancien Président de la Société Française de Rhumatologie. Président fondateur de l’Association Internationale de Recherches sur la circulation osseuse. Docteur Honoris Causa de l’Académie de Dublin. Archiviste adjoint de l’Académie des Sciences, Inscriptions et Belles Lettres de Toulouse. Auteur de livres sur l’histoire de Toulouse au XIXe siècle, sous Louis XIV et de biographies.
Voir les émissions le concernant sur ce site dont :
http://les-poetes.fr/son/son%20emision/2013/130404.wma
Cet amoureux de Toulouse vient nous parler de son livre :
« La vie à Toulouse dans l’entre-deux-guerres » éd. Loubatières – Histoire, 311 pages, 25 €.
L’essor culturel de Toulouse dès le XIème siècle avec les comtes de Toulouse, protecteurs des troubadours, tolérants à l’égard de l’hérésie cathare, l’épopée dramatique qui s’ensuivit jusqu’à la chute de Montségur en 1244 et la mise sous tutelle de l’Occitanie, désormais dominée par les rois de France et demeurée enclavée, éloignée du pouvoir jusqu’aux années soixante du XXème siècle, sont des faits bien connus.
Ce que l’on sait moins, c’est que Toulouse a toujours abrité des hommes de génie et des hommes et femmes de talent qui lui offrirent une certaine indépendance dans son enclavement et que, même tenues en lisière de la capitale, elle prospéra malgré tout et parvint à une certaine autonomie. Jacques Arlet connaît bien l’histoire de Toulouse, il en aime les artistes ; nous avons consacré avec lui une émission sur les poètes de Toulouse de la Belle Epoque. Pour les vingt ans qui séparèrent les deux guerres mondiales, nul, mieux que lui, ne pouvait en saisir l’atmosphère, ayant vécu cette époque. Et c’est dans l’euphorie des lendemains de guerre et l’appréhension de la prochaine, cette vingtaine d’années de paix, que Toulouse a posé les fondations de son devenir : une ville moderne tournée vers le progrès scientifique et technologique, en même temps qu’une ville indéniablement douée pour les arts et les idées. Et au fond, elle n’abandonnera jamais sa propre tradition. Occitane, indépendante, toujours un peu rebelle.
Cette courte période fut si riche en événements, en créations, que Jacques Arlet ne pourra tout citer sur près d’une heure d’entretien.
Dès 1920, la tradition et la modernité allèrent de pair. Le doyen de la Faculté de médecine, M. Abelous qui enseigne la physiologie, est aussi un grand amateur d’occitan. Plus tard, les médecins perpétueront cette double culture, scientifique et littéraire, souvent occitane, comme chez Ismaël Girard, Paul Voivenel, Camille Soula.
Notre actuelle Université des Sciences Paul Sabatier porte le nom d’un professeur de chimie, inventeur de la catalyse qui s’est vu décerner le prix de chimie en 1912. Il présida la Faculté à laquelle son nom fut donné et ne voulut jamais « s’exiler » à Paris. Visionnaire, il créa des instituts pour la formation d’ingénieurs.
Jacques Arlet précise qu’il a construit son livre en suivant la chronologie des trois municipalités qui se sont succédé durant cette période : Paul Feuga, Etienne Billières, Ellen Prévot. Pour chacun, les comparant à des étages, il convie le lecteur à les visiter dans leurs composantes : municipalité, ateliers, magasins, facultés, théâtres, librairies, buralistes, etc.
Jacques Alet nous apprend que c’est au lendemain de la victoire de 1918 que l’Institut catholique a créé l’Ecole Supérieure de l’Agriculture de Purpan, après l’achat d’un domaine.
Quant à la reprise des arts plastiques, Jacques Arlet déplore une certaine retenue dans l’innovation. Les peintres toulousains ne dépassent guère le néo-impressionnisme. Il faut dire que le Musée des Augustins va être dirigé sans partage, pendant 38 ans, par un conservateur, M. Rachou qui va imposer un immobilisme. La période fut au nombrilisme et même au chauvinisme, la lumière n’étant portée que sur les artistes locaux.
Mais des peintres toulousains s’illustrèrent par leur génie, ayant la plupart du temps été consacrés d’abord à Paris. C’est le cas d’Henri Martin (1860-1943) qui fut l’élève de Jean-Paul Laurens et qui a adapté la technique impressionniste à l’échelle monumentale.
L’Ecole des Beaux Arts, qui fut aussi un temps dirigée par le même Rachou, devint un enjeu politique pour la municipalité qui organisa pour les artistes des cours du soir.
Les tapisseries de Saint-Saëns demeurent dans le patrimoine mondial.
La littérature est bien vivante à Toulouse avec des auteurs qui se partagent déjà entre Toulouse et Paris. La tradition des revues poétiques toulousaines est largement respectée, inaugurée par Magre et Delbousquet.
Maurice Magre, Armand Praviel qui trouvent l’objet de leurs romans dans la vie à Toulouse ou l’Occitanie, connaissent un fort succès national.
René Laporte (1905-1954), poète toulousain, a sa place au Panthéon des poètes surréalistes, et ses poèmes ont aujourd’hui l’éclat et la force de l’intemporel.
Les journaux, comme le Télégramme ou la Dépêche du Midi, puissantes institutions alors, faisaient paraître des poèmes régulièrement.
Le sport, nous dit Jacques Arlet, tient déjà une grande place dans la cité. On se passionne pour le rugby.
En 1930, on dénombre 5 morts sur les terrains de rugby.
Etienne Billières, socialiste libéral, fera construire le Stadium. Paul Feuga laissera une ville endettée.
C’était aussi une ville ouvrière. La poudrerie ONIA comptait 30.000 ouvriers et devait sa création à un butin de guerre, un brevet allemand. On a fabriqué à Toulouse des millions d’obus.
L’aviation connaît son épopée. Latécoère a ses ateliers en haut des allées des Demoiselles.
Le 11 novembre 1918 vit la création de la première Compagnie d’Aviation Civile.
Toulouse devint une tête de ligne internationale à la conquête de l’Amérique du Sud.
Le 21 mai 1933, venant de Buenos Aires, Mermoz sur l’Arc-en-ciel, relie Casablanca à Toulouse, sans escale.
Lecture par Jacques Arlet de cet extrait du livre.
L’Aéropostale, la Ligne, entrent dans la légende avec Antoine de Saint-Exupéry qui logeait à l’Hôtel du Balcon, près de la place du Capitole, Henri Guillaumet, Didier Daurat, Alexandre Collenot, le mécanicien de Mermoz.
L’industrie aéronautique bat son plein. Après Latécoère, un de ses ingénieurs, Dewoitine, crée sa propre société et les militaires s’installent à Francazal.
Toulouse conservera son avance dans la future aviation commerciale.
Jacques Arlet évoque la figure mythique du nouvel archevêque de Toulouse, Monseigneur Saliège, qui vient remplacer Monseigneur Germain, enterré en grande pompe en présence de toutes les personnalités civiles, militaires et religieuses, dans une « belle unanimité et qui n’était pas seulement de façade et qui ne se verrait plus aujourd’hui », commente Jacques Arlet.
Monseigneur Saliège, qui deviendra cardinal, né en 1870 en Auvergne, est fils de paysan et arrive de Gap où il était en poste et « où il a eu froid ! », s’amuse Jacques Arlet. Il devint l’ami de Jean Guitton qui lui consacra une biographie. Mais rapidement, le cardinal Saliège tomba malade, atteint d’une lésion définitive du cerveau moteur qui lui ôtait ses capacités de marche et d’élocution. Mais son intelligence et sa volonté étaient intactes.
Le nouvel archevêque, assisté de Monseigneur de Courrèges, fit connaître ses opinions sociales dans ses « Menus propos » publiés dans la Semaine Catholique de Toulouse. (Voir à ce propos le livre de Pierre Escudé sur Monseigneur Saliège et l’émission que nous lui avons consacrée).
La force universelle de ces aphorismes n’est pas contestable. Jacques Arlet cite celui-ci : « c’est perdre son temps, c’est perdre sa peine que de ne pas aimer » (13 mars 1938).
Jacques Arlet souligne enfin l’importance de la radiophonie à cette époque, Toulouse se révélant, là aussi, ville pionnière.
La téléphonie sans fil mise au point par Branly et Marconi, la T.S.F. voyait le jour. Le docteur Saint-Béat, passionné de technologie nouvelle, donc de T.S.F., sans attendre l’improbable autorisation du ministre des PTT, lança Radio Toulouse. Cette installation en force, suscita une vive réaction de la part de l’Etat qui créa, bien que manquant gravement de moyens financiers (déjà …) « Toulouse-Pyrénées » pour concurrencer sa rivale, dans toute la mesure du possible.
L‘esprit frondeur toulousain permît à Radio Toulouse d’émettre, malgré les handicaps, et avec qualité.
Le livre de Jacques Arlet a pu emprunter pour sa réalisation des illustrations et des documents d’une exposition que l’on peut qualifier d’historique en janvier 2008, de la Bibliothèque de Toulouse : « De grandes espérances Toulouse entre les deux guerres, les écrivains, les artistes et le livre » qui donna lieu à un catalogue qui, par son excellence, enorgueillit notre ville.
Jacques Arlet est de la lignée de ces grands médecins qui sont, aussi et peut-être avant tout, des humanistes, des honnêtes hommes, selon l’expression du XVIIIème siècle, c’est-à-dire, savants et touchés par la sagesse. Il se range aux côtés d’Ismaël Girard, Camille Soula, Paul Voivenel qui étaient des exemples prônés par la génération de nos pères. Sa curiosité dévorante, sa verve littéraire, son œuvre au service d’autrui, l’héritage laissé à la Faculté de médecine, en font une des figures les plus accomplies de Toulouse. Il est heureux qu’il ait consacré ses forces intellectuelles à l’étude de Toulouse au cours des âges et aux toulousains remarquables. « La vie à Toulouse dans l’entre-deux-guerres » nous apprend d’où nous venons, non seulement nous, toulousains, mais tout homme, car l’histoire de Toulouse s’inscrit dans l’histoire de l’humanité.
Michel Eckhard-Elial* « Crier à l’étoile »
Encore une très belle publication des éditions Levant :
« Poésie Organique » de Vanessa De Loya Stauber,
traduction de l’hébreu par Revital Berger Sholman, peintures de Denis Zimmermann, 57 p, 20 €.
Un vrai livre d’artiste, luxueux avec sa jaquette. Il s’agit de la première publication de poèmes de l’auteure, née au Maroc puis ayant résidé à Paris ensuite en Californie avant de s’établir à Jérusalem. Psychanalyste, elle fut influencée par sa rencontre avec Edmond Jabès.
« Un chemin de poésies traversées par les langues, les lieux, espaces de couleurs et de temps. Il y a quelque chose de mystique dans le ravissement, la gaité de ce cantique, dédié à l’élu de son cœur » nous explique dans un texte liminaire sa collègue psychanalyste Simone Wiener. Le poème réussit dès lors à « rejoindre le sacré à travers l’immanence du lien à l’être aimé ».
Les poèmes nés de cet amour sont lisibles dans les deux langues hébreu et français et en regard chacun d’une peinture de Denis Zimmermann. La beauté du texte, de la graphie dans deux alphabets et de la peinture confèrent à ce livre un aspect solennel.
L’amour est notre unique transcendance. Rien ne peut s’accomplir sans lui.
Rien sans l’autre. Tout est possible avec l’autre : « Des escales à parcourir à deux / Pour déjouer l’arbitraire / Je t’en dessinerai mon amoureux ».
Le désir de l’autre nourrit le poème et la volupté est transcendée. « Les êtres aimés ne meurent jamais » ; c’est l’amour triomphal, celui observé par Christian Bobin : « La vie de couple est sans fond, immense ».
C’est cette immensité que dessine les poèmes de « Poésie Organique ». L’érotisme y est serein et joyeux, on songe au poème de William Blake : « Que demande l’homme à la femme ? / Les linéaments du Désir Accompli / Que demande la femme de l’homme ? / Les linéaments du Désir Accompli ».
Pour cet aboutissement Vanessa De Loya Stauber préconise d’ « Arrêter de plaire / Pour enfin aimer ».
Fasse qu’elle soit entendue !
***
L’inébranlable fidélité à l’amour est la parole ininterrompue de
Michel Eckhard-Elial qui nous la livre incandescente dans sa dernière publication : « Crier à l’étoile » aux éditions de l’Aigrette
(55 p, 13 €) .
Cette suite de poèmes la plupart précédés de citations de poètes de génie ou de la Bible, s’inscrit dans la continuité directe de « L’arbre de lumière » (éditions Levant 2017) le précédent recueil du poète.
C’est toujours le ciel qui crée l’événement, c’est de lui que surgit la lumière et c’est lui qui renferme l’étoile.
Poèmes mystiques d’une spiritualité providentielle qui s’insère avec bonheur dans la poésie d’aujourd’hui essentiellement polymorphe.
L’étoile c’est celle qui incarne le fils Matiah prenant sa place dans le ciel à l’âge de dix neuf ans, le fils poète et musicien.
Pareille blessure détruirait le père s’il n’était habité de l’incommensurable amour sur lequel la mort même ne peut rien.
Cet amour qui fait « Crier à l’étoile » prenant le ciel à témoin de sa fidélité.
L’étoile elle était apparue dans « L’arbre lumière » : « il faut disparaître / au ciel des mots portés / comme les étoiles / sous les ailes / des anges » ; « cette étoile fidèle, / je la souffle vers toi » ; « silence / une pierre clôt / la rencontre / d’étoiles / filées de / la même nuit » ; « nous serons proches de la lumière / tombant du ciel et y montant / comme l’étoile du matin retrouvé » ; « une peau de mémoire / plus aiguë / que l’étoile / secourable ».
Déjà Michel Eckhard-Elial annonçait dans le poème que « le temps creusé par les tombes / s’envole plus haut ».
Et ce haut vol, c’est « Crier à l’étoile ».
Les citations mises en exergue dans ce livre aussi y sont à leur juste place : Rítsos, Reverdy, Char, Vigée, la poétesse israélienne Dahlia Ravikovitch, des Psaumes, Rilke, Juarroz, Heidegger, Nelly Sachs, Celan, la Bible, José Angel Valente, Hölderlin, Milosz et les hymnes homériques.
Chaque poème répond à égalité au niveau d’élévation de la citation.
A « Tout vient vers nous : / Nous n’allons pas vers rien » de Juarroz, Michel Eckhard-Elial complète : « Les noms portent sur les choses / La lumière de l’espérance / Je te dirai l’amour où je vais ».
La lumière est toujours présente dans l’étoile, car l’étoile n’est autre que l’amour : « [...] souffler / sur l’impalpable visage / de la lumière / comme sur la cendre / d’une énigme sans ciel / obéissant au plus secret / des astres : le cœur ».
L’amour à l’étoile c’est « Répondre à l’absence / par des mots » puisque « le mot vient de / plus loin / d’une porte / sans monde ».
Alors « Nous comptons les mots / Comme les étoiles / Chacun d’eux est un astre glacé / Que réchauffe le soleil ».
Il ne subsiste que cette parole « Nous nous retirons aussi / des gestes comme le sable / perd les eaux » pour dire cet amour : « Je suis à toi comme l’eau / accrochée à la lumière / creusée de toute vie / inguérissable ».
Des poèmes ciselés dans le diamant de la maturité. Une grandeur née de la frugalité des mots, d’une concision saisissante. Le style d’un poète qui s’est hissé au niveau des plus grands. L’humilité de la grandeur.
« Crier à l’étoile » une parole qui redonne la vie à celui que l’on pouvait croire, à tort, disparu.
Gustave Thibon l’avait pressenti : « L’amour avorte tant qu’on ignore qu’il faut passer par l’irréparable pour accéder à l’inaltérable. Tout se reconstruit en haut quand tout s’écroule en bas ».
Michel Eckhard-Elial lit et commente ses poèmes ainsi que ceux de Vanessa De Loya Stauber dans l’émission du mardi 16 novembre 2021 sur le site : lespoetes.site
* Michel Eckhard Elial
Michel Eckhard Elial est poète et traducteur de la littérature hébraïque. On lui doit les traductions en français de : Yehuda Amichaï, Aaron Shabtaï, David Vogel, Ronny Someck, Hagit Grossman, Miron Izakson, Dahlia Ravikovitch, Miriam Neiger-Fleischmann. Il dirige la Revue et les éditions éponymes «Levant – Cahiers de l'Espace Méditerranéen » qu'il a fondée en 1988 à Tel-Aviv, aujourd'hui à Montpellier, dont la vocation est de promouvoir un dialogue pour la paix entre les trois rives de la Méditerranée.
Parmi les publications: L'instant le poème, Levant, 2009; Un l'Autre, Levant, 2008; Poèmes de Jérusalem, L'Eclat, 2008; Début, fin, début, L'Eclat, 2008; Les morts de mon père, L'Eclat/Levant, 2001; Beth, Levant, 1995; Histoires d'avant qu'il n'y ait plus d'après, Alfil/Levant, 1994 ; Au midi du retour, Euromedia, 1993 ; L’Ouverture de la bouche, Levant, 1992 ; Exercices de Lumière, Levant 2015.
***
Extraits de « Crier à l’étoile » de Michel Eckhard-Elial :
Répondre à l'absence
par des mots
nommer l'absence
se perdant
dans chaque mot
mesuré et traversé
combien
de vivre étincelle
dans le jour du visage
le mot vient de
plus loin
D'une porte
Sans monde.
***
(Yona)
Le Juste eût-il les lèvres scellées sait
vers quel visage le mot est tourné
chaque mot est un visage, une île lointaine,
un estuaire d’infini, un peu plus haut,
un peu plus loin, un peu plus bleu,
recevant le souffle de face
il s’élargit à l’appel
cette heure
qui advint
je sais que
tu sais
dans l’intervalle
des jours
une peau
étoile
le monde.
Dans la douleur quelle heure
du monde diffère
pour rêver encore
ou souffler
sur l'impalpable visage
de la lumière
comme sur la cendre
d'une énigme sans ciel
obéissant au plus secret
des astres: le cœur.
Transparente
jusqu'au cristal du corps
qui ne laisse plus passer
le regard.
***
Pour que le soleil ne soit jamais oublié
dans l'opacité des commencements
pour que les mots se remettent en ordre
comme les eaux alignées
révèlent ce qui est caché
pour que mon amour transforme
mes balbutiements
dans les six directions du monde
en paroles de vérité
bouche d'amour
mains de lumière
pour bénir
la puissance du visage
et la figure du secret
faisant fruit
de l'homme
et pour l'homme
un
j'écris le
poème
***
De l’autre côté de la nuit, quelle étoile t’éclaire ?
Claude Vigée, Le poème du retour, 1962
Crier à l'étoile
à perte de mémoire ce pays
est naissance
il faut avoir été
sable
jusqu'aux mers ultimes
pour qu’en tout exil
l’étoile renaisse
et porte le nom
de la présence
reconstruite
mon fils
est
ce temple
où l’ombre est
au cœur de la pierre
un bouquet de soleil
qui refleurit
un roc de lumière qui
soulève les cendres
du pays
quel fut le champ des fruits
et des sources
elles flamberont comme le genêt
dans le silence de l’orage
et de l’attente
9 Av 5779
***
Pour la première fois depuis 1981 que je réalise avec toujours le fidèle Claude Bretin à la technique, des émissions de radio consacrées, à quelques exceptions près, aux poètes contemporains, le choix de l’artiste m’a valu une rageuse désapprobation.
Les poèmes de Murièle Modèly, de son dernier livre « User le bleu suivi de Sous la peau » ne mériteraient pas la promotion de l’émission « Les poètes » car cette poésie ne serait pas « élevée » comme il sied à la poésie touchant les belles âmes.
Surtout, un poème prenant racine dans un fait ordinaire de la vie sans grâce (comme par exemple l’entretien annuel professionnel d’évaluation) serait un tue-poésie, comme une haleine fétide un tue-l’amour.
J’ai le plus grand respect pour le goût et la sensibilité de chacun face au poème. La sensibilité de chacun, disait Baudelaire, c’est son génie.
Quand, voici près de cinquante ans, je publiais « Poésie Toute » le sommaire était ouvert à toutes les poésies, y compris celles que je n’aimais pas personnellement mais dont j’étais persuadé qu’elles recélaient une part de ce génie qui ravirait l’autre lecteur.
Murièle Modèly, arrachée à son île La Réunion, à sa langue créole, à ses parents, à son enfance pour s’immerger dans le monde des livres, nous gratifie de poèmes « élevés ».
Peut-être ai-je cité les plus « légers », ceux de l’ironie bienveillante. Mais il y a aussi et surtout ceux de la gravité.
Et ses poèmes, photographiant des instants inéluctables de la vie dont elle peut témoigner parce que c’est la sienne, celle d’une personne de sa condition : bibliothécaire dans une métropole, empêchent précisément par la pudeur de l’ironie, de nous submerger.
Car l’élévation ne conduit pas nécessairement à l’extase poétique.
La poésie, si elle a vocation de libérer l’homme, ne saurait avoir de domaine réservé. Rien ne peut lui échapper.
Ceux, désignés sous le vocable de « poètes du quotidien » en ont fait leur miel et des merveilles !
Allez dire qu’Antoine Emaz n’était pas un poète « élevé » !
C’est le langage qui fait l’élévation, pas le sujet.
C’est par son travail sur la langue, sa façon de porter la parole que l’artiste « fait » de la poésie, puisque la poésie est l’art de faire.
Et c’est en cela que le poète sert la vie.
Instrumentum ad omnem vitam litteratura proclamait déjà Tertullien.
La littérature sert la vie en tant que tout renchérit Régis Debray qui déplore que « chacun, en France, doit avoir sa case, ou sa cage. C’est bon pour le classement en librairie, vu l’encombrement des présentoirs. [ ... ] Edgar Morin a beau prôner la complexité, le laboureur labellisé n’a droit qu’à un sillon. »
Michel Cosem voit la poésie comme un « Sillon pour l’infini » (L’Harmattan 2021, préface de Gilles Lades) et il a bien raison de ne lui accorder aucune limite.
Le Slam a sa place sur ce sillon.
Pour la reprise des animations de poésie de la Maison de l’Occitanie de Toulouse, l’Ostal, nous avons choisi le
Capitaine Slam alias Thierry Toulze.
Alors Svante Svantröm le poète suédois occitaniste, Franc Bardou, le Jim Morrison de la poésie occitane, Francis Pornon le poète et romancier des troubadours et moi-même, l’avons accompagné dans sa lecture-performance.
Il illustre bien notre Capitaine, la dualité de la gravité et l’ironie de la vie. La charge d’émotion parfois oppressante et le rire libérateur.
Il est le reflet de la vie.
Et la vie chez lui, s’habille de ses hétéronymes Serge Perf, Petit Corps Malingre, Taquin le Superbe ou encore... Total Bâtard (lunettes, blouson, capuche).
Une façon talentueuse de rendre hommage sans rien devoir, de se moquer par ailleurs de la victimisation des occitans.
Le public a eu bien du plaisir ce soir-là !
Comme lui, prenez plaisir à écouter cette lecture-performance du Capitaine Slam.
Vous trouverez la présentation de cet artiste qui s’intègre avec bonheur dans le patchwork du paysage poétique toulousain, donc français, voire occitan de langue française, (mais pas que, car Franc Bardou a traduit des poèmes du Capitaine en occitan) dans le document sonore qui a été diffusé sur Radio Esprit Occitanie sur le site lespoetes.site à la rubrique « pour écouter les émissions » à TEMPO POEME CAPITAINE SLAM.
*****
Contrairement aux précédents éditoriaux, vous ne trouverez pas d’extraits des textes lus. En effet, s’agissant d’une lecture-performance, l’intensité des poèmes et l’humour doivent s’écouter.
Pour le reste, je vous renvoie aux émissions antérieures consacrées à Thierry Toulze alias Capitaine Slam : « Confinements n° 19 ; n° 21 ; n° 29 » sur le site : lespoetes.site
Les éditions LEVANT qui font partie de notre riche patrimoine d’Occitanie avec leur siège à Montpellier, ont fait paraître à la sortie de notre premier confinement un bel ouvrage, une anthologie de
« Poèmes choisis par Pascale Goëta :
Seule, aux confins
- Journal poétique en temps de confinement »
95 pages, en librairie ou directement à : editions.levant@gmail.com .
Cette période est-elle celle de la solitude ?
La lecture de poèmes, plus dense encore que toute lecture littéraire n’abolit-elle pas ipso-facto le sentiment douloureux d’une solitude vécue comme une déréliction ?
Cette sensation de solitude qui nous égare dans les affres de l’esseulement n’est-elle pas démultipliée dans l’étouffement de la multitude ?
J’appelle solitude la foule.
Cette solitude là, le poète souvent la connaît.
Sidoine Apollinaire déjà pouvait la définir : « J’appelle solitude maximale une foule, si grande qu’elle soit, d’hommes étrangers à l’art littéraire ».
C’est pour braver cette solitude maximale que les éditions Levant et Pascale Goëta nous proposent cette anthologie, pour, selon les mots mêmes de l’éditeur, le poète Michel Eckhard-Elial : « Ré-enchanter le monde par la poésie et la pensée ».
Ecoutons-le :
Jusqu’à toucher le monde
L’étrange situation qui nous a pris dans sa
nasse en ce sinistre mois de mars 2020 a plongé
le monde dans un silence inédit et mortifère.
Prisonniers en nos murs, il a aboli le tissu même
de la proximité physique au monde, l’ordonnation
réciproque entre lui et les choses : les confins de
l’existence devenus si minces et sibyllins se sont
rétrécis jusqu’à devenir de nouvelles frontières
périlleuses et opaques, de timides enveloppes
d’une lumière raréfiée et celée, quasi-clandestine.
Quelle est la signification profonde de cette
dramatique survenue et ses conséquences : au
sortir de la pandémie, un monde nouveau est-il en
train de naître ? Un recommencement inchoatif
suggéré peut-être pour retrouver l’universelle
patrie de l’âme et de l’Altérité. Dans la courbe
des jours, l’imagination seule et l’espoir semblent
capables de suggérer ou de capter les échos d’un
renouveau, de balbutier, derechef, des appels sur
la beauté du monde. Ré-enchanter le monde par
la poésie et la pensée.
La poésie, parole première, accompagne ce
voyage, comme le soleil ne cesse de surplomber
la fuite des jours. Pendant les 55 jours de
confinement, Pascale Goëta a choisi et lu des
poèmes pour ce qui s’est révélé vite notre
essentielle survie. Ces soleils ont éclairé les jours
et élargi les solitudes, retrouvant une possible et
solidaire habitation.
Les Editions Levant ont jugé de l’urgence
de publier, avec la participation de plasticiens,
cette trace collective, dont l’objet et le message
s’inscrivent au cœur même de notre utopie
levantine. Poètes de la Méditerranée réelle et de
la Méditerranée imaginaire, porteurs de lumière,
pour remettre le cap sur l’espérance. Ainsi se
donne à nous le devoir de continuer à rêver.
Jusqu’à toucher le monde.
Michel Eckhard Elial
Janvier 2021
****
Extraits de « Seule, aux confins » :
Pour parler du monde
la terre a des mots plus larges
que les équinoxes et les cristaux
du souffle
combien de vents
déboussolent la mer
que nous cherchions
d’autres ports ou
le sommet de l’arbre
viendrait-il à être ici en silence
ce qu’on appelle un destin
sans l’évanescence d’une brise
ou le rose firmament
si rien d’autre et toujours
n’est en face de toi
un visage
comme un dévoilement de la terre
sous les eaux rassemblées
de ta lumière
Michel Eckhard Elial
***
45 - ٤٥ - XLV - μεʹ - המ - ۴۵
Subtiles, déchues, intimes, insufflées, rage et fougue
inaliénables fouettent d’embruns ta nuque. De la
mer des intrigants nuages à l’imprévisible havre
des anonymats, depuis de sombres abysses jusqu’à
la beauté soignée, du moindre reflet inavouable
à la fraîche voix brisant l’emprisonnement,
répare prédite et impromptue ta parole l’augure
pour annihiler silences. Bascule le jour, sature
l’air. Discrédite la nuit. Résonne de l’imaginaire
envoûtement le clapotis vulnérable prévalant les
failles. S’entrecroisent les regards en l’implacable
réticence, s’échappe l’audace par-delà les peurs,
se fondent les invisibles en l’infinité d’impasses.
Initiatique parcours aux horizons inextricables,
composent en filigrane d’un ressac impétueux,
dormantes les eaux. Sur la ligne de Vie, spacieuse
tu domines intérieure la mer.
Pierre Ech-Ardour
****
Même pour des milliers d’années
Je ne peux refaire le monde
et ça n’a guère de sens.
Un jour et puis un autre jour, une autre nuit
n’apportent rien.
Au printemps fleuriront pois de senteur, roses et
fleurs de margousier,
Toutes à leur taille et dans leurs couleurs.
Aucun véritable renouveau même tous les dix ans.
Qui veut respirer des parfums de rose
les cueille au fil du vent.
Qui veut planter un arbre
plante un figuier,
pour le bien des générations futures.
Demandez-moi si j’ai jamais vu la beauté,
je répondrai que je l’ai vue, mais pas
aux bons endroits.
Prenez l’exemple de cascades
si je les ai vues, que dire sinon
que d’immenses chutes d’eau ne sont pas
une vision agréable.
Les choses vraiment belles ne se trouvent pas
dehors
mais souvent à l’intérieur d’une pièce,
quand les portes sont fermées et les volets tirés.
La vérité c’est que les belles choses
ne sont ni des fleuves ni des montagnes ou des
rivages.
Je les connais trop pour me tromper,
et penser à d’autres choses.
Ce qui est laissé après la peine c’est la curiosité
de voir ce qui survient,
et de voir quel est le terme
de toute beauté.
Je sais : je ne dois pas planter de figuier.
On peut penser autrement,
attendre le printemps, des roses et des glaïeuls.
Mais la course du temps rend les hommes durs
comme des ongles,
gris comme des rochers
et têtus comme des pierres.
C’est peut-être une vision séduisante :
devenir un bloc de sel,
avec une force minérale.
Les yeux vides rivés à une usine de potasse et
de phosphate
même pour des milliers d’années.
Dahlia Ravikovitch
****
Le monde est en feu, je l’aime
En feu la laisse du chien qui m’a conduit aveugle
dans un amour ancien,
en feu le chacal qui hurle dans une chambre de
soldate face à une porte fermée à clé,
la queue de cheval derrière une nuque
hollandaise,
les lèvres où s’étale un lipstick canadien,
en feu le glaïeul qui a griffé la tête
d’une poétesse de Kiryat Ono,
en feu les vers de celle qui a toujours écrit
sur les roues du camion qui a fini par l’écraser,
en feu le sol qui garde les traces
de ma première danse,
en feu la lune
et ses dunes de sable,
la tempête,
la mer dont les vagues se mettent à genoux
devant l’allumette
qui met le feu aux poudres.
Ronny Someck
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Sous la couronne du temps
le printemps se défeuille nos vies se vivent
et s’essoufflent aux confins obscurs
pourtant dans le jardin le cœur de l’arbre porte
le nom de l’aimée
la pierre la main de l’étincelle
blancheur du désert glacé dans le sang de la ville
que l’air respiré sous la peau de l’inaccompli
rayon de lune
je serai où tu seras un bourgeon détaché du vide
par amour de la lumière nous continuerons de
fleurir
pour réparer le nom du monde
Michel Eckhard Elial
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Ce silence
Ce silence fait du chant des oiseaux le matin
Ce silence, recueilli sous la brise par les branches
du palmier
Ce silence où l’on entend la goutte d’eau du
robinet
Ce silence avant l’allumage de la radio et de la
voiture
Ce silence où se fige la lumière au-dessus des
montagnes du pays
Ce silence d’avant les mots qui séparent la langue
du vide
Avant d’apprendre ce qui se désagrège et part
Éloignant la voix des enfants du lit maternel et du
rire serein du présent
Ce silence du matin beau et calme
Comme une guerre qui guette au-delà des feuilles
de palmiers par-delà l’automne
Pendant que l’on compte les premiers morts
comme s’ils étaient nécessaires ou faisaient partie
de ce silence
Pendant qu’on prépare les repas et calculons ce
qui vient
Je rassemble la lumière de la cime des arbres
Pour qu’elle arrête le bruit de la faille sans remède
Qui se greffe au silence d’une chambre vidée
De tout.
Le silence tremble
Comme un corps qui saigne
de l’intérieur.
Hava Pinhas-Cohen
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Printemps d’Israël, au temps du Corona
C’est pourtant bien le printemps ici en
Terre Sainte
l’odeur enivrante des champs
les bouleaux qui blanchissent au nord du pays
les ruisseaux du Liban et les fleurs de moutardes
qui piquent aux narines
Allongeons-nous ensemble
pour un juste repos
Mais au cœur c’est l’automne
Les coteaux s’égayent dans le rouge et le jaune
même les oiseaux volent les yeux clos
(pour ne pas avoir mal)
on s’en sortira, beuglent les troupeaux
tout le pays crie à l’amour
Mais au cœur un vent mauvais et l’automne
Amandiers en amour comme des fiancées sur les
collines de Jérusalem
et les merles noirs rappelant le rire des enfants
quand il éclatait en plein air
comme le cristal d’une cloche
le ruissellement de l’eau
Mais au cœur l’ombre noire se faufile, pareille
à l’automne
Dans les vergers d’Etzion, tout empli de l’espoir
des fleurs du cerisier
au bout des branches de figuier surgissent
de petites mains suppliantes qui prient
l’air, le ciel et la lumière
Mais au cœur les feuilles mortes d’automne
On a vu des bourgeons dans le pays, le temps du
rossignol est arrivé
et le roucoulement trompeur du pigeon
comment sortirons-nous le matin aux champs et
aux vignes
au cœur de l’automne
Eliaz Cohen
****
Suite Grise
voilà
ce n’est pas plus compliqué
de vivre ou pas
c’est au bord
il reste un ciel
on reste las
mais comme au calme
en attente parmi les mots
tièdes
ils se tiennent
tranquilles
Antoine Emaz
****
il n’y a pas de silence dans les mots – on peut juste
descendre jusqu’au murmure souffle chuintement
– même le mot silence siffle déjà trop – même le
blanc bruit de tous les mots dessous comme une
pâte qui lève et libère parfois des bulles d’air
d’avant-langue – même bouche fermée en fin de
journée après toutes les paroles inutiles quand la
nuit vient comme un mur devant il reste encore
en fond d’oreille une sorte de crissement faible
un son continu et informe que l’on n’entend qu’à
peine et sur lequel se détache le bourdonnement
d’un frigo le bruit intermittent du radiateur ou la
fin du cycle séchage d’un lave-vaisselle – le silence
n’existe pas
sinon comme un mirage un horizon vide posé
derrière les pages sous la musique les langues
les cris et les soupirs du vivant ou la respiration
calme d’un dormeur – on rêve une sorte de fin ou
de mort sans expérience possible avant la vraie
donc silence imaginaire illusoire du rien – à tout
prendre on préfère la résonance ténue obstinée
de vivre ne serait-ce que le bruit du cœur plutôt
que d’être ainsi démesurément seul sur un quai de
gare après le dernier train ou dans une chambre
d’hôpital à attendre on ne sait quoi qui ne viendra
pas et tenir dans ce vide avec le temps qui goutte
à goutte muet comme un vieux robinet jusqu’à
l’aube
Antoine Emaz
****
À présent que les eaux furieuses
cognent contre les digues,
et les blanches cigognes qui reviennent,
au milieu du firmament,
se transforment en troupes d‘avions à réaction,
nous sentirons à nouveau la vigueur de nos
côtes,
et l’air vif réchauffer nos poumons.
Urgente l’audace d’aimer devant la plaine qui
s’ouvre,
quand le danger s’arque-boute sur nos têtes,
combien l’amour est nécessaire
pour remplir tous les vases vides
et les montres qui ne comptent plus le temps.
Combien faut-il de respiration,
une trombe de respiration,
pour chanter un petit chant de printemps.
Yehuda Amichaï
****
Je veux une trêve de cinq minutes pour un café
Mahmoud Darwish
Sur la terrasse de ma mémoire
les villes s’entassent
et la mer s’absente
Reste l’arôme du café moulu
qui accompagne le matin
dans le reflet d’un fragment embaumé de miroir
Puis retentit la fermeture
des portes de la nuit
les villes se pelotonnent dans l’obscurité
et une mère me guette
par la fente entre les frontières
Faudra-t-il le frémissement d’un songe
pour que mon appel me conduise jusqu’à elle ?
Un signe suffira alors et je chuterai
tel une étoile égarée
dans le jardin de son attente
Salah Al Hamdani
****
À la recherche de l’énergie vitale intérieure
Avec quelle audace pourrions-nous décrire
la pureté d’un ciel azur méditerranéen à la veille du
zénith ?
En effet, l’air frais et ce ciel
si uni dans sa manière d’être bleu
que le monde semble être cristallisé
comme dans un quartz de glace
qui ne brûlerait pas.
Cette lumière ne ment pas
mais elle enchante par sa douceur.
Comme perdu dans un vaste Océan,
l’homme profite de cette visibilité pour y découvrir
des nouvelles terres aux bords des rivages
de nouveaux astres en lisière d’atmosphère.
Matiah Eckhard
****
D’une voix sans corps
La voix se voile et se dévoile
Quand elle s’absente du corps
Tu n’es plus dedans ni devant
L’horizon des aubes muettes
Tombé par erreur en sautant la marche
Dans le trou noir de la lumière où
La pointe acérée des choses s’émousse
Dans le vert sommeil du souffle
Secouant la poussière qui t’habite depuis
Toujours où tu rampes obstinément
En levant ton ombre jusqu’à la lumière
Pour scruter l’ultime sphère de l’écho
Je ne saurai jamais si j’ai parlé ou entendu
Mon propre silence entre tes lèvres infinies
Car la terre du ciel est un son invisible
Michel Eckhard Elial
****
Song
Le poids du monde
est amour.
Sous le fardeau
de solitude,
sous le fardeau
d’insatisfaction
le poids,
le poids que nous portons
est amour.
Qui peut nier ?
Rêvé
il touche
le corps,
pensé
construit
un miracle,
imaginé
angoisse
jusqu’à naissance
dans l’humain -
regarde par le cœur
brûlant de pureté -
car le fardeau de vie
est amour,
mais nous portons le poids
avec lassitude
et devons ainsi reposer
dans les bras de l’amour
à la fin,
reposer dans les bras
de l’amour.
Nul repos
sans amour,
nul sommeil
sans rêves
d’amour -
soyez fou ou glacé
obsédé d’anges
ou de machines,
le vœu dernier
est amour
- ne peut être aigri
ne peut dénier
ne peut s’abstenir
si dénié :
le poids est trop lourd
- doit donner
sans retour
comme la pensée
est donnée
en solitude
dans toute l’excellence
de son excès.
Les corps chauds
brillent ensemble
dans l’obscurité,
la main s’avance
vers le centre
de la chair,
la peau tremble
de bonheur
et l’âme vient
joyeuse à l’œil -
oui, oui,
c’est ça
que je voulais,
que j’ai toujours voulu,
j’ai toujours voulu,
retourner
au corps
où je suis né.
Allen Ginsberg
****
Distance de sureté
Oublie moi.
Si tu crois au soleil,
critique les fleurs,
compte sur les vents,
oublie moi.
Je suis né dans un monde trop classifié,
chargé de considérations et d’obligations sans
nombre.
Si j’étais né cinquante ans plus tôt
il se peut que je me serais connu
dans des circonstances plus heureuses
avec un autre acte de naissance
sur papier épais
et lettre gothique.
Dommage. Mais
maintenant
je suis pour moi. Moi-même pour moi-même.
Moelledemoi.
De loin seulement j’entends les vieux tambours.
C’est à peine s’ils entrent dans les tympans.
C’est à peine s’ils sortent des tympans.
Sonorités.
Sonneurs.
Sonneries.
Et après tout sera grand ouvert
comme avant le déluge.
David Avidan
****
Je veux sentir ta vie dans ton corps
Te sentir tout entière
Jusqu’au coeur de la moelle de tes os
Dans tous les plis de tes pores
Je n’ai pas la nostalgie de l’amande
Qu’on grille
Du pain qui respire à la sortie du four
De la fleur d’oranger de l’orange
Il me revient le goût des bruits
De la foule des chaussures et des cuirs
Des laines des haleines
Des beignets de la fibre de palme qui les tient
Des gouttes d’orage sur la terre qui expire
De la rose dans la menthe
Au matin du printemps
Du basilic dans le lait qui apprivoise
L’angoisse du soir
Je veux te sentir sentir tes eaux
Ton sang et tes sels
Rentrer dans ton air
Me frotter à ton ventre
Écouter les bruits du monde
Me prélasser sur ton dos
Me masser sous tes pieds tes aisselles
Te respirer m’instiller en toi pour que
Tu me reconnaisses chaque fois que tu vois
Saïd Sayagh
****
Je me suis vidée
Je me suis vidée comme une piscine
je t’ai dit ce qu’une femme ne se dit pas,
j’ai pensé que si j’étais nue,
j’essaierais de reconstruire un commencement, tu
sais pourquoi c’est arrivé, terrible, je me suis vidée
comme une piscine,
ce que j’aurais pu faire depuis le début
ce que j’aurais fait s’est effacé dans l’oubli,
ça aurait pris des jours pour revenir,
je n’ai pas encore d’expérience : j’aurais aimé
qu’il réponde à ma question
je ne sais pas quand une telle force me soulève,
ce moment revient, il existe encore,
revenir en arrière est-ce vraiment un retour ?
J’attendais, sans que tu bouges, comme un second,
un autre moi.
Yona Wollach
****
Je vous parle des murs
Si tu parles aux murs, fais attention, je te préviens
fais attention.
Les murs sont comme ces plantes bizarres qui
semblent fermées et quiètes. Mais ce n’est pas
vrai. Un moment, ou l’autre, elles s’ouvrent
subrepticement – c’est toujours au contact d’une
proie ingénue – et elles se referment vous ayant
happées irrémédiablement, et assimilées. Et vous
êtes encore là à les regarder comme si rien ne
s’était passé. Je vous en parle – des murs – et vous
mets en garde, parce que j’en sais beaucoup sur
leur comportement, moi qui suis ennemi déclaré
des murs, et qui leur tiens des discours offensants,
leur faisant entendre qu’ils ne sont pas de la race
des portes et des fenêtres qui ont deux richesses :
le dedans et le dehors. Les murs m’ont inoculé
l’obsession du dehors.
Guy Levis Mano
****
animation de
Svante Svahnström
Francis Pornon
et
Christian Saint-Paul
le jeudi à la
Maison de l’Occitanie de Toulouse
FRANC BARDOU
dans le cadre des Dijous de l’Ostal
animation enregistrée
car ne pouvant accueillir de spectateur
en raison de la crise sanitaire et
diffusée par Radio Esprit Occitanie
Franc Bardou, comme son cher Joë Bousquet, n’est lui qu’en passant… et s’en excuse platement.
Il est né à Toulouse en 1965, enseignant et poète, écrit en occitan depuis 1989, collabore à la revue Òc. Il est depuis 2011 le rédacteur en chef de la revue Gai Saber.
Auteur d’une thèse de doctorat sur l’œuvre et la pensée de René NELLI (1907-1982), il est membre de l’Académie de Jeux Floraux de Toulouse et de l’Acadèmia Occitana.
Auteur de recueils de poèmes tels que Filh del Cèrç 1995), prix Paul Forment 1996, Cant del Cèrç (1996), La crida (2003), Atlàs londanh (2006), L’arbre de mèl (2010), et d’un manifeste littéraire consigné par les écrivains de sa génération au sein du Mouvement descobertista (1998).
Sa pratique poétique, de forme et d’inspiration troubadouresque, s’articule autour du rythme, dans une perspective hallucinatoire ou visionnaire qui ouvre l’imaginaire des textes à tous les possibles.
En prose, il a aussi publié deux recueils de nouvelles, D’ara enlà (1999) et Qualques balas dins la pèl (2009), et un roman d’inspiration jungienne, La nuèit folzejada (2003) traduit et publié en catalan en 2004.
La préoccupation occitane est essentielle chez cet auteur docteur ès-études occitanes. Voici ce qu'il écrit à propos de l'identité occitane de Nice :
" Nice a, en principe, une identité linguistique (et littéraire) occitane. Les Occitans, il y a de cela 12 ou 13 siècles, appelaient les Musulmans au secours pour se protéger des Francs qui, contrairement à ces derniers, ravageaient et brûlaient tout sur leur passage. Ces soit disant “identitaires” ont pour le moins la mémoire courte.
La première chanson de geste écrite en Occitan vers 1105, La Canço d’Antioca de chevalier Bechada, décrit les princes musulmans de Palestine comme des seigneurs de grande noblesse, de grande beauté, de grande élégance et de grand raffinement, lorsque, peu d’années après lui, les auteurs français, anglo-normands et germaniques les décrivent comme des monstres ou des démons.
L’identité occitane (de Nice et d’ailleurs) est inscrite dans les textes occitans fondateurs tel celui cité plus haut : rien à voir avec des saucissonnages provocateurs antimusulmans.
L’esprit même de la littérature occitane initiale, celle des Troubadours, est très probablement fortement inspirée de la poésie amoureuse profane des musulmans d’Espagne médiévale.
Redécouvrir la culture littéraire musulmane permettrait bien au contraire aux Occitans, de Nice et d’ailleurs, de redécouvrir leurs plus anciennes racines identitaires, complètement ouverte sur la Méditerranée des trois religions du Livre.
Rien à voir, donc, avec cette occitanerie xénophobe et pseudo-identitaire…
D’ailleurs, n’est-on jamais mieux soi-même que face à face avec l’Autre, d’où que l’on soit, si tant est que l’on soit seulement de quelque part… ? "
Franc Bardou se revendique avec joie, comme continuant l'œuvre universelle des " Poètes du Sud ", voici ce que nous pouvons lire à ce propos :
« Cet «esprit», ouvert par l’art courtois d’Occitanie, est resté en germe dans toute la lyrique du «Grand Midi», ainsi que l’appelait Nietzsche, en y maintenant l’équilibre entre le chant ouvert et le «Trobar » hermétique, entre la clarté et l’obscurité, entre la beauté extravertie du monde et son sens caché.
Avec les grands troubadours Raimon de Miraval du Carcassès et Guiraut Riquier de Narbonne, Charles Cros, Joë Bousquet, Pierre Reverdy, René Nelli, Max Rouquette… Poètes du Sud et chantres du Génie d’Oc ont donné leur voix à l’invention poétique occitane. »
Mais Franc Bardou ne cache pas que les élites intellectuelles ont abandonné très vite les auteurs occitans dans l'histoire. Les occitans aujourd'hui sont, pour l'essentiel, des gens des villes et des gens de lettres. Et la littérature occitane est une littérature insurrectionnelle.
Franc Bardou se souvient que c'est lors de son incorporation dans l'armée, qu'il a déclaré être occitan. Auparavant, c'était une nostalgie.
René NELLI est son maître intérieur.
Littérature ultra-minoritaire, la traduction est nécessairement une porte de survie d'urgence de la langue occitane.
Cependant le passage à la reconnaissance n'est pas fatalement francophone. Un de ses livres est traduit en catalan.
Franc Bardou eut ses premières publications, dès 1991 dans la revue Oc.
Il fut dès cet instant pris sous l'aile bienveillante mais ferme de Bernard MANCIET, autre colosse de la poésie occitane avec NELLI.
Le jeune poète apprit alors à "passer aux ciseaux" ses textes. Le regard de MANCIET était impitoyable et la leçon hautement profitable. Son premier recueil " Filh del Cèrç "(1995) suivi de " Cant del Cèrç " (1996) comportait des rimes et des rythmes, proches des sonnets ou troubadouresques. Ce n'est qu'avec " La crida " (2003), qu'il osa une poésie non rimée. Il avoue avoir du mal à bien se juger lui-même et considère son éditeur d’alors, le philosophe Jordi BLANC, comme celui qui met l'auteur en valeur en le critiquant.
Franc Bardou travaille avec le compositeur de musique, poète et éditeur, Mainteneur de l’Académie des Jeux floraux, Gérard ZUCCHETO.
Il a réalisé également des travaux sur l'art plastique.
Il est évident que ceux qui défendent le mieux l'occitan sont les gens lettrés. Bien sûr, il s'agit d'une certaine "élite". De là, de mauvais esprits ont considéré le mouvement culturel occitan comme "fasciste" !
Le souhait de Franc Bardou est de porter le verbe occitan dans le monde.
La poésie alchimique de ce troubadour contemporain le révèle dans sa posture la plus intime et par conséquent universelle. Habitué à considérer le haut comme le bas et réciproquement, et à résoudre l'antagonisme apparent des contraires, il se déclare optimiste dans l'esprit et pessimiste à la manière de Michel HOUELLEBECQ.
Mais "l'illumination" est une vérité si elle se construit par l'esprit. Et le langage n'est que le réceptacle de ce qui n'a pas de nom. "Je suis un intuitif, je pense par image, dit-il, je suis l'héritier d'Hermès le Trismégiste."
Le thème majeur chez ce poète occitan qui perpétue la tradition des troubadours, est celui de l’amour.
"Tous les grands amoureux, mozarabes et troubadours, mystiques d’Orient et d’Occident, n’ont-ils pas évoqué l’amour comme un feu dévorant ? rappelle-t-il. L’Amour ici encore, en Tradition vivante, danse comme une flamme.
Mais c’est du four d’un poète alchimiste qu’il lance ses incendies.
Le sentiment, d’abord tout en tension et en désir obscurs, se mue en plaisir lumineux, aussi fugace que miraculeux. Avant de se déchirer entre la finitude de ce monde et l’orée d’horizons invisibles que seule une joie sans cause permet de percevoir. Comme un feu qui, sans bois, continue de brûler à travers les tristesses du fatidique…
Un de ses derniers livres revient sur notre Histoire, celle de la guerre et de l’exil, les :
« Chroniques démiurgiques - Mémorial poétique de Terrefort » en 3 volumes, bilingue occitan français. (Troba Vox éditions, coll. Votz de Trobar Poésie occitane n° 25, 26, 27)
Ces poèmes sont une succession d’éblouissements. Ils forment avec ces trois volumes un mémorial forgé du bronze inoxydable de la parole d’un poète qui a pour vocation de relier les luttes des peuples, passées et actuelles.
C’est de la guerre civile d’Espagne, que montent les cris du poète occitan qui, dès la fin de notre premier confinement, s’est rendu au cimetière de l’ancien camp de concentration du Vernet d’Ariège où gisent 152 victimes venues de 20 nations différentes, la plupart anciens miliciens de la légendaire « colonne Durruti ».
Ce lieu entre Ariège et Garonne est appelé « Terrefort » et Franc Bardou a voulu l’immortaliser de l’exemple de ces combattants tous volontaires, tous « ses héros », par un mémorial du verbe dans les deux langues du poète : l’occitan et le français.
Michel del Castillo, victime infantile de cette guerre fratricide, a témoigné d’un vécu hors de tout préjugé dans tous ses romans ou presque. Pour lui « il y avait deux républiques comme il y avait deux Espagne : une république de l’intelligence et de la beauté [...] et celle des révolutionnaires, brutale et primaire ».(« La vie mentie » Fayard 2007,p 245).
Si l’on en croit del Castillo « Les français pensent avec leur intelligence, les Espagnols vivent leurs pensées avec tout leur corps » (Ibid. p 220)
A lire les « Chroniques démiurgiques » de Franc Bardou, l’Occitan réunit ces deux caractères car cette œuvre pensée avec intelligence est aussi un long frémissement de tout le corps.
Franc BARDOU un des auteurs occitans qui marqueront le siècle, est à lire. Par tous, grâce à la traduction française du texte réalisée par l'auteur lui-même. A lire absolument celui qui proclame que "sans amour ni repère, nous sommes tous des exilés. Sans amour, ce n'est plus un chemin, c'est une tombe ouverte."
Extraits des lectures de « Tempo Poème » :
Extrait de L’arbre de mèl,
(Ed. Vent Terral, 2010),
XVII
L'arbre de mèl
Anava ambe al còr l'afan d'aqueles qu'amor embriaga.
Mas sul camin, l'Unicòrn l'encontra e lo vòl fa caire.
Per se far pas devorar, l'òme defugís lo monstre.
Aï ! Dins un tomple lèu cai, mas s'arrapa a una branca.
Al fins fons del grand abís un drac flambeja e l'espèra.
Al pè de l'arbre atanben dos rats ne roigan rasigas.
Ja lo pin n'es de clinar quand, sus la branca ont s'arrapa,
quatre sèrps del mal verin se mèsclan e se mossègan.
Non li'n cal ! Un fial de mèl degota d'una autra branca.
De la doçor que li'n ven, doblidariá la malora.
Mas tant es bon, lo fial d'aur, ne vòl porgir a sa dòna.
Comença de n'escupir cap als rats que se'n carpinhan.
Las sèrps tanben n'an tastat : per sieu lo vòlon caduna.
Tant s'atissan al luchar que l'òme, lèu lo doblidan.
Lai, davala al pè del tanc. Pren dins una man tres gotas.
Còp de pè, e l'arbre cai : lo cap del drac esbrigalha.
Quand l'òme a tornat pujar, l'Unicòrn amont l'espèra.
L'amorós para la man : lo mèl, lo manja la bèstia.
Puèi ne vòl plan mai tastar e lai cabussa pel tomple.
De mèl, n'a pas mai gotet, mas l'òme a la femna torna.
Extrait de
L’arbre de mèl,
(Ed. Vent Terral, 2010),
XVII
L'arbre à miel
Il allait, pressé au cœur par l'amour qui l'enivrait.
Mais en chemin la Licorne le croise et veut le détruire.
Pour n'être pas dévoré, l'homme court et fuit ce monstre.
Hélas ! En un gouffre il tombe mais s'agrippe à quelque branche.
Tout au fond de cet abîme, un dragon de feu l'attend.
Au pied de l'arbre deux rats noirs et blancs rongent racines.
Le pin déjà s'est penché quand, sur la branche où pend l'homme,
quatre serpents venimeux s'emmêlent en voulant le mordre.
Peu lui chaut ! Un peu de miel dégoutte d'une autre branche.
A cause de sa douceur, l'homme oublierait son malheur.
Il est si bon, ce trait d'or ! Son amie doit y goûter.
Il commence à en cracher sur les rats qui s'en disputent.
Les serpents en ont mangé : chacun en veut pour lui seul.
Ils sont si âpres à la lutte qu'ils en oublient bientôt l'homme.
Lui, descend au pied du tronc. Dans sa main, il prend trois gouttes.
Coup de pied, et l'arbre tombe qui du dragon fend le crâne.
Quand l'homme a pu remonter, la Licorne, en haut, l'attend.
Or, l'amoureux tend sa main : la bête mange le miel,
puis elle en veut davantage et plonge enfin dans le gouffre.
De miel, l'homme n'a plus goutte, mais rejoint sa bien-aimée.
****
Extrait de
Mantèls d’exili,
(Ed. Tròba Vox, 2018)
Version occitane lue par Franc Bardou
Version française lue par Christian Saint-Paul
« La vida sense Amor passada,
non la considères pas. »
Mowlânâ Jalâl Ud-Dîn Balkhî Rûmi
Al pòrt de mar de la Ciutat
Subre los cais de La Ciutat,
Davant cada desbarcador,
Espèri nòvas d’un país
Que lo sieu quite nom se’n va.
Qualques nòvas d’alin ailà ?
Un nom benlèu, o mai un signe ?
Un mocador ? Una man blanca ?
Una mirada enlagremada ?
Mas res non torna pas d’enlòc,
Al pòrt de mar de La Ciutat.
Lo Bèc de l’Agla dins la mar
Beu lo blau d’un cèl sense amira
Qu’a palpas nos gaita avançar,
Long los cais de la solitud
De cent milanta mila exilis.
« La vie qui est passée sans Amour,
ne la considère pas. »
Mowlânâ Jalâl Ud-Dîn Balkhî Rûmi
Au port de mer de La Ciota
Sur les quais de La Ciota,
Devant chaque débarcadère,
J’attends des nouvelles d’un pays
Celui duquel le nom même s’en va.
Quelques nouvelles de là-bas ?
Un nom peut-être ? Ou même un signe ?
Ou un mouchoir ? Une main blanche ?
Rien ne revient de nulle part
Au port de mer de La Ciota.
Le Bec de l’Aigle dans la mer
Boit le bleu d’un ciel sans désir
Et qui nous regarde avancer
A tâtons, seuls, le long des quais
De cent mille millions d’exils.
****
Extrait de
Sextant de vèrses,
(Ed. Tròba Vox, 2018)
Version occitane lue par Franc Bardou
« Quina serà l’eissida entre lo Scilla de la negacion del mond e lo Caribde de son afirmacion ? »
Carl-Gustav Jung
in Las metamorfòsis de l’anma e sos simbòls
I
Linda e canda
L’aura lisa, l'onda linda
entre’ls calhaus cor clara e, coma ieu, canta.
Tre lo matin, la votz del merle tinda
d’un aire afric, bandat de sa lutz canda,
que’l primièr rai de solelh penh e monda
lo som del fau, que lo jorn sorga e monta.
Amb lo temps suau sorga e monta
lo clus desir de fargar, longa e linda,
tala cançon, que mon còr cava e monda,
fins a mandar, celestiala, sa canta
cap a ma dòmna e tan fosca e tan canda :
per plan qu’ausisca amor mieu coma tinda !
Car mon amor d'alba tinda,
e ben enten sa votz, qu’amb ela monta,
votz de popilha altièra, cauda e canda,
votz de neblum d'una anma saura e linda :
sabètz ja, dòmna, qu’aqueste sonet canta
Jòi vòstre e fe, que lo solelh lo monda.
Tant lo mond pren, daura e monda
qu’amb tala votz, del tresmut, el, ne tinda !
Donc, pas a pas, lo bèl cant mòu sa canta,
baissa ont davala, e puja ont ela monta :
fins al miralh de la flor freula e linda
que lo rasic n'es la niva tan canda.
Tal coma flor, Dòmna canda,
vos alandatz al cant que pasta e monda
l'aura e lo rèc, la tèrra saura e linda.
Tal coma flor, un perfum lèri tinda
al torn de vos, que pel vèrs al cèl monta
tot tresmudant en aur aquesta canta.
Per çò qu'es d'aur tala canta,
la vos darai, pausada en l'aura canda
qu’amb lo jorn nòu e l'amor polsa e monta,
qu’amb lo còr franc e lo còs farga e monda
tan l’blos baisar coma saba que tinda,
qu’amb vos beurai, a la font clusa e linda.
Cant del Cèrç soi, que canta, conta e monda
tot çò d'amor que de còs e còr tinda,
e que d'amor embriaga Dòmna linda.
a Tolosa
lo 4 d’abril de 1994
Extrait de
Sextant de vèrses,
(Ed. Tròba Vox, 2018)
Version française lue par Capitaine Slam
« Quelle sera l’issue entre le Scylla de la négation du monde et le Charybde de son affirmation ? »
Carl-Gustav Jung
in Les métamorphoses de l’âme et ses symboles
I
Limpide et pure
Glisse la brise, l'onde limpide court claire entre les cailloux, et chante comme moi. Dès le matin, la voix du merle tinte d'un air ardent, ivre de sa lumière, puisque le premier rayon de soleil peint et délivre la cime du hêtre, et puisque le jour sourd et monte.
Avec le temps suave sourd et monte l'obscur désir de forger, longue et limpide, cette chanson, qui creuse et délivre mon cœur, jusqu'à lancer, céleste, ma mélodie vers ma dame si confuse et si pure : pour qu'elle entende bien comment mon amour tinte !
Car mon amour tinte d’aube et entend bien sa voix, puisqu’il monte avec elle, voix de poitrine altière, chaude et pure, voix de brouillard d'une âme blonde et limpide : avec mon sonnet, je sais que ma dame chante sa jubilation, sa foi, et qu'elle délivre le soleil.
Tant elle prend le monde, le dore et le délivre, qu'avec sa voix, il tinte de cette transmutation ! Donc, pas à pas, le grand chant lance sa mélodie, baisse où elle descend, et gravit où elle monte : jusqu'au miroir de la fleur frêle et limpide dont la racine est le nuage si pur.
Tout comme la fleur, Dame pure, vous vous ouvrez au chant qui pétrit et délivre la brise et le ruisseau, la terre blonde et limpide. Tout comme la fleur, un léger parfum tinte autour de vous, qui par le vers monte au ciel, changeant en or ma mélodie.
Puisque est d'or cette mélodie, je vous la donnerai, posée sur la pure brise parce qu’elle respire et monte avec le jour et l’amour, et parce que, avec le cœur et le corps, elle forge et délivre aussi bien le pur baiser que sa sève qui tinte, qu'avec vous je boirai, à l'obscure et limpide source.
****
Chant du Cers suis-je, qui chante, raconte et délivre tout ce qui d'amour tinte de cœur et de corps, et qui, d'amour, enivre Dame limpide.
à Toulouse
le 4 avril 1994
****
Extrait de
Recoltaràs çò que semenas,
(Ed. Tròba Vox, 2019),
Black Blòc
Version occitane lue par Franc Bardou
Version française lue par Francis Pornon
31
Trèsca
Als sisclals alambrats, per las carrièra, monta
un rebat d’estelum espetant per l’espandi,
nisal de sèrps, de lum, per la fonsa tenèbra
indiferenta als punhs gelibrats del vent, quand
avança lo crit nòstre, al moment de far blòc.
Avèm trescats a cada mur
mila paraulas, mila espèrs,
mila illusions, mila deliris,
mila desfaitas, mila engans,
mila tèrratrems estremièrs,
mila sospirs de tèrra vana,
mila combats recomençats,
per mila retorn a la posca…
e la paret s’es abausada !
Aital avança nòstre blòc,
negra la ràbia, rotja fruita,
de front contra los còps de barra,
e los gases que l’uèlh rosigan,
per anar quilhats davant l’òdi
e lo mesprètz de la paurilha.
31
Tresse
En vacarme embrasé, dans les rues déjà monte
un reflet de ciel fourbe explosant dans l’espace,
nid de serpents, d’éclairs, aux profondes ténèbres
indifférents aux poings glacés du vent, tandis
qu’avance notre cri, lorsque nous faisons bloc.
On a tressé sur chaque mur
mille paroles, mille espoirs,
mille illusions, mille délires,
mille défaites, mille erreurs,
mille et un ultime séisme,
mille soupirs de monde vain,
mille combats recommencés
pour mille retours en poussières…
et là, le mur s’est effondré !
Ainsi avance notre bloc,
noire la rage et le fruit rouge,
de front contre les coups de barre,
et les gaz qui brûlent les yeux,
allant debout face à la haine
et au mépris des pauvres gens.
****
Extrait de
Lo Dîvân de ma Sobeirana,
(Ed. Tròba Vox, 2019)
Color de femna
Version occitane lue par Franc Bardou
Version française lue par Svante Svahnström
25
Aux collines vêtues de brume
Où l’aube est venue s’appuyer,
Le jour naissant, toujours égal,
Délivrait son parfum de pluie.
Mais lorsque je passe au chemin
Traversé d’oiseaux, de renards
Qui saluent dans un même éclair,
Tous ne me parlent que de toi.
Même le soleil qui s’efforce
De percer le si lourd manteau
De solitude, me demande
De conter nouvelles de toi.
La lune tardive, qui épure
Le faîte des chênes d’argent
Humide et subtil de ses larmes,
S'inquiète d’être là sans toi.
Dans la fraiche rosée des herbes,
Les fleurs de l’été vont tremblantes,
A l’idée de ne point savoir
Ce que demain aura de toi.
Et moi, qui ne suis que leurs yeux,
Me fais-je miroir de détresse
Et de leur espérance nue,
Absent dans l’absence de toi.
25
Per las sèrras neblavestidas
Que l’alba s’i ven apiejar,
Lo jorn que nais, torna per sempre
Egal dins son perfum de pluèja.
Mas quand ieu passi sul camin
Traversat d’aucèls e de mandras
Que saludan d’un meteis lieuç,
Totes parlan sonque de tu.
Lo quite solelh que s’assaja
A traucar lo mantèl pesuc
De la solitud, me demanda
De li contar nòvas de tu.
La luna tardièra, que monda
Lo som dels casses amb l’argent
Banhat e fin de sas lagremas,
S’inquièta d’anar sense tu.
Dins lo rosal fresc de las èrbas,
Las flors de l’estiu trementisson
A l’idèa de non saber
Çò que deman tendrà de tu.
E ieu, que non soi que sos uèlhs,
Me fau miralh de sa destresa
E de son esperança nuda,
Absent dins l’abséncia de tu.
****
Extrait de
Lo Dîvân de ma Sobeirana,
(Ed. Tròba Vox, 2019)
La Ròsa dels Vents,
IX - Solèdre
Version occitane lue par Franc Bardou
Version française lue par Christian Saint-Paul
6
Consolament
Dosta-me l’aura mai liura
Qu’a pas mai nom ni memòria,
Que limpa, de sempre en sempre,
Entre pertot e enlòc,
Sense estaca ni maratge,
Que totes entendon córrer,
Que degun non sap ont va.
Dosta-me l’aura mai suava
Per alisar la mar fonsa
Qu’a el se dona per sempre,
Per se saber saborar
Sas prigondors mai lusentas,
Preciosas qu’intemporalas.
6
Consolation
Verse-moi le vent si libre
Qui n’a ni nom ni mémoire,
Qui glisse depuis toujours
Entre partout et nulle part,
Sans attache ni rivages,
Que tous entendent courir
Sans jamais savoir où il va.
Verse-moi le vent si suave,
Pour caresser l’eau profonde
Auquel pour toujours elle s’offre,
A en savoir sa saveur,
Ses brillantes profondeurs,
Précieuses, intemporelles.
****
Extrait de
Cronicas demiurgicas,
(Ed. Tròba Vox, 2020)
Memorial poetic de Tèrrafòrt - 2020
Volume 1
Version occitane lue par Franc Bardòu
per Manuel Sanz Almudévar-Puyuelo
in memoriam
« Vientos del pueblo me llevan,
vientos del pueblo me arrastran,
me esparcen el corazón
y me aventan la garganta. »
Miguel Hernández Gilabert (1910-1942)
in Vientos del pueblo
21
Cant del riu òrb per las gargantas,
jos de camins descaminats
que serpejan cap a de cimas
blancas de dòl e de dolor.
Cant dels òmes despatriats,
de las femnas al luènh caçadas,
per las armas e las orrors
d’unas armadas de tenèbras.
Cant de las nèus e de las glaças,
dels abisses al cèl obèrts,
cant de la páur e de las ànsias,
de las mans e dels pès gelats.
Cant de Venasca o de Cerdanha,
fugissent mòrts, fugissent viòls,
per tombar braces alandats
dins las gàbias e la vergonha.
Cant de l’onor despoderat,
s’es retirada la grandor
dins un mantèl d’exili sorn,
mantèl traucat, mantèl de pelha.
Es un cant d’asempre, país
que te creses liure e que lèu
tombaràs esclaus coma aqueles
qu’engàbias ara de mesprètz.
Cant negre de sebeliment,
mòrta es tota democracia
jos las bòtas dels fòls armats
o dels mercats que fan las leis.
Extrait de
Cronicas demiurgicas,
(Ed. Tròba Vox, 2020)
Memorial poetic de Tèrrafòrt - 2020
Volume 2
Version française lue par Francis Pornon
à Manuel Sanz Almudévar-Puyuelo
in memoriam
« Vientos del pueblo me llevan,
vientos del pueblo me arrastran,
me esparcen el corazón
y me aventan la garganta. »
Miguel Hernández Gilabert (1910-1942)
in Vientos del pueblo
21
Chant du torrent au fond des gorges,
au pied de chemins égarés
qui serpentent loin vers des cimes
blanches de deuil et de douleur.
Chant des hommes qui s’expatrient,
et des femmes chassées au loin,
par les armes et les horreurs
de la grande armée des ténèbres.
Chant des neiges et des glaciers,
des abîmes ouverts au ciel,
chant de la peur et des angoisses,
des doigts et des orteils gelés.
Chant de Bénasque ou de Cerdagne,
fuyant la mort, fuyant les viols,
pour tomber les bras grands ouverts
dans les cages de notre honte.
Chant d’honneur de gens démunies,
elle s’est retirée, la grandeur
dans un manteau d’exil sordide,
manteau troué, manteau de hardes.
C’est le chant de ton deuil, pays,
toi qui te crois libre et bientôt
tomberas esclave, tel ceux
que tu enfermes dans ton mépris.
Chant sinistre d’enterrement,
morte est toute démocratie
sous les bottes des fous armés
ou des marchés qui font la loi.
****
Manuel Sanz Almudévar-Puyuelo :
Milicien républicain aragonais entre 1936 et 1939, (26ème division, colonne Durruti, défendant la République contre la dictature franquiste, pour la CNT). Né à Abiego en 1917, il fit la Retirada par la Cerdagne. Un temps prisonnier politique à la forteresse de Mont Louis, il fut transféré au camp de concentration du Vernet d’où heureusement il parvint à s’évader, pour se retrouver dans la Résistance, en Médoc, à la Pointe de Grave. Les staliniens essayèrent de le supprimer, même après la « Libération ». Il lutta toute sa vie contre toutes les dictatures, en anarchiste loyal. Il est mort en Occitanie en 1998.
« Les vents du peuple me portent, / les vents du peuple m’entraînent, / ils sèment mon cœur / et propagent ma voix. »
****
Frédéric Jacques TEMPLE dans les pas de Jules Verne
Pour le premier numéro de l’année 2021, le n° 68 de
Nouveaux Délits Revue de poésie vive,
( le n° 7 € + 2 € de port, abonnement 32 € à adresser à Association Nouveaux Délits, Létou - 46330 Saint Cirq-Lapopie) Cathy Garcia Canalès signe comme à l’accoutumé un bel éditorial nous invitant à faire litière de toutes nos mauvaises circonstances et de résister par notre incommensurable force d’amour « parce que nous sommes des êtres fondamentalement libres, potentiellement capables d’aimer avec une force qui pulvérise toute peur, toute sclérose ; la force de l’eau que rien n’arrête, et qui même retenue par de monumentaux barrages, fomente en secret son évasion par le ciel. »
Je lis ce stimulant éditorial dans l’émission « Confinement n° 33 » du site lespoetes.site qui a été diffusée sur les ondes de Radio Occitania.
Cathy Garcia Canalès, artiste accomplie est également la plasticienne qui illustre ce n° 68 au sommaire riche d’auteurs à connaître.
Parmi ceux-ci, et acquiesçant aux vœux que m’avait adressés l’intrépide revuiste souhaitant « que notre force et notre joie intérieure brûlent sans faille », je lis dans cette émission, les poèmes de Pierre Thiollière avec lequel j’ai perçu quelques expériences partagées, celle d’une même génération qui a connu la vie dans une ferme dans les années cinquante, qui aime les poèmes de Gil de Biedma, qui vit sa retraite dans l’Aude dans ces paysages qui marquèrent mon enfance.
La ferme
Aux lisières du ciel, l’arôme des sapins.
Lorsque l’automne vient nous y allons parfois,
les vaches sous le joug, le char, mon père et moi,
avec pour tout repas des pommes et du pain.
Nous chargeons les écorces rousses pour le feu
prélevées sur les longs cadavres dans le bois
tandis que dans le vent l’arbre vivant s’émeut.
Dans l’orbe forestier qui limite le monde
s’étalent les prairies sur les collines rondes,
vivantes et fleuries lorsque rit le printemps,
odorantes de foin lorsque brûle le temps.
La rivière murmure au milieu des ormeaux,
mordille pour jouer les mollets des enfants
qui s’enfuient poursuivis par les dents bleues de l’eau,
tannés de soleil d’août sous le grand ciel béant.
Il est un vaste champ derrière la maison
où s’égare l’enfant parmi les hautes tiges,
où le topinambour se charge du prestige
d’une jungle touffue propice à l’aventure ;
et dans ce même champ, lorsque la terre est nue,
mon père va semant dans les sillons bien mûrs,
quand les promesses d’eau se gonflent dans les nues,
le seigle récolté dans une autre saison.
Au-delà de la cour où caquettent les poules
le jardin a fleuri sous les mains de ma mère :
capucines, soucis et les pois de senteur
protégés des chevreaux balancent leurs couleurs
entre les scarabées qui rampent sur la terre
et le ciel étonné où les nuages roulent.
Le prunier tout en haut et l’osier tout en bas
et le long du grand pré la barrière des houx
veillent sur les carrés où s’alignent les choux,
les bettes, les poireaux, les pois, les haricots,
sans honte redressés sur le fumier fertile,
se croyant éternels et qui ne sont qu’utiles,
promis à l’agonie sous le tranchant du couteau,
victimes entassées au fond d’un grand cabas.
Les vaches dans l’étable, à la chaîne dociles,
guettent placidement la trappe d’où le foin
tombe parfois d’un ciel forgé par les humains
et pour les remercier tendent leurs pis gonflés
d’herbe ancienne et de lait à la caresse habile,
à la capture avide et ferme de leurs mains.
C’est dans cet univers que l’enfant a grandi,
confiant au grand chien noir ses peines, ses envies,
et quand chante le coq, dressé sur ses ergots,
l’enfant, à pleins poumons, répond : « Cocorico ! »
****
Michel Ferrer qui comme Claude Sicre, s’est donné le bonheur de vivre dans la cité médiévale de Saint-Antonin Noble-Val dans ce département où je fus si heureux : le Tarn-et-Garonne, m’a adressé avec ses vœux de bonne année au soleil, ses poèmes « L’Ombre » réunis en une sémillante plaquette, collection Beffroi 2020, aux magnifiques couvertures où l’ombre revêt des éclats de lumières psychédéliques grâce à l’art savant de Bernard Capdeville.
« L’ombre est aux mauvais jours / ce que le soleil est au beau temps » lit-on en exergue du recueil illustré de photos en noir et blanc de silhouettes d’ombres de personnages dont celle de l’auteur lui-même.
Michel Ferrer contemple son ombre et salue l’ombre, universelle, qui accompagne toute vie et nous rejoint certainement au-delà.
Une plaquette à lire d’un trait comme je le fis pour les auditeurs de l’émission « Confinement n° 33 » (à commander chez l’auteur : ferrer82140@gmail.com).
[...]
Tu redoutes les rayons lumineux
tu remplis les ruelles
tu combles les greniers
et les galetas
tu es de l’aurore
comme tu es du soir
et du crépuscule
tu annonces la nuit
tu es pour le dessin
un trait ou une couleur
tu es cette personne qui survit après sa mort
tu es le maquillage des paupières
Tu peux être une apparence fragile et vaine
tu peux être claire ou sombre
tu peux être bleue pour le poète
tu peux être projetée par la bougie
tu peux être celle d’un doute
tu peux être un effet au théâtre
tu peux être chinoise
tu peux être de quelqu’un
tu peux être droite ou renversée
tu peux danser ou dormir
tu peux être avec le corps
celle d’amis inséparables
tu peux être absolue
tu peux être longue ou courte
tu peux être terre pour le peintre
tu peux être au tableau
tu peux être portée
tu peux être une silhouette
tu peux être une apparence
tu peux être méridienne aussi
Alors que tu es fantôme
on peut vivre en toi
dans la fraîcheur
ou sous le couvert
Tu es de ce monde
tu es de toute vie
tu peux passer
discrète
quand certains vivent dans tes pas
fidèles
Tu donnes aux choses une forme imprécise
on peut avoir peur de toi
on peut pour toi laisser la proie
Quelque part
tu as ton royaume
et j’y viendrai
et tu m’accueilleras
puis pèseras sur moi
La Mort alors m’embrassera
****
Sur le sentiment d’impuissance de son inéluctable fin
Frédéric Jacques Temple ne pouvait opposer que la révolte :
Révolte
La mort, seule immortelle,
je sais qu’un jour elle m’emportera.
Je m’insurge,
maudis le fatal rendez-vous,
insulte l’ignoble bête noire,
mais ne perds de la vie
la moindre goutte de son miel.
La mort l’a emporté un jour de chaleur d’août 2020.
Nous avions oublié son âge.
Les éditions Bruno Doucey s’apprêtaient à faire paraître
« Par le sextant du soleil ». Bruno lui-même en rédigea la préface.
J’aurais dû me douter.
Mais depuis toujours, il était là.
A Rodez, sa silhouette, son regard de marin habitué à voir au-delà, il fut de toutes les rencontres.
Un pilier des poètes du Sud.
Après la disparition de Jean Joubert, de Gil Jouanard, de Pierre Torreilles, de Max Rouquette, les grandes voix du Languedoc s’incarnaient dans les deux voyageurs qui avaient fait l’expérience de l’Amérique, Frédéric Jacques Temple et son cadet James Sacré.
L’œuvre impressionnante de F.J. Temple est à lire sur une myriade de publications. Un grand nombre de livres d’artiste illumine cette myriade où se succèdent des récits, des romans, des essais, des préfaces, des articles, des traductions, de la correspondance et des entretiens.
L’œuvre d’une vie ou plus exactement une vie à l’œuvre.
Car F.J. Temple n’a jamais séparé sa vie et son œuvre.
Ce journaliste, grand homme de radio et de télévision, cinéaste, était viscéralement ancré à la vie réelle.
Engagé volontaire dans la guerre, il a combattu dans les sables d’Afrique du Nord, à Monte Cassino, en Allemagne. C’est un homme d’expériences qui écrit à partir d’un vécu intense.
Ecrire sur l’écriture comme s’y sont complus ses contemporains (essentiellement parisiens et universitaires) n’a aucun sens pour celui qui a connu et surmonté les terreurs du combat à la guerre, qui a déchiffré des lieux
du monde entier, voyageur radiographiant l’espace et le temps pour en restituer l’ossature dans le poème.
J’ai le souvenir de son regard d’une acuité perçante mais terriblement bienveillant, de sa barbe de vieux loup de mer.
Je fus appelé une année au Salon du Livre de Figeac pour remplacer au pied levé Gilles Lades, subitement indisponible, pour animer un colloque. Il était là, rassurant, protecteur involontaire.
L’icône du Sud est partie raconter sa vie démesurée aux esprits des ancêtres, les occitans, les indiens d’Amérique et d’ailleurs, les frères d’armes et ses vieux amis Cendrars, Delteil, Durrell, Miller, Jean Le Mauve et ses innombrables amis que ce collectionneur avait pêchés dans le filet infatigable de ses périples.
Il nous appartient aujourd’hui de lire et de relire Frédéric Jacques Temple.
C’est un poète majeur des XX° et XXI° siècles.
Certes, son œuvre est bien dispersée dans de nombreuses publications, quelque fois inaccessibles au commun, tels ses livres d’artiste. Mais c’est le devoir des éditeurs de rassembler et de nous donner à lire la prose et les poèmes de ce géant de l’écriture.
La posture de Frédéric Jacques Temple peut apparaître comme le chef de file des poètes du Sud de l’immédiate génération qui lui a succédé.
C’est un poète occitan de langue française, tel que se revendiquait Jean Malrieu, comme le sont le sont la plupart des poètes qui vivent en Occitanie (l’historique qui va au-delà de la région administrative) les Cosem, Lacouchie, Pey, Lades, Le Penven, Maubé, Vernet, Pornon, Cathalo, Prat, Saint-Jean, Bernadou, Heurtebise, Pichet, Ferrer etc. et dans le prolongement, les poètes du Sud tels Ettori, Aribaud, Tartayre, Ruiz, Eckhard-Elial, Ech Ardour, Saint-Julia poursuivant la voie tracée par Nelli, Puel, Jean Max Tixier, Baglin et d’autres.
Les éditions Gallimard ont commencé ce travail de regroupement avec la publication de « La Chasse infinie et autres poèmes » (Poésie/Gallimard cat. 3, 368 pages, 9,50 €) magistrale édition de
Claude Leroy, ami de l’auteur, qui signe une introduction exceptionnelle de pédagogie.
Les éditions Bruno Doucey, elles, ont l’honneur de publier après « Phares, balises et feux brefs suivi de Périples » et « Dans l’erre des vents »,
« Par le sextant du soleil » ( collection Soleil noir, 104 pages, 14 €) dernier ouvrage de Frédéric Jacques Temple.
Deux livres à lire sans tarder !
****
Extrait de « Par le sextant du soleil » :
Voilà plus de neuf décennies,
dans ma bonne barque de vie
toute voilure déployée,
je tiens la barre
avec le soleil pour sextant,
à travers calmes et tourmentes,
pour la course sans relâches
des blancs cachalots du destin.
****
Extraits de « La Chasse infinie et autres poèmes »
RINÇURES POUR A.R.
à Alain Borer
Une rivière verte lente basse et jaune
où le frêle bateau défait de ses amarres
ivre de liberté se crut sur l’Amazone
telle est la Meuse. Et celle ville grise autour
n’a pas de port. Et cette âme n’a pas de havre
à Charleville. Elle s’est posée sur la mer.
à Christian Hubin
Nous sommes allés voir quoi
sous la pluie au cimetière
de Charleville chercher qui
sous la dalle n’a plus son or ?
Dites, qu’ont-ils fait de la jambe
fourbue noircie par les déserts ?
LA FLEUR INVERSE
à Roland Pécout
J’erre sans fin avec Max Rouquette
dans les décombres du château
où la ronce a l’odeur funèbre
du lys de France
fleur adverse
dont l’ombre s’étale souveraine
sur la tombe de Rimbaut d’Aurenga
à qui je parle
une langue adverse
DE MON VILLAGE (EXTRAITS)
Bouses
De larges flaques de soleil
odorantes, flavescentes,
étoilaient les chemins
quand passait vers la rivière
la procession des bœufs
harcelés de mouche
Calvaires
A tous les carrefours
ils se dressent
ciselés par des inconnus
qui ne se disaient pas artistes.
Les suppliciés aux visages naïfs
figés dans les douleurs extrêmes
marquent l’arrêt pour diriger
Dieu seul sait où
le voyageur
****
Statue-menhir
Un jour dans les broussailles
millénaires,
fouinant pour placer des collets,
j’ai découvert la pierre droite
sur laquelle j’ai reconnu
le relief de mon propre visage.
Dolmen
Sa porte d’ombre
ouverte aux quatre vents
ne garde plus ses énigmes,
mais son mystère
l’épreuve du temps
demeure.
Murets
Des hommes
réduits en poussière
ont porté une à une
ces pierres sèches
blanchies au grand soleil
des siècles,
pour monter ces murets
gardiens de la mémoire
PISTOL DOWN
à Marcel Cornillon
guerrier paisible
Sur ton harmonica
tu chantais Pistol down,
Pistol down,
l’âme glauque du Volturno,
les oliviers de Venafro,
Pistol down let that pistol down,
un pistolet contre la cuisse,
tu chantais les oiseaux muets de l’hiver,
le bivouac de Venafro,
le sang noir
des rochers de l’Inferno.
Ô sédiments de mémoire,
tous les parfums de l’Arabie
n’effaceront jamais...
Maintenant
silence.
Acquafondata, janvier 1944
****
REQUIEM
In memoriam Jean-Max Tixier
Qu’ils reposent en paix
ceux qui longtemps
ont effeuillé l’arbre des jours.
Qu’ils reposent
dans le clair-obscur
de nos mémoires
de nos sommeils
de nos colères.
Nous savons qu’ils vivent encore
sur les ailes du vent d’autan
dans le parfum de l’iode
et la force du sel.
Gloire au chant quotidien
de leurs voix en sourdine
compagnons de nos pas
au milieu des chemins
du sud.
MELODIE
Un chant lointain
à l’heure aveugle du sommeil
berce un triste sourire
qui monte
au terme de mes rêves.
Une main me serre la gorge
et les morts
ont le même visage.
Ô mes amis perdus
illuminés de lune
n’avez-vous pas gardé
le miel au coin des yeux ?
Je voudrais ne plus entendre
la mélodie
qui n’a pas de nom
ni de lieu
hors de mon enfance.
Le souvenir
est une mort ancienne.
Forêt-Noire,18 mai 1945
A L’OMBRE DU FIGUIER
à Brigitte
Midi foisonnant
rendez-vous des guêpes acerbes.
Pendule solaire
un fil de mercure
balance
une araignée d’or.
Dans l’extrême feuillage
traversent des rolliers
bleus et roses.
A l’ombre du figuier,
la table, un livre ouvert
pipe, carafe, sécateur,
le ballet sonore des mouches
autour des tomates flétries.
La margelle flamboie,
royaume des lézards
dilatés, l’œil mi-clos,
en prière,
buvant aux flaques du soleil.
Le vent de mer dépose
le sel amer des algues :
pruine sur les vertes mains
où s’engluent les phalènes
dans une moiteur de semence
et de chair éclose.
Ô femmes invisibles,
l’aigre senteur de vos aisselles
suinte de l’ombre liquide
où glisse, ondulant,
une pieuvre de lumière.
Ô femmes, me regardent
vos seins, œils-fleurs,
fleurs et fruits.
Arbre nourricier
aux courbes indolentes,
tendres et femelles,
à la pointe de tes seins
tremble
une goutte de lait
somnolente.
Je flatte la grise opacité
du tronc, jambes noueuses
du figuier-éléphant
aux oreilles nombreuses,
lentes, sages, dans le vent
crépusculaire.
A l’ombre d’un figuier
dormit Boudha
et s’éveilla,
dit-on.
Figuiers sans figues,
jour sans lumière,
mer sans poissons :
haute malédiction
pour alerter les cœurs
à jamais.
A l’ombre d’un figuier
ruminal, mammifère,
une louve allaita
les jumeaux de l’Empire.
Déjà le clair signal
du petit-duc
le chot banut
prélude à la nuitée
comme un soupir
sous le chemin lacté.
(Pour des gouaches d’Alain Clément)
« Quoi que nous tentions, nous ne sortons jamais des mots » constatait Michel Del Castillo dans « Le crime des pères » (Seuil 1993, p 14).
La généralisation du Smartphone utilisé aussi pour la photographie ou la vidéo vision, la fringale narcissique d’exposer son image à tout va, le raz-de-marée des réseaux sociaux et de You tube, cette fuite des mots pesés, consentis qui sont notre continuelle naissance puisqu’ils nous créent, n’y changeront rien.
Bien sûr, l’image règne en maîtresse de tout. Mais elle est tellement arrangée qu’elle ne reflète plus le réel.
Ceux qui ont voulu sortir des mots avancent dans le bruit, dans le fracas.
Les poètes échappent à cette fatalité.
La production poétique, loin du tapage publicitaire, nourrit confortablement nos besoins spirituels.
Il faut saluer le travail des éditeurs - souvent fort heureusement aidés par le CNL - qui ont l’audace d’investir dans ces artistes ignorés que sont les poètes.
Et parmi eux, les éditions erès avec sa collection PO&PSY dirigée par Pascale Jannot et Danièle Faugeras, elle -même poète.
Avec une régularité remarquable, ces éditions nous offrent la possibilité de connaître des poètes du monde entier, choisis principalement parmi ceux qui pratiquent les poèmes brefs, dans une très belle présentation à petit format et sous jaquette, accompagnée de reproductions originales d’œuvres d’art. Le tout pour 12 €.
Dans l’émission « Confinement n° 30 » qui a été diffusée par Radio Occitania j’invite les auditeurs à en lire trois :
1 ) Apirana TAYLOR, « Pepetuna »
Textes choisis et traduits de l’anglais et du maori par Manuel VAN THIENEN et Sonia PROTTI. Peinture de Germain ROESZ.
L’auteur né en 1955 à Wellington (Nouvelle-Zélande) est un écrivain maori et européen. Poète, scénariste, romancier, nouvelliste, conteur, acteur, peintre et musicien. Il voyage sur le territoire néo-zélandais et au-delà (Inde, Europe, Colombie...) en qualité de poète et de conteur.
Lecture dans l’émission d’extraits de Pepetuna
respirer entraine la danse
ces montagnes rangatira sont en toi
la douce brise qui peigne tes cheveux
le souffle de tes ancêtres
la rivière qui coule comme une eau de lumière
le mauri qui monte de l’intérieur
« tihei tihei tihei mauri ora ! »
*
écoute
les voix
des poètes
sont écrites
sur le vent
*
2 ) Lucian BLAGA « La lumière d'hier »
Anthologie composée et traduite par Andrea-Maria Lemnaru-Carrez
Illustrée par les pastels de Sophie Curtil
Lucian Blaga (1895-1961) est un poète et philosophe roumain majeur, qui accorde une place fondamentale à l'enracinement et à la transcendance mythologique.
Écrivant dans une langue archaïque, proche des incantations et des conjurations populaires de la tradition orale, ce poète attaché à sa Transylvanie natale connaît intimement l'esprit chtonien des campagnes. Dans ses vers, le chemin silencieux des pierres côtoie l'absence cruelle d'un dieu voilé. Pour Blaga, le taureau, « lumière née de la lumière », qui accueille chaque matin le soleil entre ses cornes, est le « Dieu véritable ». Mort et renaissance se succèdent : les cercueils « laissent s’envoler vers le ciel d’innombrables alouettes » et « les bourgeons et l'herbe » poussent aussi vite « que les ongles et les cheveux des morts ». L'être marche aux côtés du non-être.
Entre expressionnisme et néoromantisme, l'œuvre poétique de Lucian Blaga exprime une mystique de la terre qui se dit en mots de l'esprit.
Lucian Blaga entre dans la carrière diplomatique en 1926. Il est successivement en poste à Varsovie, Prague, Vienne (1932), Berne et Lisbonne (1938). Élu à l’Académie roumaine en 1937, puis professeur à l’université de Cluj en 1940, il fut un temps proche du courant existentialiste et anti-rationaliste de « Gândirea » (« La Pensée ») – qui fondait la « roumanité » dans le vécu orthodoxe – mais a fini par s'en éloigner. Au lendemain de la guerre, le régime communiste le réduit à l'isolement (en allant jusqu'à s'opposer à ce qu'il puisse concourir pour le prix Nobel). Il ne lui reste plus alors que son lyrisme pour chanter en poète ce que lui inspire « l'étoile la plus triste ».
Lecture dans l’émission d’extraits.
L’esprit du village
Chère enfant, pose tes mains sur mes genoux.
Moi je crois que l’éternité est née au village.
Ici toute pensée est plus lente
et le cœur bat plus doucement,
comme s’il ne battait pas dans la poitrine
mais quelque part dans les profondeurs de la terre ;
Ici guérit la soif de salut
et si tes pieds saignent
tu peux t’asseoir sur une motte d’argile ;
regarde, c’est le soir.
L’esprit du village flotte près de nous,
comme un timide parfum d’herbe fauchée,
comme le ruisseau de fumée d’un toit de chaume,
comme un jeu de chevreaux sur les tombes.
Lumière née de la lumière *
Dans le matin se tient le taureau libre de joug.
Il règne sur un champ. Brille comme une châtaigne
fraîchement grillée.
Entre ses cornes le soleil vient au village.
Près de l'eau tranquille il se tient dans la puissance de l'aube,
immobile. Noble et beau.
Il est comme Jésus Christ :
Lumière née de la lumière, Dieu véritable.
* Lumière née de la lumière : formule du credo chrétien que Blaga reprend ici pour l'appliquer au taureau vénérée dans les cultes antiques
*
3 ) Rutger KOPLAND « Cette vue »
Traduit du néerlandais par Jan Mysjkin et Pierre Gallissaires. Dessins (au pinceau à l'aquarelle graphite) de Jean-Pierre Dupont
Rutger Kopland est le nom de plume de Rutger Hendrik van den Hoofdakker (1934-2012), qui fut professeur en psychiatrie biologique à l’université de Groningen, aux Pays-Bas. Il est l’auteur d’une œuvre poétique importante, qui a donné lieu à deux choix de poèmes en version française : Songer à partir (1986) et Souvenirs de l’inconnu (1998).
« Le poète ne cherche pas à exprimer quelque chose qui semble déjà être là, tout prêt, dans sa tête. Il cherche au contraire à écrire quelque chose qu’il n’a jamais lu auparavant. Au moment où le poète pense : « maintenant que je lis ceci, je lis autre chose que ce que je voulais dire un jour », c’est à ce moment précis que le poème est terminé. Il reconnaît une partie inconnue de lui-même. Et quand on lui demande de quoi il s’agit dans le poème, il répond : « je ne sais pas, seul le poème est capable de le dévoiler ». « La parole dans ma poésie n’est donc pas au poète mais aux poèmes. » (Rutger Kopland)
Les quatre poèmes présentés dans cette publication PO&PSY, sont tirés du volume « Dit uitzicht » (Cette vue).
Extraits de « Cette vue »:
Dans les montagnes
Elle est là, jusqu’aux larmes presque émue,
un moment, quand tes yeux suivent une trace,
descendent le long d’une colline,
descendent et arrivent
dans un hameau,
désert.
Cette immobilité.
II
Déjà si loin que tu ne sais plus
si les pierres contre les montagnes sont encore
des moutons, une avalanche
lentement roulant vers le haut
ou déjà des pierres,
que tu ne sais pas ce qui reste.
III
Si tu vois ce qui reste, tu suis
un oiseau, comment il plane, un moment
voltige, tombe, bat des ailes,
retrouve le vent et
monte, monte,
même pas le point dans l’air
par lequel il a disparu.
IV
La pensée d’une fin parfaitement
ouverte, qu’une chose s’arrête
avant même de finir,
disparaisse avant d’être
partie, repose avant
de reposer,
elle y est.
*
Sont signalés également dans cette émission :
De Etienne Ruhaud
« La poésie contemporaine en bibliothèque pour la diffusion d'un genre oublié »
aux éditions L’Harmattan 100 p, 12 € livre papier
Etienne Ruhaud est né en 1980, titulaire d'un DUT "Métiers du Livre" et d'un master de Lettres, Etienne Ruhaud a publié un recueil poétique (Petites fables, éditions Rafael de Surtis, 2009). Il collabore régulièrement aux revues Diérèse et Empreintes et tient un blog : http://etienneruhaud.hautetfort.com/.
Forme littéraire capitale, la poésie est pourtant peu lue aujourd'hui ; elle est même marginalisée dans les lieux de diffusion comme l'école ou les médias. L'auteur souhaite redonner sa place au genre poétique en se posant la question de sa diffusion. L'ouvrage n'offre pas une réflexion sur la poésie contemporaine mais une sélection de revues, sites Internet, manifestations et les innovations des passionnés.
Longtemps considérée comme une des formes littéraires les plus nobles, la poésie, et en particulier la poésie actuelle, reste aujourd'hui marginalisée, quasiment absente de l'univers médiatique, de l'école, des grandes librairies. Peu présent également en bibliothèque, le genre y trouve pourtant toute sa place. Courte et riche, l'écriture poétique offre effectivement au lecteur des possibilités d'étonnement, de réflexion et d'évasion.
Ceci posé, comment diffuser la poésie contemporaine ? Ce bref essai n'a pas pour vocation de livrer des solutions toutes faites, de définir une sorte de méthode-type. Le traitement de la poésie reste extrêmement différent d'un établissement à l'autre. Il convient d'en tirer des enseignements, puis de débroussailler autant que possible l'épais maquis d'une production à la fois abondante et diverse, en sélectionnant quelques revues et sites Internet de référence, quelques manifestations ponctuelles et lieux permanents.
Il convient également de dépasser la seule question de l'acquisition : faire vivre la poésie, c'est aussi l'animer, la sortir des rayons, bref, la partager. A ce titre, le vaste champ poétique se prête à de multiples innovations et partenariats.
Etienne Ruhaud qui nous avait régalé avec « Animaux »,(« Confinement n° 27 et n° 28 ») poèmes en prose parus aux éditions unicité 12 € , par la perfection singulière de l’écriture, est l’auteur aux mêmes éditions d’un roman « Disparaître » 13 €.
C’est heureux que ce soit un poète qui ait rédigé cette riche étude précieuse pour les professionnels des bibliothèques - dont on ne dira jamais assez de bien - et pour les poètes eux-mêmes, souvent ignorants des possibilités pratiques autour de la poésie.
****
Le poète romancier, revuiste Jean-Michel Bongiraud revient dans cette émission avec une nouvelle publication. Après « Chemins communaux » aux éditions Prem’edit, il publie des nouvelles (genre réfractaire au marché) :
« Elise et autres nouvelles » aux éditions Le Lys bleu, 120 p, 12,80 €.
Beaucoup de poètes, à l’image de Michel Baglin, excellent dans les nouvelles. C’est le cas sans surprise de J.M. Bongiraud.
Les nouvelles ne se racontent pas, elles se lisent mais je peux vous assurer un moment privilégié accaparé par ces courtes histoires tissées de l’humanité en éveil de l’auteur.
Enfin, pour parfaire l’émission que j’avais consacrée au poète américain
George Oppen, je précise qu’aujourd’hui l’ensemble de l’œuvre poétique de ce géant de la poésie U.S. est accessible en français grâce au travail incessant de traduction du poète Yves Di Manno qui a permis la parution aux éditions José Corti Série Américaine, 160 p, 18,00 € des « Poèmes retrouvés » qui confirment le génie de G. Oppen promis à une gloire universelle.
En effet, la découverte inattendue d’un ensemble de 21 poèmes de George Oppen, datant de la fin des années 20, n’est évidemment pas un mince événement, étant donné le peu de données concrètes dont nous disposons concernant cette période fondatrice de l’œuvre du poète américain.
New Directions a publié en 2017, dans sa collection de « Poetry Pamphlets », une première édition de ces 21 Poems, présentés par David Hobbs. C’est bien sûr ce texte, précise l’éditeur, dont nous proposons la traduction en ouverture du présent volume. Mais, ajoute l’éditeur, nous avons profité de la circonstance pour compléter notre travail antérieur. Puis il s’explique :
« Lors de la publication de la Poésie complète de George Oppen en 2011, dans cette même collection, nous avions écarté les deux sections de poèmes épars (Uncollected Poems) ou inédits (Unpublished Poems) que Michael Davidson avait regroupés à la fin de son édition des New Collected Poems. La découverte de cette séquence de jeunesse nous a donné l’opportunité de réunir dans le présent volume l’ensemble de ces poèmes retrouvés. Il nous a paru approprié de leur adjoindre les 26 fragments posthumes, regroupant les notes qu’Oppen avait épinglées dans sa chambre, à la fin de son existence, et que Mary, son épouse, a recueillies après sa mort.
Avec cet ensemble désormais exhaustif, qui vient s’arrimer au navire principal de la Poésie complète, le lecteur français dispose donc de la totalité d’une œuvre poétique qui s’impose avec une évidence croissante à mesure que s’éloigne le siècle dont elle est l’une des émanations les plus poignantes. »
« La langue d’Oppen résulte d’une opération de transformation de la lumière crue du monde en vérité » commente Auxeméry, Dans la chambre d'échos, du site Poezibao.
Extraits :
LES PHONÈMES
Les poèmes sont trop volontaires
Comme si je devais toujours
Me représenter intérieurement la chose, jongler
Avec ce que j’ai sous la main, à quoi bon toutes ces inventions
Alors que je pense simplement aux rives, aux silhouettes
Des hommes et des animaux
Sur les rives silencieuses.
LUMIÈRE DU JOUR
Le soleil
Incliné
Vers le soir
Éclaire le bord d’une table
Et deux chaises
Dans le café.
A l’angle de McAllister
et de MacDougall Street
Et nous sommes brusquement heureux.
Pas à cause de la chaleur
Mais parce que la source
De ce simple évènement est si vaste.
« Beau langage enchanteur, sucre de canne,
Miel de roses – » « la passion rhétorique acharnée »
S’étirant plus fine qu’une flamme.
****
Enfin c’est un poète majeur dans la poésie française qui occupe la place principale de cette émission : Paul VALET.
Sa biographie est résumée ainsi :
« Paul Valet est né à Moscou en 1905, de mère polonaise et de père ukrainien. Il deviendra pianiste de concert, et en 1924, quand sa famille s’installe en France, renonce à la vie de musicien, fait des études et devient médecin, puis médecin homéopathe, métier qu’il exercera à Vitry-sur-Seine jusqu’en 1970. Maquisard et résistant dès 1941, son père, sa mère et sa sœur finissent à Auschwitz. Il publie en 1948 son premier recueil de poème. Il s’appelle Georges Schwartz, il décide de signer Paul Valet parce qu’il se voulait, dit-il « au service exclusif de la poésie ». Titres de ses recueils : Sans muselière, Poésie mutilée, Poings sur les i, La parole qui me porte, Paroles d’assaut, enfin Soleils d’insoumission. Il meurt le 8 février 1987. »
En 2020, deux maisons d’édition qui font référence dans le domaine de la poésie ont pris l’initiative heureuse de publier une partie de l’œuvre qui était devenue introuvable.
Ce fut un des premiers poètes que je lus à la nouvelle radio qui venait de nous accueillir Claude Bretin et moi, en 1983 : Radio Occitanie.
Paul Valet s’inscrivait dans la continuité des poètes tragiques qui me hantaient alors, particulièrement Francis Giauque, Gérashim Luca, Paul Celan, Roger Milliot et Gérald Neveu.
De ceux-là, il était celui qui s’écartait d’une morbidité étouffante et fatale. J’étais envoûté par l’élégance, l’ironie, la percussion des poèmes.
Plus que tout, ce qui transpirait de ses textes ravageurs, c’était qu’ils résultaient d’une intense expérience vécue, à l’identique des poètes précédemment cités.
Ainsi s’éloignait le modèle d’une identité consumériste de la poésie représentée comme la norme. Alors que la norme devrait être au contraire la reconnaissance de l’expérience vécue.
De la même manière que toute la vie de Paul Celan est dans ses poèmes, toute la vie du docteur Georges Schwartz, Seguin pour la Résistance, Paul Valet pour la poésie, est dans chacun de ses poèmes.
Ce polyglotte né en Pologne qui parlait couramment le Polonais, le Russe, le Français et l’Allemand, étudiant à Moscou, exilé par la Révolution Bolchévique à l’âge de 14 ans, pianiste prodige, choisit comme port d’attache avec son père industriel déchu, la France. Comme le fit d’ailleurs aussi Bruno Durocher, autre poète polonais qui nous a légué une œuvre en Français. Le premier ouvrage de Paul Valet fut également en langue polonaise.
Paul Valet a abandonné sa prometteuse carrière de pianiste pour poursuivre des études de médecine. Sa thèse de doctorat qu’il présenta en 1934 sur la « Stérilisation eugénique des anormaux » est révélatrice de l’humanisme militant qui le définit.
Son engagement dans la Résistance armée comme le fit René Char, son rayonnement de chef dans le maquis d’Auvergne, prolonge par un courage exemplaire cette volonté d’humanisme qui l’habitera toute sa vie de médecin généraliste, praticien de l’homéopathie à Vitry sur Seine.
Quel repos pouvait-il espérer depuis qu’il savait que son père, sa mère, sa sœur avaient été gazés à Auschwitz ?
Il écrit, publie, d’abord chez son ami Guy Lévis Mano, lie des amitiés, en particulier avec Henri Michaux, Maurice Nadeau, Cioran. Il traduit Brodsky, Anna Akhmatova. Il peint. Il a une passion pour la Bretagne.
Il écrit.
Dans le silence. Dans la nuit. Dans l’oubli du microcosme poétique.
Il écrit.
Irrépressiblement. Gagne de vitesse dans l’écriture la maladie de Charcot.
Enfin les poètes visitent l’ermite de Vitry. Guy Benoit édite en 1983 « Que pourrais-je vous donner De plus grand que mon gouffre ? »
Dans son « Précis de décomposition » Cioran a adoubé la vocation tragique du poète qu’illustre si bien son ami Paul Valet :
« Le poète serait un transfuge odieux du réel si dans sa fuite il n’emportait pas son malheur. A l’encontre du mystique ou du sage, il ne saurait échapper à lui-même, ni s’évader de sa propre hantise : ses extases même sont incurables et signes avant-coureurs de désastres. Inapte à se sauver, pour lui tout est possible, sauf sa vie ».
Dans l’émission « Confinement n° 30 » vous pouvez écouter des extraits des deux livres d’œuvres rééditées de Paul Valet :
« Que pourrais-je vous donner
De plus grand que mon gouffre ? »
Le Dilettante éd. 174 p, 17 € .
« La parole qui me porte et autres poèmes » préface de Sophie Nauleau, nrf Poésie/Gallimard cat. 2.
****
Extraits :
Je ne suis pas fait pour agir, mais pour contre-agir
--------- Contre-torpilleur
Ma poésie n’est pas la vôtre, et votre poésie n’est
pas la mienne. Ecrire, ce n’est pas écrire. Hurler, ce n’est
pas hurler. Avec ma tête couchée sur une feuille innocente,
et les doigts tremblant d’alcool fou-mineur, je demeure un
mutin intégral, nourri de tous les fléaux. Art ancien, art
moderne, art futur, j’en ferai une ratatouille pour les chats sauvages,
------- Car je suis trop puissant pour vos entreprises somptueuses.
D’autres paroxysmes me nourrissent. Ils ne sont pas de votre
cru. J’aime l’art tordu aux embryons de poèmes. Toute votre superbe y sombrera
Qu’est-ce le verbe, sinon l’aiguillon enfoncé ?
Qu’est-ce la parole, sinon la contrainte insurgée ?
Qu’est-ce l’amour, sinon la puissance crucifiée ?
****
Toute réussite est nimbée d’un halo de vulgarité
irréprochable.
La biographie du poète est un fol amas de linge
sale.
Vers le simple ? Rien n’est simple.
Tintement sournois.
L’Actuel sans visage me regarde sans voir.
Cliquetis des lits.
Il se leva la nuit, énorme, inabordable. En heurtant
de ses deux mains le vide épais de la salle commune,
et en s’appuyant fermement, il urina sa longue
litanie.
Patience ! L’impatience avance !
Et j’avoue, et j’avoue tout. J’avoue les ordures
ménagères hors série, les pissenlits, les hosties. Et
j’avoue la terre nue et le ciel renversé, et l’immense horizon, la gadoue rassurante, les casseroles éventrées, les fourneaux perforés, pots de chambre troués, poubelles ébrasées, détritus relevés ; et j’avoue et confesse être complice des épaves révoltées contre les articles, les chapitres et les prescriptions.
Et j’avoue tout, et j’avoue le vertige qui me terrasse, et la folie qui me pousse à fouiller dans le ventre des souillures, des raclures et des immondices. Et j’avoue et confesse être amant de la fange, de l’écume, et de tout ce qui suinte, bave et se consume. Et j’avoue et confesse être complice du pillage poisseux éclairé par la pleine lune de fureur. Et j’avoue et confesse la rouille qui dévore les objets les plus durs et qui trope leur permanence. Et j’avoue et confesse le mâchefer, la poussière, le pétrole, tout ce qui rampe, tout ce qui brûle sur le sol. Et j’avoue et confesse tout ce qui traîne, tout ce qui souffre, tout ce qui sombre, se défait et se décompose. Et j’avoue et confesse toutes les souillures, toutes les pourritures. Et j’avoue et confesse temps anciens, temps modernes, temps futurs, temps magiques, estropiés, pulvérisés, mécanisés, atomisés. Et j’avoue et confesse la lézarde et la brèche, la chute et les éboulements. Et j’avoue et confesse être le primat de la sainte déchéance, perdition et dévastation.
Et je suis innocent, innocent, innocent, innocent !
Chantal MAILLARD et Franck VENAILLE, mêmes paroles berbères
Pour l’émission « Confinement n° 31 » je reviens sur une voix majeure de la poésie espagnole : Chantal Maillard.
C’est Josiane Gourinchas qui avec la revue Levant nous l’avait fait découvrir. C’est à elle encore que nous devons aussi la révélation de Pedro Heras avec lequel l’amitié fut immédiate et terrible le choc de sa mort quand la maladie nous l’enleva en pleine jeunesse.
Saluons le travail de ces découvreurs passeurs de poésie comme Josiane Gourinchas !
En des circonstances ordinaires j’aurais fait écouter la voix de Chantal Maillard elle-même puisque son livre :
« Hainuwele y otros poemas » (Tusquets editores, 16 €) contient un CD de lecture par l’auteure.
Mais éloigné des studios de la radio pour des raisons impératives sanitaires, je fournis cette émission par simple téléphone depuis mon domicile à mon ami technicien, l’indispensable Claude Bretin qui enregistre ma « conversation » chez lui à Mazères et la transmet à la radio.
Bref, impossible de faire écouter un CD, ce qui est un comble pour une émission de radio !
C’est donc ma voix qui lit la traduction française des poèmes de Chantal Maillard.
Déjà dans une émission diffusée le 1er avril 2010, je lisais un de ses longs poèmes « Ecrire » qui avait paru dans une traduction de l’espagnol en français par Josiane Gourinchas (qui est aussi la traductrice du poète espagnol Pedro Heras), dans le cahier 10 de la revue LEVANT, 14 rue des Arbousiers 34070 Montpellier (25 €).
Poème incantatoire et épique avec, en exergue, cette citation de Emilio Rosales : « Je suis venu implorer compassion pour la douleur de l’homme. »
Chantal Maillard née à Bruxelles en 1951, installée à Malaga en 1963, docteur en philosophie, fut professeur d’esthétique et d’arts à l’université de Malaga jusqu’en 2000. Elle séjourne souvent à Barcelone.
Elle a vécu à Bénarès où elle s’est spécialisée en philosophie et religions indiennes. M.L. Blanco dans « El Pais » la considère comme une des voix poétiques des plus profondes, honnêtes et puissantes du panorama actuel.
Avec « Poemas a mi muerte » dès 1994 elle reçut le Prix Santa Cruz de La Palma, puis en 2004 le Prix National de Poésie, en 2007 le Prix de la Critique d’Andalousie, et le Prix National de la Critique.
Déjà en 1990 avec « Hainuwele » elle avait été récompensée par le Prix Ricardo Molina.
Chantal Maillard dans sa prestigieuse et abondante œuvre de création poétique a toujours revendiqué qu’elle venait de la tradition philosophique. Elle se situe en dehors des modes littéraires et se résume ainsi :
« Si je dois considérer la valeur de mon écriture dans le champ culturel contemporain, je dirais qu’elle apporte à la poésie des éléments qui ont cessé de lui appartenir ou qui sont peut-être trop négligés : l’observation de soi-même et une expérience validée par de nombreuses années de pratique sur le terrain de la pensée ».
L’intuition passée au crible de l’observation, de la raison est la posture poétique de Chantal Maillard, totalement atypique dans la poésie espagnole.
Ella a plus récemment publié avec Piedad Bonnet : Daniel Voix en duo Voces en duelo en novembre 2020 (ebook (ePub)) en espagnol.
Voix en duo / Deux fils. Un même nom. Une même décision. Un même geste. Deux mères face à un même abîme. Contre le tabou. Pour cette liberté. Pour le courage du suicide. « L’Office » à la fois poétique et funéraire dont ce livre rend compte, fut célébré sur scène à la ville de Málaga, une nuit d’octobre 2018.
« Daniel Voix en duo, expliquent les deux auteures, se conçut comme un hommage à la mémoire de nos fils respectifs et fut mis en scène le 20 octobre 2018 à Málaga au Centre Culturel MVA comme clôture du Festival de Poésie Irréconciliables. Nous remercions l’accueil des responsables du Centre et l’aimable invitation des organisateurs du Festival ; nous remercions Alvaro Escalona pour sa collaboration sonore et nous remercions le public pour sa participation généreuse. »
Nous ne pouvons qu’espérer qu’un éditeur publie la traduction française de l’ensemble de l’œuvre de Chantal Maillard si significative dans la poésie de notre siècle.
En effet Fils (Hilos) qui a reçu en Espagne le prix national de la Critique et le prix Andalousie de la critique est son premier livre de poésie traduit en français publié en 2016 par l’éditeur Le Cormier traduit de l'espagnol par Pierre-Yves Soucy.
Extraits de l’œuvre de Chantal Maillard :
Par pure passion, j’aime l’amour qui me consume. Par passion : par douleur d’aimer. L’objet, comme toujours, importe peu.
Ne nous trompons pas : la passion n’est pas la voie qui nous mène à l’autre, mais bien un renversement sur soi, le renversement vers soi-même. C’est pourquoi la sagesse est indifférence, l’indifférence équanimité et l’équanimité, calme.
C’est cette raison, et parce que je veux vivre, je décide d’observer calmement la passion qui secoue mon corps et le consume. Parvenir à réaliser ce paradoxe est la tâche principale de mon existence.
(Logique floue)
***
Un homme est écrasé.
En cet instant.
Un homme est écrasé.
Il y a de la chair crevée, il y a des viscères,
des liquides qui s’écoulent du camion et du corps,
machines qui mêlent leurs essences
sur l’asphalte : étrange conjonction
de métal et de tissu, la dureté et son contraire
formant un idéogramme.
Un homme s’est brisé à mi-corps et fait
comme une révérence à la fin du spectacle.
Personne n’a assisté au début du drame et peu importe :
seul compte l’instant présent,
cet instant
et le mur peint à la chaux qui s’écaille,
parsemant la scène de confettis.
(Tuer Platon)
****
La mort dont je parle est ma mort.
Elle n’existe en rien
de ce que je vois : la rosée nourrit
les corps qui pourrissent et à l’aurore renaissent
nouveaux, semblables ou différents.
Seul celui qui a un nom meurt.
Mon nom est le masque que je mettrai pour toi
dans la danse.
Quand à la fin ils me l’enlèveront
je serai si nue
que tu ne pourras même pas me nommer.
J’existerai alors dans tout ce que je vois,
je naîtrai de la rosée,
aveugle, identique et différente à chaque aurore.
(Hainuwele)
****
Les larmes sont une désobéissance à la loi de l’univers : apparition - des-apparition. Les larmes sont la peine et le prix pour le territoire conquis : je suis une et mon cercle.
Nous détruisons. Nous expulsons l’auteur de l’écrit. Mon cercle et moi nous nous construisons dans un autre cercle : celui du langage.
Chaque langue un cercle. La transgression : le travail de la métaphore. Transgression linguistique, rapide, pénétrante, créatrice. L’apparence saute aux yeux, les yeux hors de leurs cornées. La forme peut devenir musique.
La parole guide à l’intérieur du cercle. De cercle en cercle, qui marche ? Quel aiguillon pénètre les espaces que le feu porte au rouge ?
De cercle en cercle rien, ou peut-être l’aigle. Le langage des cercles requiert d’autres concepts, d’autres paroles transhumantes, paroles berbères, paroles du désert : sans écho, faites de syllabes qui s’effondrent en se prononçant, paroles transfuges ou vedettes, paroles vautours, paroles de charognes qui nettoient les vieux cercles de leurs morts, de leurs assassinats et de leurs assassins. Le langage des cercles requiert le vol. De cercle en cercle il vole. Il vole comme les vautours, avec le bec ensanglanté, avec des lamelles de chair décomposée accrochées aux commissures propageant, de cercle en cercle, le virus : le désir de créer des mondes.
Et les larmes ? Et l’eau ? Pure convulsion de l’air liquéfié par le froid.
*****
Franck Venaille ( 1936 - 2018 ) occupe une place prépondérante dans la poésie française du XX° siècle qui déborde largement sur le XXI° siècle.
Son langage poétique obéit à la définition qu’énonce ci-dessus Chantal Maillard. Il a fabriqué son cercle, à grands coups de paroles de vautours, de paroles transhumantes et de paroles berbères, celles des sables de l’Algérie.
Paroles nées de chocs, paroles de lutte conte la désespérance.
« Nous devons attacher ensemble / toutes [les] impressions désespérées » préconisait Jim Morrison (« La nuit américaine » Christian Bourgois éd. 2010, p 37).
C’est ce que fit Franck Venaille.
Il est de cette génération que l’on mène à vingt ans à la guerre, sans dire son nom, dans les djébels d’Algérie.
A son retour, meurtri mais sauf, il fuira ensuite le soleil, l’exubérance de la clarté et de la joie. L’écriture sera sa résilience. Elle le conduira aux confins des paysages brumeux, là où le soleil est voilé et sans morsure ; il s’attardera à Ostende.
Mais les mots, hachés, revenant en boucle sur les terres de l’obsession, les mots pour vaincre ce que les yeux ont gravé, les mots n’auraient pas suffi.
La sensuelle femme Algeria procure la guérison au poète, soldat malgré lui.
Et son livre « Algeria » (éditions Melville (éditions Léo Scheer) 2004, 170 pages, 17 €) , renferme tous les mythes de la guerre d’Algérie comme seul, un poète de haute envergure pouvait oser les exhiber.
Mais cette guerre est aussi une guerre contre lui-même. L’a-t-il gagnée ?
A la mort de Saddam Hussein mon ami le poète iraquien Salah Al Hamdani avoua dans son livre « Adieu mon tortionnaire » (« Le Temps des cerises » éd.2013, p 126) : « Me voici dépouillé de tout excepté de ma révolte ».
La révolte sourde de Franck Venaille a transfiguré la poésie contemporaine.
Avec « Algeria » il a conféré aux soldats jamais nommés de la guerre d’Algérie, valeur d’existence.
Et parmi eux, deux hommes incarnant indéfectiblement l’humanité bienveillante dans le devoir : Hélios Costa et feu Robert Vergé auxquels j’ai dédié la lecture des poèmes de Franck Venaille.
Extraits :
A genoux, soumise, le front les mains contre le parquet, Algeria attend. Algeria est belle. Algeria est douce. Algeria c’est la tendresse. Parler d’elle c’est s’arracher de l’incurable. A quatre pattes, les fesses offertes, Algeria dans la nuit attend. Elle secoue ses cheveux : c’est une sainte ! Elle penche la tête : c’est aussi, la putain. Non. Autre chose. Une autre qualité de vice. Ce qu’il aime en elle ne se raconte. Pas. Nue Algeria s’offre et son silence est exigence. Défilent alors des paysages : grandes et mouvantes plaines où court un enfant, tragique et noire église de la confession, bleu estaminet. Lui, crie : la mer ! La montée dans la ville. Il marche ainsi le long des rails. Arrêt. Oh comme cela fonctionne la vie ! Puis il distingue le volume du boulevard qui sous les marronniers s’engouffre. Boulevard noir. Lisse et vide sur le front de l’eau blanche. Il passe. Il marche. Il parle, seul. Il est là. Il. S’enfonce. Avez-vous remarqué lui disait-elle comme il est rare en un tel lieu de voir rire une femme ? Blonde. Rouge bouche. Bouclée. Tout de même quelle folie, qu’elle, cette nuit-là dans sa robe. Le cul à nu. Sa beauté noire et grave. Ce mot. L’image née de ce mot lui donne le frisson. Rues. Pavés. Goulot du port. Avec du jeune. Néons rouges et mauves. On se croirait. Violets. La molesquine. Qui ne bouge pas. Et derrière le bar, accrochés comme ici, trois. Ou cinq. Prêts à servir et noirs encore. Place du Régent. Statue immense d’un type. Veule. Qui gouverna. Et elle, en sa rigueur, qui attend guette ces mouvements et qui bientôt tressaille. A quatre pattes, ouverte, Algeria entend déjà les mots qui vont la déchirer. Mots qu’elle mérite ainsi dans sa posture, cinglants. Derrière la vitre il voit passer Marie-Martine la petite fille bossue qui embrasse sa. Discret mouvement de tête pour le. Son. Pour le père. Tisane ! Tisane ! Et sa tendresse, à lui sous l’apparente dureté. Vite ! Tous ces mots dans le silence de la. Il pleut acier. Géronimo écartelé là-bas vers Douvres. Mains, front à plat sur le parquet, Algeria se tend. Puis il l’encule. Mais c’est peut-être avec tendresse qu’elle me couchera la. Mort.
****
Francis PORNON, Franc BARDOU, Gérard ZUCHETTO,
Edouardo HALFON
Cette période tourmentée m’a dessaisi de la chronologie régulière des éditoriaux.
Les émissions ont filé dans le sillage des semaines sans les mots écrits qui rappellent que ces émissions occupèrent ce temps éphémère d’antenne et que par le truchement du numérique, elles demeurent accessibles de façon pérenne.
Les deuils ont sévi avec une cruauté rare.
A peine un an après la disparition de Michel Baglin, nous eûmes la douleur de perdre :
Monique-Lise Cohen, Michel Goedgebuer, Joan Jordà et Jean-Pierre Thuillat.
A son tour, le poète plasticien Claude Barrère a quitté la scène subrepticement dans une nuit de week-end, laissant notre attente vide et désemparée.
Viendra le temps des hommages qui malgré nos ruses, ravivera la souffrance de l’absence.
Radio Occitania diffusera à compter du jeudi 18 février 2021 une des émissions réalisées avec Claude Barrère et celle-ci sera en permanence sur le site lespoetes.site.
Mais le spectacle continue.
Il me revient de combler les lacunes des émissions sans légendes.
Les émissions « Confinement n° 26 » et « Confinement n° 32 » ont en commun deux poètes Francis Pornon et Franc Bardou.
En vieux juriste, j’ai pratiqué la jonction de ces deux émissions en un seul et même éditorial.
Dans la première sont signalées les « Chroniques démiurgiques - Mémorial poétique de Terrefort » en 3 volumes, bilingue occitan français de Franc Bardou.(Troba Vox éditions, coll. Votz de Trobar Poésie occitane n° 25, 26, 27)
Ces poèmes sont une succession d’éblouissements. Ils forment avec ces trois volumes un mémorial forgé du bronze inoxydable de la parole d’un poète qui a pour vocation de relier les luttes des peuples, passées et actuelles.
C’est de la guerre civile d’Espagne, que montent les cris du poète occitan qui, dès la fin de notre premier confinement, s’est rendu au cimetière de l’ancien camp de concentration du Vernet d’Ariège où gisent 152 victimes venues de 20 nations différentes, la plupart anciens miliciens de la légendaire colonne « Durruti ».
Ce lieu entre Ariège et Garonne est appelé « Terrefort » et Franc Bardou a voulu l’immortaliser de l’exemple de ces combattants tous volontaires, tous « ses héros », par un mémorial du verbe dans les deux langues du poète : l’occitan et le français.
Nous reviendrons sur cette épopée poétique, grandiose comme l’engagement de ceux qui périrent là après tant de combats et de souffrances.
Michel del Castillo, victime infantile de cette guerre fratricide, a témoigné d’un vécu hors de tout préjugé dans tous ses romans ou presque. Pour lui « il y avait deux républiques comme il y avait deux Espagne : une république de l’intelligence et de la beauté [...] et celle des révolutionnaires, brutale et primaire ».(« La vie mentie » Fayard 2007,p 245).
Si l’on en croit del Castillo « Les français pensent avec leur intelligence, les Espagnols vivent leurs pensées avec tout leur corps » (Ibid. p 220)
A lire les « Chroniques démiurgiques » de Franc Bardou, l’Occitan réunit ces deux caractères car cette œuvre pensée avec intelligence est aussi un long frémissement de tout le corps.
La mémoire et l’épopée, le romancier guatémaltèque Edouardo Halfon excelle dans leur pratique comme il l’a glorieusement démontré avec son roman « Deuils » qui a obtenu en 2018 le prix du Meilleur livre étranger (éditions du Quai Voltaire).
Il vient de faire paraître toujours au Quai Voltaire : « Cancion » traduit de l’espagnol par David Fauquemberg, 120 p, 15 €.
Alexandre Fillon écrit dans « Lire » qu’ « Edouardo Halfon frappe par la précision et la musicalité de sa prose. Par son regard lumineux et son souci de vérité. »
Avec Halfon, dans ce nouveau roman nous plongeons aussi dans l’univers des guérilleros, mais ceux-ci sanguinaires, sans scrupules. Ils prennent en otage le grand-père de l’auteur, le séquestrent trente cinq nuits.
Le grand-père venu de Beyrouth était un « Turc » ainsi que l’on nomme au Guatemala tous les Arabes et tous les Juifs.
Dans ce roman qui se lit d’un trait, c’est une épopée crapuleuse qui nous entraîne dans une enquête sur l’identité sociale et politique de son grand-père et partant, du Guatemala.
Comme pour la guerre d’Espagne, il est souvent difficile de distinguer les bourreaux des victimes.
Un roman passionnant !
*****
Le poète et romancier toulousain Francis Pornon publie un nouveau roman « Mystères de Toulouse de rose et de noir » éd. TDO, coll. Noir Austral, 430 p, 20 €.
A lire ce livre, j’ai l’impression d’entendre la voix de Francis Pornon tellement ce roman colle à sa personnalité propre. Et c’est pourquoi je lui ai demandé, outre la présentation de ce copieux roman qui se déguste longuement, de nous lire de larges extraits que vous pouvez donc écouter dans cette émission.
Car en dehors de l’intrigue bien réussie (Francis Pornon est un auteur confirmé de roman policier) ce roman de 430 pages, est celui qui le révèle le mieux.
En effet, au détour du récit bien enlevé, l’auteur s’attarde sur son patrimoine culturel, celui de Toulouse et de l’Occitanie, pour en révéler l’importance et ses secrets le long d’une grande ballade historique et géographique.
On imagine que se livrer à sa passion de montrer les trésors culturels de cette Occitanie dont il est un des fils, a dû constituer pour le romancier, un exercice jubilatoire.
Et ce plaisir, nous le partageons, nous lecteurs, en le suivant dans son itinéraire.
Ces digressions qui émaillent le cours du récit sont le sel de ce roman qui a ainsi en filigrane le décor superposé de l’Histoire de la cité du plus grand poète en langue d’Oc, Godolin, avec son « Ramelet Mondin » jamais égalé, et de l’Histoire souvent cruelle de ce vaste pays qu’est l’Occitanie historique.
Et comme Francis Pornon est avant tout un poète, il convoque dans son roman, outre le grand Godolin qui compose pour l’éternité dans l’immobilité de sa statue de la palace Wilson, tous les poètes qui ont marqué de leur majestueuse empreinte les terres occitanes.
Vous avez bien compris que « Mystères de Toulouse de rose et de noir » est bien plus qu’un roman policier qu’on dévore pour connaître le dénouement.
C’est un guide au service aussi bien des habitants des lieux que des visiteurs.
Un autre aspect et pas des moindres, de la personnalité de Francis Pornon transparaît dans ce roman comme dans les précédents. C’est son attachement aux hommes et aux femmes, à la fraternité qui se dégage des personnages du roman.
L’ensemble dessine comme un halo chaleureux d’humanité qui enveloppe le parcours méandreux du roman.
Et cette émotion ajoute au plaisir de la lecture.
Ce qui fait aussi la grandeur de ce roman, c’est sa langue, le style Pornon : une langue classique, à l’aise dans les phrases longues et les belles descriptions mais redoutable dans le parler familier et l’humour jovial d’une ironise à fleur de peau.
Le romancier s’est inspiré facilement de sa propre vie et de sa propre expérience. Renat de Saint-Hilaire est comme lui, occitan de naissance, septuagénaire assagi mais en éveil, professeur à la retraite à la pension que rabougrissent les années qui passent. Et Fleur, la belle héroïne est comédienne comme sa compagne.
Francis Pornon nous mène par la main dans les mystères de Toulouse, cette ville des troubadours mais aussi de l’aveuglement religieux qui conduit Vanini et Calas au supplice. Il nous révèle les fastes et les noirceurs de la ville rose.
C’est un grand roman qui prend place dans les romans culte ayant pour objet Toulouse et l’Occitanie.
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Pour l’émission « Confinement n° 32 » Franc Bardou et Francis Pornon sont en compagnie de l’éditeur, poète, musicien, directeur du festival « Les troubadours chantent l’art roman », auteur d’une riche discographie, Gérard Zuchetto, Mainteneur de l’Académie des jeux floraux.
C’est une nécessité culturelle de disposer dans notre bibliothèque de la somme prodigieuse du travail de cet infatigable chercheur :
« La Troba, l’invention lyrique occitane des troubadours XII°- XIII° siécles » ( éditions Troba Vox).
A défaut ou en complément, le fascicule n° 9 de la collection Votz de Trobar Poésie occitane des mêmes éditions Troba Vox :
« Retrouver le Trobar » en trois langues : occitan, français et anglais.
« Art de trobar et art d’amar, c’est là toute la Maestria des troubadours. A partir de la poésie chantée, le trobar devient une idée artistique révolutionnaire des plus intelligentes et pertinentes dans les domaines de la littérature et annonce tous les courants de la pensée moderne » nous convainc Gérard Zuchetto qui met en pratique cette haute culture en publiant les troubadours modernes que sont les poètes occitans.
Parmi ceux-ci, le « Jim Morrison » de la poésie occitane :
Franc Bardou, Maître ès-jeux de l’Académie des jeux floraux.
Son volumineux « Cahier nocturne d’errance - Nocturnal d’errança » bilingue occitan français, (éd. Troba Vox, coll. Votz de Trobar Poésie occitane n° 10) est encore une épopée.
Cette œuvre confirme, s’il en était besoin, le génie poétique de cet artiste déchiré par l’état de déshérence de sa langue occitane et par une société « qu’il voit péricliter dans un cynisme abject, égocentrique et vain, conduisant chacun à l’horreur du refus de l’Autre, au désamour global et à la solitude ».
Franc Bardou ancre la poésie occitane dans la plus actuelle des poésies contemporaines. Il maintient, dans la langue du XX° siècle, le prodige poétique des troubadours. Amoureux, impertinents, libres, habités d’amour et de beauté.
Franc Bardou s’était expliqué sur cet important livre dans une émission du 9 mai 2019 toujours disponible sur le site lespoetes.site.
Nous y reviendrons quand nous retrouverons les studios de Radio Occitania, le Covid vaincu.
« Gare au Covid » précisément c’est le titre du dernier recueil de Francis Pornon paru à Encres Vives mais que vous pouvez vous procurer aussi chez l’auteur, dédicacé, 9 € en le commandant à son adresse : 23, rue d’Orbesson, 31100 Toulouse.
Ce recueil est né à l’occasion de la présentation de l’œuvre de Francis Pornon par le Gué Semoir qui réunit dans les animations Tempo Poème les poètes de la région toulousaine autour du poète franco-suédois occitan Svante Svahnström.
Covid oblige, l’animation qui rassembla le Gué Semoir, la Maison de l’Occitanie avec la Convergence Occitane et Radio Occitania se fit par un enregistrement avec les voix de Cécile Chapduelh, Danièle Catala Franc Bardòu, Capitaine Slam, Christian Saint-Paul, Svante Svahnström et au piano : Alain Bréheret.
Cette lecture-performance est intégrée à l’émission « Confinement n° 32 » et a été diffusée deux semaines sur les ondes de Radio Occitania.
L’œuvre notable d’auteur de romans historiques de Francis Pornon est évoquée également dans le préambule de l’émission.
Vous pouvez écouter les émissions « Confinement n° 26 » et « Confinement n° 32 » sur le site lespoetes.site à « Pour écouter les émissions ».
Extraits de « Gare au Covid » :
BERCEUSE AU GRAND FLEUVE
(Pour toutes les petites filles des deux rives du Grand fleuve)
Dors petite belle
Parce que le grand fleuve
Vient à te parer
De colliers de cœurs
Et t’offrir des ailes
Dors petite fille
Parce que le printemps
Méditerranée
Éclaire le temps
De tes futurs rires
Dors petite dame
Parce que le cheval
Se met à pleurer
Pour laver le mal
Qui pèse à ton âme
Dors petite poule
Parce que ton papa
Cueillit la nuée
Offerte à tes bras
Dansant dans la houle
Dors petite chère
Que le vieux pochard
Chante son passé
Pour que ton plus tard
Vogue sur la mer
Dors petite amie
Afin que les hommes
Sachent mieux aimer
Décrocher les pommes
Mûres de la vie
Dors petite femme
Parce que le grand fleuve
Se met à couler
Des brassées de fleurs
Qui sèchent les larmes
Lyon, nuit du 7 au 8 mars 2011
« Printemps des poètes » au Théâtre des Ateliers.
À QUAND LA SORTIE
(chanson pour le temps présent)
Tout serait fini
Covid sale bouille
Tu foutrais la trouille I bis
À quand la sortie I bis
L’automne que l’on dit doré
Se montre en robe humide et froide
Tiédis les rêves et calmée
L’ardeur virile un peu moins roide
Reste à garder ses illusions
Quand la camarde se radine
Lever haut désir et passion
Et narguer ce qu’on nous destine
Rapias pas jolis
S’emplissent les fouilles
Et les autres mouillent I bis
Jusqu’à la sortie I bis
Mais où est-il le paraclet
Où sont les lendemains qui chantent
Et les neiges immaculées
Quand catastrophe et risque hantent
Quand l’homme redevient le loup
Sans même rouge chaperon
Le monde semble un ventre mou
Ou peu de traces laisserons
Tout semble fini
Des taries gargouilles
Aux lunes qui rouillent I bis
Ça sent la sortie I bis
On s’occupe à cramer le monde
Et à estomper le soleil
Voiler les étoil’ à la ronde
Fondre banquise et glacier Seil
De la Baque en peau de chagrin
Empoisonner torrents et fleuves
Perdre animaux oublier grains
Éliminer tous qui se meuvent
Les temps sont taris
Si au fond des fouilles
Seul’ la peau des couilles I bis
Peut garder un prix I bis
Passant qui délaisse la fête
Sous le coup d’édits et panique
Entends quand même le poète
Qui veut en termes magnifiques
Toujours colorier le trottoir
Chanter aux rues contre les vents
Encor’ l’horizon voulant voir
En dépit de tout mauvais temps.
Le temps est fini
Et le corbeau fouille
Les dernières douilles I bis
Tirées la proie gît I bis
Sur cette terr’ peu changera
Après homme et femme partis
Et tant et tant il restera
À la nature assujetti
Comme après toi et après moi
Les fleurs sauront toujours fleurir
Et aux animaux un émoi
La lune pourra bien fourbir
Tout serait fini
Covid sale bouille
Tu foutrais la trouille I bis
À quand la sortie I bis
Au couchant enfin avivé
La paix venant après tempête
Les fronts et cœurs gros délavés
L’amour élève l’âme en fête
C’est un élixir guérissant
Plus que tirades aux gros mots
Le baiser volé résistant
Panacée qui vainc tous les maux
Tout n’est pas fini
Faisons belle bouille
Et bisque la trouille I bis
À quand la sortie I bis
Écrit au cours du 2e confinement
pour être dit à l’occasion de Tempo Poème
à l’Ostal d’Occitania
(novembre 2020).
Pouvoirs du poème
Pouvoirs du poème
qui redonne vie
à celui qui mourait
d’inanition
écrivait Charles Juliet.
Les pouvoirs du poème opèrent, sollicités sans relâche en cette obscure période.
Sans eux, je pourrais être enseveli dans le vide sans fond de l’absence de celle et de ceux qui ont arrêté leur course, ruinés par la maladie ou/et le virus chinois.
Dans cette société du spectacle où tout converge vers le marché infini de la communication, nul répit à ces mauvais orateurs qui s’affichent sur les inévitables écrans qui polluent notre vie.
Ils officient doctement, députés, sénateurs, élus locaux, journalistes, politologues, les « spécialistes » que chantaient Jean-Roger Caussimon et Léo Ferré.
Ils encombrent les conversations de leurs clichés, ils s’embourbent au marécage des lieux-communs, récupérés dans cette savante communication qui n’ose plus s’appeler propagande.
Pour échapper à cette emprise funeste, pour retrouver des figures inattendues naissantes qui régénèrent le langage, les poètes répondent à l’appel. Leurs images sont les visages d’une réalité qui n’a plus rien de factice.
Le poème se lit et s’écoute.
Dans l’écoute du poème, la voix est primordiale.
Jean-Pierre Siméon le souligne dans « La conquête dans l’obscur » de Charles Juliet et de Jean-Pierre Siméon (éd. Jean-Michel Place, 2003) :
« La voix est un témoin véridique de l’être du dedans, une manière de quintessence de la substance interne. La voix trahit - traduit - plus que le sentiment, elle renseigne sur le grain de l’âme, si l’on veut bien nommer ainsi, par commodité, la texture de l’être intérieur. »
En prêtant ma voix au poème d’autrui, j’en oriente le sens, ne pouvant refouler ma propre sensibilité.
Dans l’émission « Confinement n° 21 » qui a été diffusée par Radio Occitanie, j’évoque quatre artistes avant de prêter ma voix au poète central de l’émission.
Ces quatre là ont fait de la poésie une initiation au bonheur dans la définition que lui donne Philippe Mathy :
« Jusque dans ses chants désespérés, la poésie procède d’une vocation au bonheur. La flamme qui allume toute promesse, quand bien même elle ne pourrait être tenue, mérite que nous travaillions à renouveler la mèche, à lui offrir un peu d’huile, qu’elle saigne ou jaillisse du pressoir de nos jours. » (« Barque à Rome » L’Herbe qui tremble éd. 2011, p 125).
Je vous invite à lire :
- Francis Pornon : « Mystères de Toulouse, de rose et de noir »
TDO éditeur, 20 €.
Ce roman policier historique a fait l’objet d’une émission spéciale diffusée en décembre 2020 « Confinement n° 26 » et fera l’objet prochainement d’un éditorial particulier.
- Jean-Claude Ettori « Le collier de verre » éd. Sabine, 15 €.
Après « L’homme qui aimait Diana Krall, Axel Bauer et le café Aguadas » aux mêmes éditions, nous retrouvons la verve maîtrisée et chaleureuse de ce poète et chanteur qui traverse les lieux avec une acuité du regard toujours bienveillante, répondant là aussi à la conviction de Philippe Mathy : « il faut aussi que le lieu nous tende la main » (p 98).
Les lieux, les personnes, les situations ont tendu la main à Jean-Claude Ettori qui nous régale de ces poèmes-récits où la vie s’installe avec son histoire.
Dans ce marché de plein vent
De la ville d’Ajaccio
Le matin avait les yeux clairs
Elle cherchait comme tous les dimanches
De vieux livres d’histoires
Elle aimait les odeurs du passé
Qui racontaient tant de choses
Ce bord de mer sous les palmiers
Etait une carte postale
Mais elle n’y faisait plus attention
Elle espérait le livre rare
Un stand de vieux bijoux l’intrigua
Des montres des bagues des bracelets
Des broches et autres colifichets
Mais rien ne l’intéressait
Un homme l’interpella vivement
Il exhibait une boîte ouverte
A l’intérieur scintillait au soleil
UN COLLIER DE VERRE
- Marie-Josée Christien « Constante de l’arbre » photographies de Yann Champeau, éditions Sauvages Carré de création, 23,50 €.
C’est un très bel ouvrage, à considérer comme un véritable livre d’artiste par sa mise en page et la qualité des photographies.
La forte envergure de Marie-Josée Christien est recensée dans le livre qui lui a été consacré dans la collection Parcours de Spered Gouez : « Marie-Josée Christien passagère du réel et du temps », 13 €.
Rien ne s’inscrit mieux dans le réel et le temps que l’arbre.
Ce livre « Constante de l’arbre » le confirme s’il en était besoin. Il réunit les poèmes autour de l’arbre dispersés dans l’œuvre abondante de la poétesse bretonne avec quelques poèmes inédits.
La concision de ces poèmes, chefs d’œuvres d’orfèvrerie de la langue, concentre le vif plaisir de la lecture en quelques mots et images prégnantes.
Les poètes se retrouvent dans la fraternité des arbres.
Michel Cosem avait publié « Arbres de grand vent » sur des illustrations de Philippe Davaine aux éditions du Rocher (collection Lo Païs d’Enfance).
J’ai plaisir à faire se rejoindre ces deux livres dans ma bibliothèque et dans l’imaginaire des arbres, eux qui relient le ciel et la terre.
- Raymond Farina « Notes pour un fantôme, suivi de Hétéroclites » n&b Poésie éditeur, 12 €.
Philosophe, l’auteur fait naître le poème avec une apparente facilité, un naturel qui absorbe toutes les palinodies qui se bousculent à la conscience pour y répondre avec une simplicité déconcertante de vérité.
Le lecteur est surpris d’avoir si vite fait son miel de ces poèmes.
C’est du grand art de cerner les interrogations métaphysiques de l’existence avec une telle économie de mots, une absence de pathos et une telle sûreté dans la direction indiquée.
Car les poèmes ne sont pas l’aboutissement de nos doutes, mais l’orientation du chemin à suivre. Et c’est là, la toute-puissance du poète : ce chemin, il nous révèle que nous le connaissions.
Raymond Farina illustre par cette posture poétique séduisante, ce que Goethe prétendait, que dans toute œuvre de génie chacun reconnaissait une idée personnelle inaboutie.
****
Thierry Toulze, alias Capitaine Slam fait son retour dans cette émission « Confinement n° 21 ».
Il apporte l’indispensable marque de renouveau, de jeunesse, de vie en cours d’élaboration.
Ce parfait lettré, docteur ès-lettres, fait corps avec son époque. Et son époque frémit des mêmes sensibilités anciennes.
Eternel recommencement sous des formes nouvelles.
Mais ce sont elles qui créent ce déphasage dont Régis Debray nous dit qu’il est réclamé par le culot du poète.
Nos poètes intéressent-ils vraiment la jeunesse ?
Régis Debray avertit :
« La vieille religion littéraire a beau se survivre à coups de subventions, pubs, foires, festivals, résidences et Goncourt, l’encombrement des librairies n’empêche pas les désertions. La France entend toujours se doter d’une voix et d’un visage, mais les ados ont d’autres autels : ils écoutent et ils visionnent. » (« Du génie français » nrf Gallimard 2019, p 16).
Ecouter et visionner, c’est précisément ce que nous permet seulement la crise sanitaire.
Alors, le Capitaine SLAM alias Thierry TOULZE est venu à côté de ses pairs, rehausser de sa fraîcheur la lecture-performance autour de l’œuvre du poète écrivain, également homme de radio, Francis Pornon, qui sera diffusée à compter du jeudi 28 janvier 2020, et qui constituera l’émission « Les poètes » de ce même jour.
Espérons que le Capitaine SLAM saura trouver dans notre ville de Toulouse, abritant tant de poètes mais experte dans la lésinerie apportée à leur reconnaissance, un espace de création pour ses récitals et ceux des poètes.
La Maison d’Occitanie a été seule, à ce jour, à répondre à ce besoin.
La poésie véritable se moque des vêtements rituels imposés à ses prêtres.
Elle méprise ceux qui la servent en fonctionnaires ponctuels. Capricieuse, elle se rit du lieu, de l’heure, inspire, selon son bon plaisir, ses élus innombrables.
Et il faut le répéter, son domaine demeure immense comme la vie.
C’est ce domaine immense comme la vie, que je vous propose d’explorer chaque semaine et cette fois-ci avec le Capitaine SLAM.
Extraits de « L’Observatoire de Toulouse » :
L'OBSERVATOIRE
DE TOULOUSE
LOCOMOTIVE D'OC
Le train qu’tu conduisais
Est monté super-haut,
Sur des sommets magiques,
Des cimes insoupçonnées.
Après tu t’es cassé
Dans ta locomotive d’or,
Ce qui était pour toi
La plus belle des morts.
De la chanson française
T’étais le vrai taulier :
A la mort de Brassens,
A la mort de Ferré,
Celle-ci en effet
Aurait pu dérailler.
Mais tel Gabin dans La Bête Humaine (tchou ! tchou !),
Tu as gardé le cap,
T’es resté dans la place,
Remettant les pendules à l’heure
Et prouvant à ceux qui en doutaient
Que la poésie était soluble
Dans la chanson française.
Pour finir, remercions Claude
Car il aura prouvé au monde,
A travers l’album Nougayorque,
Que l’accent toulousain
Avait objectivement
Quelque chose de funky !
De ta locomotive d’or,
Tu me salues en rigolant,
Sensible à mon hommage.
A mon tour je te salue
Et te dis bon voyage
A bord de ta
Locomotiiiiiiiive d’ooooooor...
A l’enterro de Nougaro,
Toutes les générations étaient réunies.
Devant l’Eglise Saint Sernin,
Il y avait foule.
Douste-Blazy, le maire de l’époque
Et qui (dans une autre vie)
Avait été maire de Lourdes,
Se fendit d’un discours
Où l’émotion paraissait feinte.
Au beau milieu de son speech,
On entend : « Retourne à Lourdes ! »
Ce qui ne résumait pas mal
Le sentiment des personnes présentes.
Enfin, j’aperçois le cercueil.
Peut-on considérer que, ce jour-là,
J’ai vu Claude Nougaro ?
Oui et non.
J'ai surtout vu
Du bois.
Pendant qu’un convoi
Se met en branle
Pour l’enterrement proprement dit,
Un autre cortège
S’en va vers la Garonne.
A la suite d’un bus
Se déplaçant lentement
Gravitent 150 personnes.
Dans ce cortège : des gars sans pères,
Des paumés, des crevards
Des pauvres, des désespérés.
Raccord,
Je m’y joins.
Sur le plafond du bus, une sono.
On passe ses chansons et ses phrases percutent :
« Ici, si tu cognes, tu gagnes »
« O Déesse de Pierre, pour avoir ton sourire,
Il n’est qu’une manière : boxe ! »
Tout cela me concerne.
Sur le pont de la Garonne,
Nous ne sommes plus que trente
Et c’est comme un concours entre nous
Pour savoir qui est le plus paumé.
Puis je fais un détour,
Je m’achète du pain
Et je rentre chez moi.
GERONIMOC
Occitan, ta colère est légitime
Mais n'en fais pas trop quand même :
Au grand jeu-concours des victimes,
T'es pas le plus à plaindre.
Certes, on t'a interdit
De parler ta langue à l'école
Mais on n'a pas non plus
Décimé tout ton peuple
Comme on l'a fait du mien.
Ne t'énerve pas, Occitan
(Toi que je sais sanguin
Et prompt à la castagne),
Moi, Géronimo, sorcier apache et chef de guerre,
Je viens en paix sur tes terres :
Il ferait beau voir que l'Oc rejette l'Ocre ! (chanté, sur l'air de Requiem pour un con :)
Quoi ? Tu me regardes, tu n'apprécies pas
Mais qu'est-ce qu'y a là-d'dans qui t'plaît pas ?
Ton attitude viriliste
N'est plus de mise, crois-moi.
Les grands airs, ça ne prend pas
(Idem pour les rodomontades) :
Il faut la jouer plus fine,
Changer de stratégie,
Remiser l'ancien carquois,
Pratiquer l'ironie,
Troquer les flèches émoussées
Contre des armes
Miraculeuses...
Faire comprendre à ceux d'en face
Qu'ils auraient tort de te snober,
Que t'en as encore sous le pied
Et que tu pourrais même
Leur en remontrer.
Au lieu de ça, tu trépignes
Comme un enfant colérique :
On dirait Joe Dalton face à Lucky Luke !
Moi, Géronimo, sorcier apache et chef de guerre,
Je t'invite à te reprendre
Mais épargne-nous, je t'en prie,
Ton sempiternel numéro,
Tu sais bien : celui où, serrant les dents, tu bougonnes
Et où tu pestes contre la France
En tirant sur l'ambulance.
Ce numéro morbide et bien rodé :
Il appartient au passé :
Dévoile-nous plutôt
Les merveilles de ton pays !
Montre-nous sur le champ
Les arcanes de l'Occitanie !
Occitan, tu l'as compris :
Moi, Géronimo, chef de guerre et sorcier funky
Je te défie ! Je te défie ! Je te défie !
DESTRUCTION DE BOUDDHA
J'avais écrit un poème
Sur une cheminée
Que je voyais de chez moi
Et dont la forme générale
M'évoquait un Bouddha.
Voici qu'une grue, ce matin,
Vient de la détruire.
Cela me contrarie
Car c'était là pour moi
Un beau sujet de rêverie.
Allons, soyons bouddhiste
Et passons outre : Bouddha
Ne nous invite-t-il pas
A accepter l'impermanence ?
FOIX, DERNIERS FEUX
A Câline et à Marcelle Chaplet.
Je m'apprête à quitter
La maison de ma tante :
C'est là que j'ai vécu
Les années 80.
J'y retournais souvent,
Pour les vacances, les fêtes,
Pour écrire et
Me recentrer.
Elle déménage : il faut
Que je l'aide et que j'aille
Voir ailleurs si j'y suis.
Je m'apprête à quitter
La maison de ma tante.
Je m'apprête à quitter
Le giron de ma tante.
Il est temps que l'oiseau
Quitte vraiment le nid.
Cependant, comment ne pas
Se sentir un brin bluesy
Et même un peu blousé ?
Le moyen de ne pas
Ressentir de la peine ?
Mais là c'est terminé :
Il faut quitter le nid
Apaisant et douillet.
J'emballe des cartons
En songeant à ceci.
Je regarde le chat
Qui ne comprend pas tout,
Très critique à l'égard
De cette agitation.
Je veux le caresser
Mais il se barre au loin
Puis monte dans un arbre :
On dirait un hibou.
Mes jeux avec ce chat
Dans ce joli jardin,
Les manies de ma tante
Au moment des repas,
Mon footing matinal
Autour de la maison :
Tout cela est fini.
On déplace les meubles
Et on chamboule tout.
Il faut quitter les lieux
Car un camion se pointe :
C'est un déménageur
Qui vient nous épauler.
Il emporte trois lits
Et pleins de bibelots.
Je regarde ma tante :
Elle accuse le coup.
Maintenant, c'est acté,
La machine est lancée
Et le camion démarre.
C'est un peu de nos vies
Qu'il embarque avec lui.
24/01/2021
Michel COSEM
« Les yeux de l’oursonne » et « Le Village écrit dans le ciel »
Observant le site de l’émission « Les poètes » (lespoetes.site) où des années d’audition de l’émission sont accessibles à la rubrique : « Pour écouter les émissions », Claude Bretin le dévoué technicien de l’émission et le webmestre du site, m’alerte : « Il y a trop de blancs ! »
Entendez par là, qu’en regard de chaque heure d’émission devrait s’afficher un commentaire ou un renvoi à un éditorial correspondant au contenu de l’émission.
Or, plusieurs de ces rédactions manquent.
Les circonstances m’ont parfois tenu à l’écart, et le temps ne se figeant jamais, les semaines se succédant sans répit avec chacune leur heure de diffusion de lecture de poèmes, le retard n’a pu être comblé.
C’est une injustice pour les auteurs qui n’ont pas bénéficié de cet éclairage.
Ainsi, pour une émission diffusée sur les antennes de Radio Occitania dans la semaine du 13 février 2020, présente sur le site mais exempte de résumé.
Délaissant l’actualité des dernières semaines, je répare donc cette carence ancienne.
Cette émission diffusée pour la première fois le 13 février 2020 signale plusieurs livres de poèmes :
- « Les Loups » de Sophie Loizeau, aux éditions Corti, 16 €
- « Verger » de Cédric Le Penven aux éditions Unes, 16 €
- « Chants des Crépuscules » de Jean-Michel Tartayre, n° 491 de la revue Encres Vives, 6,10 €
- « Couleurs Pierres » d’Annabelle Gral, n° 490 de la revue Encres Vives, 6,10 €
- « Le Village écrit dans le ciel » de Michel Cosem dans la collection lieu d’Encres Vives, sur Saorge / Alpes Maritimes.
Dans cette émission, Michel Cosem occupe la place centrale car il éclaire de ses précisions la genèse de son dernier roman
« Les yeux de l’oursonne » aux éditions De Borée, 217 pages, 18,90 €.
C’est avec une réelle nostalgie que je reviens sur ce roman en cette morne période où les voyages, les séjours ailleurs, sont difficiles sinon proscrits.
En effet, Michel Cosem comme dans tous ses romans, nous entraîne dans les lieux multiples chargés d’histoire et d’aventures.
Pas un lieu de ce beau roman, hormis la Grèce, que je ne retrouve avec une émotion décuplée par la langue fluide, classique et sobrement lyrique, du poète romancier Michel Cosem.
Le récit est alerte, aéré par des récits dans le récit, le personnage principal, Marcelin, clerc de notaire à Luchon, compilant lui-même les récits d’ours dans les Pyrénées.
C’est une triple histoire d’amour.
Pour une grange rudimentaire aménagée dans un versant de montagne du côté de Luchon, la Maison de Poupée ; pour une femme qui va comprendre et admettre la passion de la solitude de pleine nature de son amant ; pour une ourse dont il ne peut prétendre que ce dernier amour soit partagé. Et pourtant...
Tout l’univers romanesque et poétique de Michel Cosem est condensé dans ce fier roman.
Un regard lucide mais toujours pudique pour les passions qui mènent le monde, et Marcelin en particulier. Un regard aigu et aimant pour les lieux que les personnages, comme lui, traversent et qui s’inscrivent dans les mémoires en qualité de forts moments de vie. D’où la précision. L’exactitude dans la nomination. Le lecteur s’y reconnaît. Et s’il n’a jamais fréquenté ces lieux il les imagine sans effort.
Ce roman, au-delà du plaisir assuré de la lecture, nous interroge en filigrane. Avec une discrétion subtile qui oblige à la réflexion.
Pourquoi ce clerc de notaire, pourtant bien urbanisé, se lie d’une véritable dépendance à une grange en pleine forêt que le soleil n’atteint que parcimonieusement dans la journée ?
Être immergé dans la solitude de la montagne, à l’affut de la visite d’une oursonne, ne répond-il pas à un besoin vital de communion avec le monde ? A une pratique de spiritualité dépouillée de tout conditionnement ?
Ces temps de séjour dans la Maison de Poupée, tels des pèlerinages, Marcelin ne les vit-il pas comme autant de trêves dans l’affrontement avec l’inéluctable trivialité prosaïque de son métier ?
La fascination qu’exerce l’oursonne sur lui, le conduit à rassembler, exhumer les récits d’ours qui ont circulé sur toute la chaîne des Pyrénées. Et ces récits qui émaillent le roman sont autant de pépites qui illuminent le parcours du roman.
Luchon peut s’enorgueillir d’un nouveau roman qui met en avant sa quiétude de Reine des Pyrénées, sa beauté, son hospitalité fraternelle.
*****
Après les Pyrénées, ce sont les Alpes Maritimes qui sont le décor somptueux d’un livre de poèmes de Michel Cosem :
« Le Village écrit dans le ciel »,
le village étant Saorge et ce recueil constituant la 385ème publication dans la collection lieu d’Encres Vives, 6,10 € à commander à Michel Cosem, 2, allée des Allobroges, 31770 Colomiers.
Ces poèmes ont été écrits, précise Michel Cosem, lors d’une résidence d’écrivain en 2004 au Monastère de Saorge.
Ils nous font parcourir la vallée de la Brigue, le col de Tende, le Mercantour etc.
Ce dernier volume s’ajoute au grand nombre de recueils de la collection lieu écrits par Michel Cosem qui a toujours su ramener de ses voyages la quintessence de ses découvertes et de son imaginaire.
vous pouvez écouter la lecture de « Le Village écrit dans le ciel » sur le site lespoetes.site à « Pour écouter les émissions » année 2020, 13 novembre.
Extraits :
SAORGE, LE VILLAGE PENDU
Pluie battante et orage noir
l’eau bouillonne dans les gorges
roule les galets
Les arbres soudain sont pris de frissons
et perdent leurs dernières feuilles transparentes
Tout le pays se défend
tient haut son visage altier
crevassé de batailles et de regards
et répand la nuit venue le poison des craintes
*
La vue sur le jardin est inquiétante
Les rangées de légumes sont brulées
l’hiver est venu juste cette nuit sous son masque
de gelée blanche
Il ne reste rien sur les tiges
comme prémices à l’implacable vieillesse.
Seules des fleurs rouges et rondes
attendent de servir pour n’importe quelle
commémoration
*
L’ignorance fait signe à la sauvagerie
sur la pente inconnue
dans le noir total de la montagne
de la roche de l’histoire
J’entends un chien qui hurle
et qui emmène derrière lui tous les loups du passé
et les garous sortis des enfers des gorges où
s’amassent les blocs les falaises où seuls les esprits
malfaisants peuvent se loger
et ce hurlement comme un élixir vient peupler
cette première nuit
*****
La vallée des Merveilles
Alors que le fond de vallée
se recouvre d’une carapace de brume froide
comme la paume d’une chair sans mémoire
le haut tout là-haut
est comme une peau tendue vers l’azur où se
promènent les vagues et les bruissements de
l’hiver
où se gravent les fantasmes et les furieuses
victoires
là où vont les loups quand tout est gris bleu et que
l’on ne sait plus qui dévore quoi.
*****
MONUM’
MONASTERE DES BENEDICTINS
Naissance de saint François
Sait-on qu’un saint naît
dans la confusion et l’extase des femmes avec les
signes évidents de son destin.
Il est le nouveau-né déjà dressé contre l’orage et
l’offrande des filles.
Ses mains déjà sont des oraisons et l’on ne sait plus
s’il faut le laver ou l’adorer
Exorcisme d’Arrezo
Il dit aux esprits mauvais de libérer la possédée
Elle a la bouche ouverte et en sortent des diables
poilus aux ongles comme des becs des regards de
rapaces et des queues de serpents noirs
Il dit aux esprits mauvais de libérer la possédée et
elle lève la main en signe de délivrance
François est satisfait et l’on se demande pourquoi
il poursuit au loin les diables dans un nuage noir.
Vivre à la cime
Gérard BOCHOLIER dans son dernier livre de poèmes illustre à son insu un proverbe indien qui met en garde : la vie est un pont. Franchissons-là, mais n’y construisons pas de maison.
Car la maison, celle indélébile de l’enfance, il faudra l’abandonner à un destin qui ne sera plus attaché à celui de l’enfant que fut le poète.
Situation hélas universelle qui touche la majorité d’entre-nous, forcés de renoncer à la maison qui abrita notre enfance et notre famille.
J’ai lu « J’appelle depuis l’enfance » éd. La Coopérative, 140 pages, 16 €, de Gérard Bocholier avec ferveur (comme pour les livres précédents de ce grand poète de la spiritualité), mais, j’en conviens, avec une certaine douleur.
Celle d’une expérience partagée. C’est dire combien ce poète situe sa spiritualité au plus près du réel, du vécu.
Au soir de sa vie, l’enfance n’est jamais très loin. Elle s’impose dans la mémoire et dans l’inventaire. Cet appel depuis l’enfance n’a eu de cesse de sourdre ingénument, répétant à l’infini la même question :
J’entends des pas qui s’approchent
Est-ce un ange ou bien mon juge ?
L’enfance est peuplée de la mère, de la maison, des vignes, et de « la poésie des livres ».
Sa mère, elle, ne voyait que lui « Tout nimbé de lumière ». Cette mère le quitta le 12 mai 1980, premier apprentissage de la perte, un départ en lenteur, comme amorti : « Tes genoux lentement fléchirent / Tu glissas comme une bougie / S’effondre après l’ultime flamme ».
Avant naquirent les premiers poèmes : « Mes premiers vers me tenaient / Compagnie beaux infidèles », « Sur l’ardoise s’effaçaient / Aussi vite qu’ébauchés / Mes poèmes malhabiles ».
Ceux-là, prenant de mieux en mieux la lumière, l’accompagneront, pour notre plus grand bien, toute sa vie.
Une vie débutée au milieu « ...des gens simples / De simples âmes courbées / Sous les labeurs des silences / Proches de la terre aimée ».
Il aimera dès lors cette simplicité, le silence, les vignes où il faut « conduire la jument par la bride », la maison « Son cœur de cire et de patience / Qui ne bondit plus pour personne » aujourd’hui, maison mutilée par le temps qui l’a vidée de la vie :
On a jeté les livres
Eventré les armoires
Des portraits aux yeux vides
Gisent au pied des murs
Je frissonne en entrant
Dans la pièce où blafarde
La pendule arrêtée
Implore des ténèbres
Un abri par pitié
Le poète a depuis longtemps quitté la maison pour des « routes peu frayées » et pour apprendre « qu’au bord du vide » « on reste prisonnier / De l’enfance et de la nuit ». Il ira désormais à sa propre rencontre : « En rendez-vous avec moi-même / [ ... ] Ai-je jamais su qui j’étais », étonné « Du garçon étrange / Croisé sous les porches / Qui me ressemblait ».
Il va choisir la vocation du poète « la pente / La moins fréquentée [...] Celle où tout peut naître / Aimer et mourir / Déborder le temps / Pour vivre à la cime ».
Et Gérard Bocholier a vécu et vit « à la cime », celle de la poésie, de la foi, de l’amour.
C’est sur la cime, qu’il parvient à desserrer l’étau de l’angoisse existentielle, cette peur qui « Depuis la petite enfance / D’être seul au bord du vide / Et de tous abandonné ».
Ainsi, la dernière partie du livre sont des « Chants pour la fin » dans la lignée des Psaumes, ses précédents recueils chez Ad Solem : « Psaumes du bel amour », « Psaumes de l’espérance » et « Psaumes de la foi vive », chefs d’œuvre d’une suite de deux quatrains qui rejoignent la joie pure que cherchait Simone Weil, par une affirmation ravageuse de la foi qui fait de Gérard Bocholier l’un ou le plus grand poète mystique vivant d’expression française. Et certainement le plus accessible par le génie de sa simplicité.
Soudain le vent tout se brouille
Mais ton visage me reste
Dans une contrée si pure
Que le jour devient aveugle
Non la mort n’est pas absence
L’absence n’est pas la nuit
Hors du temps bruit le silence
Je bois ton aube infinie
**********
Vous pouvez écouter l’émission consacrée à Gérard Bocholier à « Pour écouter les émissions » Confinement n° 20 sur le site les poetes.site
Je signale également la parution de 2 CD que les conditions précaires d’enregistrement loin du studio de la radio m’ont empêché de diffuser sur les ondes, mais sur lesquels je ne manquerai pas de revenir lourdement :
« Les amis, l’amour la poésie » Chansons et poèmes par Guy Allix, 17 € à commander à : guy.allix59@gmail.com
et
« Terre de Cœurs » poèmes choisis d’Hamid Larbi à commander sur le site w.w.w.hamid-larbi.net
Le texte s’écrira
« Vivre, c’est se raconter » rappelle Michel del Castillo dans « Le crime des pères » (éditions du Seuil 1993, p 80).
Le Slam, c’est se raconter et c’est la vie qui vous irrigue telle une perfusion salutaire donnée par un cœur vaillant et généreux, le temps requis.
Car le Slam a ses codes et sa bonne tenue se vérifie dans le respect de ses règles.
La poésie est équivoque. Elle s’habille de l’infini de ses contours. L’invariable, c’est la puissance des mots. A eux de nous livrer leur lumière.
L’écriture est éclairante qu’elle vienne d’un supplément d’âme, de l’inconscient ou de la grâce.
Encore une fois, c’est de l’intime dont se nourrit la poésie, c’est-à-dire l’écriture du Slam. Le Slam enjambe le piège de la dérision de soi qui emprisonne l’individu et il le libère de ses propres limites. La dérision de soi n’est plus l’obstacle mais le moyen d’accéder à une impertinente envie de vivre pleinement.
Le Slam en sacralisant l’humour et l’ironie de toute dérision, pulvérise la représentation idéalisée de ce que nous croyons être.
Je ne puis affirmer que toute poésie est iconoclaste, mais le Slam assurément l’est. La beauté a mille canons et aucun n’est formatable parce qu’ils sont contradictoires.
Les canons du Slam, Thierry Toulze alias Capitaine Slam, artiste toulousain qui fonce avec élégance vers l’avenir de la poésie dans notre bonne cité mondine, laquelle se rêve Capitale de la Poésie, les définit avec toute la rigueur et le sérieux qui conviennent :
SLAM : CE QU'IL FAUT SAVOIR
Historique et étymologie
Le slam a été inventé en 1986 à Chicago par Marc Smith, homme du peuple et ouvrier du bâtiment : voulant éviter le côté mièvre des soirées guindées, il a inventé un dispositif rendant la poésie moins élitiste, plus accessible et surtout plus “rock n' roll”. Le choix du mot slam est d'emblée révélateur : il signifie “Chelem” (c'est à dire tournoi, ce qui implique une dimension sportive), renvoie à l'expression “slam dunk” (smash) voire à “to slam the door” (“claquer la porte”) et sonne un peu comme une invite à faire claquer les mots au lieu de s'en servir mollement, à s'exprimer avec fougue, à avoir de la verve.
Philosophie du slam
La philosophie du slam est à rapprocher des fondamentaux du hip-hop (Love, Peace, Unity and Having fun) mais les codes (vestimentaires, langagiers, rhétoriques, thématiques) y sont moins nombreux. Partage et ouverture d'esprit seront de mise : personnes âgées peu férues de rap, rappeurs radicaux, improvisateurs, conteurs, fabulistes, poètes classiques, raconteurs de blagues et adeptes du stand-up se mèleront. De même, le slam n'est pas sexiste (autant d'hommes que de femmes) et les enfants peuvent participer. En somme, tous les arts de la parole sont les bienvenus, mais il y a des règles à respecter...
Comment se déroule une scène slam ?
Le slam n'est pas un style : c'est une certaine manière de se réunir, d'organiser des soirées voire de renouer avec l'esprit des veillées. Inutile de vous inscrire à l'avance, en téléphonant : il suffit de vous renseigner dès votre arrivée pour savoir qui anime la scène et de vous inscrire auprès de cette personne. Cela se déroule souvent dans un bar et parfois sous la forme d'un tournoi. L'animateur(/trice) vous appellera peut-être au tout début : il s'agira de faire partager votre texte au public (le présenter en quelques mots étant possible mais pas nécessaire), un texte court (3, 4 mn. max.) et auto-produit (mais qu'il n'est pas obligatoire de savoir par cœur). Autre contrainte forte : pas d'accessoires ni d'accompagnement musical.
Quelques conseils pour y briller
Ecrivez sur des sujets qui vous intéressent vraiment.
Evitez les lieux communs, le pathos et les sujets trop intimes (deuil d'un proche, etc.) : il ne faut pas être impudique – certes, on peut “se dire”, mais il faut aussi séduire...
Allez chercher le public, en ayant le sourire, en introduisant de l'humour, en vous inventant un pseudo amusant, en parlant de sujets connus ou en faisant du “name-dropping” mais sans pour autant vous montrer racoleur – n'oubliez pas que le slam est une contre-culture : on n'est pas là pour faire du M.6 !
Faites en sorte que ce soit vivant, prenant, sincère, intense, habité – faire un texte très rythmé n'est pas du tout obligatoire (mais ne soyez pas trop mou quand même !)
La première phrase doit être percutante (de même qu'il faut finir votre texte en beauté).
Soyez conscient que l'enjeu n'est pas de se faire mousser mais d'apporter son grain de sel à la soirée. Il faut passer sur scène pour de bonnes raisons.
Prévoyez plusieurs textes (le nombre de passages dépend du nombre des participants).
Redisons-le : tous les genres sont possibles. L'important est de respecter la contrainte du temps – ne pas le faire est mal vu (surtout si votre texte ne tient pas la route !) Mieux vaut donc miser, surtout lorsqu'on débute, sur des textes très courts (1 mn., 1. 30, 2 mn., pas plus).
N.B. : Pour plus d'infos, je renverrai au film Slam de Marc Levin (Caméra d'or à Cannes en 98) où les acteurs (Saul William, Sonja Sohn) sont aussi des slameurs et au documentaire Slam, ce qui nous brûle, de Pascal Tessaud (France Télévision) où plusieurs scènes ouvertes sont captées avec talent.
L’émission « Confinement n° 19 » est dévolue au Capitaine Slam alias Thierry Toulze ou réciproquement.
Dans un premier temps nous l’écoutons dans ses œuvres, sur scène avec « Le texte s’écrira », « Total bâtard » et « Bulletin colère ».
Plaisir de l’oralité scénique du slam !
Plaisir de rire avec ce « bulletin colère » qui rend hommage au « cancre » de Prévert.
Puis je lis les textes de Thierry Toulze, ses poèmes regroupés sous le titre « L’Observatoire de Toulouse ».
Car le poète des mœurs est aussi poète des lieux.
Si le poète dit les lieux qu’il traverse, ce n’est pas pour écrire ce qu’il connaît et que les autres, s’ils sont de ces lieux, connaissent également. C’est pour en étreindre l’inconnu.
C’est le but de l’écriture de révéler ce qui était caché.
Telle la douceur que recèle un lieu familier auquel nous nous sommes habitués sans en ressentir ce qu’il contient d’unique et qui lui donne un nouveau sens, parfois bouleversant.
Thierry Toulze, un poète authentique au large spectre qui revient dans une autre émission « Confinement n° 21 » dont je vous parlerai bientôt.
Dans l’émission « Confinement n° 19 » je signale la parution d’un roman qui fera date dans l’histoire des romans ayant pour cadre Toulouse et l’Occitanie, celui du poète, également homme de radio et chroniqueur, Francis Pornon : « Mystères de Toulouse, de rose et de noir » TDO éditions, collection Noir Austral, 430 pages, 20 €.
Ce roman-événement a fait l’objet par la suite de l’émission « Confinement n° 24 » qui sera diffusée par Radio Occitanie à compter du jeudi 10 décembre 2020.
Enfin, je signale la parution toujours attendue de la revue « Nouveaux Délits » n° 67 dont je donne lecture de l’émouvant et brillant éditorial de Cathy Garcia Canalès.
Par ailleurs, j’annonçais au cours de cette émission diffusée dans les temps opportuns, une animation au Centre Culturel Joë Bousquet de Carcassonne où le fidèle René Piniès qui dirige avec succès ce haut lieu de la poésie et de la culture à Carcassonne, avait programmé le 17 octobre 2020 une lecture par Anne Alvaro des « Lettres à Ginette » de Joë Bousquet.
Je ne peux que recommander la lecture de ces lettres à nos jeunes gens.
Je demeure encore ébloui par l’amitié que me porta Ginette Augier voici plus de quatre décennies. En dernier lieu, elle m’offrit un livre qu’elle venait d’écrire sur « Les demeures de Joë Bousquet » qui remporta un prix de l’Académie Française.
***************
Extraits de « L’Observatoire de Toulouse » de Thierry Toulze :
L'OBSERVATOIRE DE TOULOUSE
(choix de textes pour l'émission « Les poètes »)
STATION-SERVICE ABANDONNEE
Station-service abandonnée
Comme le chanteur chanté par Johnny,
Qui te chantera si ce n’est bibi ?
Le dimanche, déprimé,
Je sortais pour me rendre chez toi
Et dépenser quelque argent
Afin d’obtenir chips, pain, pâtes
Et (le tairai-je ?) du vin de table
De médiocre qualité.
Station-service abandonnée,
Tu n’existes donc plus
Mais je vois tes vestiges
Du haut de ma fenêtre :
Des tagueurs inspirés
A cœur joie s’en sont donnés,
Te bariolant de couleurs vives,
Insufflant encore un peu de vie
A ce que tu es devenue,
A savoir une ruine, une épave,
Un pan de ma mémoire,
Un lointain souvenir
La scorie d’une époque
Qu’il vaut mieux oublier.
MIRACLE AUX ARGOULETS
Déprimé aux Argoulets,
J'avise un supermarché.
Je m'y achète des victuailles,
Victuailles que je tairai
Car elles sont trop grossières
Pour figurer dans un poème.
Poème ou pas,
J'engouffre comme un morfale
Les dites victuailles.
Sur un banc, seul comme un chien,
Je me sens moche et bête :
Où sont passées mes idées
D'ascèse et de bouddhisme ?
Au lieu de me livrer
Aux Saintes Austérités,
Je bouffe comme un porc
Et ce n'est guère hallal.
Surgit un papillon :
Il est tout jaune,
Il est beau,
Et j'ai honte d'être aussi grossier.
Je le regarde et ça m'apaise,
Un peu comme Hulk
Séduit par la poésie de l'aurore
Ou bien par la beauté
De l'arc-en-ciel qui paraît.
Devant cette merveille,
Je quitte mon enveloppe grossière
Et tout léger m'envole
Sur les ailes du papillon.
SUR LE NOM PRESTIGIEUX
DE TROIS RUES TOULOUSAINES
L'histoire de la littérature :
Cela encadre ma vie
Et lui donne une forme
Voire une direction.
Aussi suis-je toujours troublé quand,
Me balladant du côté des Argoulets,
Je me retrouve dans une rue Marot,
Une rue Andersen ou une rue Boileau.
Dès lors, je ressens
Comme un frisson sacré
Et me sens rassuré, protégé,
Comme entouré de fées.
LE SQUARE POTAGER
DU PARVIS JACQUES AURIAC
Square du parvis
Jacques Auriac,
Tu me ravis
Parce que
Tu es composé,
Non d'un radis
(Ce qui aurait rimé),
Mais d'une fraise à bascule,
D'un cornichon géant
Faisant office de banc
Et de cinq carottes dressées
Qui entourent un toboggan.
Se constituant
De pandas sur le dos
Et de dauphins joueurs,
Le square Edouard Privat
Me séduit moins que toi.
LA RUE AUX CHATS
Dans mon quartier,
Il y a une rue
Que Léautaud aurait aimée :
On y croise plein de chats,
Surtout la nuit.
Bref, quand je rentre chez moi,
Je passe toujours par là.
A chaque fois,
Avec leurs yeux, leurs mouvements,
Ils me font une escorte de roi
Et je trouve cela
Dix fois plus classe
Que de remonter les Champs Elysées.
TOULOUSE ET TOULZE
Je renoue avec ma ville
Qui me donne de la force.
M'enfonçant dans ses rues,
Je me renforce.
Déprimé,
Je marche dans Toulouse
Et je vais mieux
Et je trouve cela
Féérique et merveilleux.
Requinqué, reprenant vie, je me dis
Que mon corps et ma ville
Sont des vases
Communicants.
Ce phénomène est encore
D'ordre mystique, automobile,
Car si la ville est mon essence,
Je suis son petit véhicule.
FRERE ECUREUIL DES ARGOULETS
D'un coup, ça se renverse.
(Valère Novarina)
Un jour que j'avais le cafard,
Que je trainais du côté
Des Stades de la Roseraie,
M'apparut, surgissant d'un fourré,
Un petit écureuil aussi vif que l'éclair.
En trois secondes, il monta dans un arbre.
De là, il me considérait
Et je me mis à lui parler :
– Maître Ecureuil sur votre arbre perché,
Frère Ecureuil qui tant me fascinez,
Pourriez-vous pas descendre
Pour un peu discuter ?
Il ne répondit pas et nous nous regardâmes,
Sa grâce d'écureuil me réjouissait l'âme.
Et je me trouvais bien sot de déprimer ainsi :
L'écureuil avait, lui, beaucoup plus de panache.
Bref, je m'en retournai,